Revue des marques : numéro 36 - Octobre 2001
Saga Schweppes
La plus ancienne des eaux minérales artificielles est aussi celle qui crée le marché des soft drinks avec Indian Tonic en 1870.
Boisson des adultes, elle appelle aujourd'hui les jeunes à se réveiller la langue avec des boissons moins amères.
par Jean Watin-Augouard
Nunc est Schweppendum
né en 1840 à Witzenhausen
(district de Hesse) en Allemagne,
de nationalité suisse, Jean Jacob
Schweppe est également citoyen
français depuis l'annexion de
Genève par la France en 1798.
Il meurt en 1821.
Je n'y crois pas ! " Désabusé, Jacob Schweppe est, comme bon nombre d'inventeurs, sur le point de tout abandonner. Dix ans de recherche pour créer la première machine à gazéifier l'eau, rayés d'un trait ?
Mais, convaincu que son produit est le meilleur, il s'obstine ! Sage résolution puisque son " soda water ", commercialisé depuis 1783, est à l'origine du marché des soft drinks ! Contemporain de Möet & Chandon, Maille ou Villeroy & Boch, Schweppes a traversé trois siècles sans perdre de sa… pétillance ! A l'origine, eau minérale artificielle, Schweppes s'est aromatisé au fil des temps, pour devenir, à l'orée du XXIème siècle, une marque ombrelle. Si sa cible, historique, demeure celle des adultes, la marque n'entend pas laisser le marché des jeunes compter sans elle.
Quand la machine reproduit la nature
Signatures de l'accord entre associés
12 juin 1790
Si l'on peut lire sur les autobus londoniens, au début du XXème siècle, " Famous since 1790 ", l'activité commerciale de Schweppes débute en 1783.
Jacob Schweppe, bijoutier à Genève depuis l'âge de douze ans, a une obsession : mettre la station thermale et ses bienfaits en bouteille et à la portée de tous ! S'inspirant des travaux de Lavoisier sur la carbonation de l'eau, il parvient à dissoudre du dioxyde de carbone dans de l'eau à l'aide d'une pompe à compression baptisée " Machine de Genève " (1).
Grâce à son invention, il n'est plus nécessaire de voyager pour " prendre les eaux " (2). On ne parle pas à l'époque de tests consommateur quand Jacob Schweppe propose aux médecins de donner gratuitement son eau minérale à leurs patients pour la tester et l'améliorer. C'est parce que certains ne voulaient pas de cette eau gratuite que, contraint et forcé bien malgré lui, Schweppe appose, en 1783, un prix très bas, juste pour couvrir ses coûts de fabrication. Celle-ci, alors artisanale, change de dimension quand, en 1790, Jacob Schweppe s'associe avec Nicolas Paul, un ingénieur de Genève, spécialiste des pompes et avec Henri Albert Gosse, un pharmacien. Ce dernier va lui apporter la reconnaisance du monde médical.
Un prospectus paraît le 4 septembre 1790 dans le Journal de Genève annonçant la vente de Seltzer Water et Spa Water ainsi que les eaux de Pyrmont, Bussang, Courmayeur et Vals. Centre de gravité de la révolution industrielle et commerciale, Londres accueille, le 9 janvier 1792, la première usine de la société " Schweppe, Paul and Gosse ", au 141 Drury Lane. Les débuts sont difficiles car la concurrence est vive, en dépit de la piètre qualité des autres eaux minérales artificielles. Le 28 décembre 1792, Jacob Schweppe écrit à ses deux associés qu'il envisage de rentrer à Genève et d'abandonner son projet. La situation politique ajoute à la crise avec la déclaration de guerre de la France à l'Angleterre, le 1er février 1793. Ses deux associés le quittent en 1796 mais Jacob Schweppe tient bon.
La carbonation supérieure de son eau lui donne l'appui du corps médical qui la recommande pour soigner les maladies du rein et de la vésicule et pour combattre l'indigestion et la goutte. Les produits Schweppe sont vendus dans les officines sous trois catégories : simple, double ou triple puissance. Ils ont pour nom Acidulous Rochelle Salt Water, Seltzer, Spa et Pyrmont Water et Tooth Lotion of Soda. Au même moment, le terme " Soda Water " entre en usage et il apparaît dans une réclame de Schweppe en 1798. Il peut être alors mélangé à du rhum et du cognac !
Le développement de la marque se fera sans son fondateur ni sa fille Colette (3).
Jacob Schweppe prend sa retraite à 58 ans et retourne à Genève. En 1878, il cède les trois quart du capital de sa société J.Schweppe & Co. aux frères Henry William et Francis Charles Lauzun, et Robert Brohier, aristocrates français réfugiés à Jersey. Au début des années 1800, la société s'établit progressivement sur un plan national : l'eau de Schweppe (Schweppe's Water) est vendue en Angleterre, en Ecosse et au pays de Galles. Elle fait de la réclame dans des journaux destinés à la noblesse et à la gentry. L'association des trois jerseymen s'arrête en 1824. La même année, Colette cède ses parts à Robert Brohier et Richard Sparkes. Ce dernier, alors seul propriétaire, vend la société en 1834 à John Kemp-Welch, un marchand de vin et William Evill, un orfèvre. La dynastie Kemp-Welch durera 115 ans jusqu'en 1949. Depuis 1969, Schweppes est aux mains de Cadbury.
Le drink des gens raffinés
" Soda and Mineral Water Manufacturers to Their Majesties and the Royal Family " depuis 1831, Schweppe ajoute, en 1836, le titre de fournisseur des altesses royales, la duchesse de Kent et la princesse Victoria, future reine.
Schweppe invente le sponsoring en devenant le fournisseur exclusif du Crystal Palace durant l'Exposition universelle de 1851 : six millions de visiteurs pendant six mois et plus de un million de bouteilles vendu !
Une fontaine présente lors de l'exposition rappelle, aujourd'hui, cet exploit en figurant deux fois sur l'étiquette de la bouteille : en blanc sur le fond jaune et dans le sceau rouge.
La marque collectionne les médailles !
A l'Exposition de Paris en 1878, Schweppe gagne la médaille d'argent, la plus haute récompense pour les eaux minérales.
La médaille d'or de l'Académie nationale de Paris lui est décernée en 1880.
Triplé gagnant à l'Exposition universelle à Paris en 1900 : médaille d'or, d'argent et de bronze.
Si la bouteille se tient debout depuis 1897, elle eut depuis le début des années 1800 une forme ovoïde. Raison avancée : ainsi couchée, elle retenait mieux le gaz. Elle aura plusieurs surnoms : " drunken " bottle ou " bouteille saoule ", la " torpedo " ou " bouteille œuf ".
En France, Schweppes est connu dès 1790, mais il faut attendre le siècle suivant pour que de nouveau on reparle de Schweppes à Paris et sur la Riviéra. Une réclame parue à Londres en 1878 mentionne des visiteurs à Paris trouvant des eaux de Schweppes dans les hôtels, cafés et restaurants. De fait, les principaux marchés de Schweppes, boisson pour " upper and middle class " se trouvent, jusqu'en 1945, dans les clubs, hôtels, restaurants, théâtres, chemin de fer et compagnie de navigation.
Ce n'est qu'en 1948 que Schweppes décide de vendre dans les commerces de détail.
Londres n'est plus, depuis longtemps, le seul centre de production. Sydney accueille, en 1877, la première usine à l'international. Melbourne et Brooklyn suivent en 1884.
Mais il faut attendre 1923 pour que l'expansion internationale soit au cœur des priorités avec la création d'une filiale entièrement dédiée aux investissements à l'étranger pour produire localement. Les années 50 sont celles où Schweppes adopte la méthode américaine de la franchise pour les embouteilleurs à l'international. Mais, faute d'avoir atteint la taille critique, la marque Schweppes est cédée, fin 1998 à Coca Cola dans 155 pays (moins de 3% de part de marché) quand Cadbury se réserve 26 pays : Mexique, Amérique, Canada, Europe de l'Est et de l'Ouest (sauf Angleterre, Irlande et Grèce), Australie et Afrique du sud.
Schweppe…Schweppe's…Schweppes.
Choix délibéré ou contraction par souci de simplifier la commande, " Schweppe, the original soda water famous since 1790 " devient " Schweppe's Table Water " puis tout simplement Schweppes au début du XXème siècle. Des années 1900 à 1930, la marque fait de la réclame dans les magazines de sport et les revues luxueuses.
Tous les supports modernes sont utilisés pour la faire connaître : envoi de cartes publicitaires dans le premier avion postal en 1911, réclames sur les autobus avant la Première Guerre mondiale, utilisation de pin-ups jusqu'à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. On voit même Joséphine Baker chanter aux Folies bergères avec un citron nommé Schweppes. Il revient à l'agence Winter-Thomas de créer le premier slogan de la marque en 1931 qui joue pour la première fois sur la sonorité du produit et du nom : " All the best syphons say Sss…ch…weppe…ss… ".
A partir des années 50, la marque inaugure avec Sir Frederic Hooper un management plus orienté vers le marketing : il est considéré comme le génial seigneur de " Schweppshire ", un nouveau comté sur la carte de la Grande-Bretagne. La marque va jusqu'à créer son propre langage (4) et marie son nom à l'image visuelle du produit : " Are you a Schweppicure ? " (1940). Le 8 juin 1946, jour du défilé de la victoire, à Londres, la première campagne destinée au grand public, alors que le produit n'est pas encore disponible, lance le mot " Schweppervescence ". Suivront " Schwepping " (1951), " Schweppshire " (1954), les " Scheppigram " (1956).
Le dessinateur français Siné apporte son talent dans la campagne " Thirsty ? take the necessary Schweppes " (années 50).
Construction européenne oblige, la marque se singularise avec " Europe in Perschwepptive " (années 60). Après les années Garland (1945-1951), celles de Saatchi & Saatchi vont durer jusqu'en 1965.
Ces années seront celles du comté imaginaire de Schweppshire et de la campagne " How many Schwepping days to Christmas ? " Schweppes inaugure le petit écran avec l'agence de David Ogilvy.
Où l'on découvre en 1965 - et de nouveau en 1973 - l'acteur William Franklin et le célèbre " The Secret of Schhh…by you-know-who ". Publicité pour le moins originale qui ne mentionne pas la marque ! (5) David Olilvy choisit le Commander Edward Whitehead, directeur de Schweppes à l'international, pour promouvoir Schweppes aux Etats-Unis dans les affiches et les campagnes publicitaires TV (1966 et 1968).
Ambassadeur de la marque pendant près de vingt ans, il devient l'homme anglais le plus célèbre après Winston Churchill. Dans les années 60, un certain Benny Hill incarne des gens pittoresques. La première campagne internationale de Schweppes est lancée au début des années 60 : " Wherever you go drink Schweppes ". En France, la première publicité télévisée date de 1978 : dans un club, le serveur marche sur le plafond pour ensuite s'adresser au client surpris : " monsieur sait bien que dans le Schweppes Lemon, il y a de la pulpe. " En 1982, l'heure est au Schwepping : " on se décapsule, on fait du Schwepping " (agence FCB). En affichage, cela donne " Prenons la vie du côté Schewepping " et " ça réveille votre côté Schweppes " (1987). Sur une musique de Gilberto Gil, Schweppes fait danser des brésiliennes en 1986. Il revient à John Clees, un des acteurs des Monty Python, de jouer la carte du burlesque, de 1989 à 1993. Cette année-là, DDB suggère de réveiller sa personnalité et de se libérer de ses inhibitions : " Réveillez votre côté SCHH… ".
Après trois ans d'absence des écrans, Schweppes revient en 1997 avec une campagne européenne signée Saatchi & Saatchi et le film Diamond Mine réalisé par Tarsem.
La marque s'autorise la transgression du commandement " tu ne voleras pas " : dans une mine de diamants, deux " bougres " se dirigent vers les vestiaires et se servent un Schweppes.
Episode suivant : un des deux compères montre à l'autre le diamant qu'il vient de subtiliser et qu'il cache dans son pantalon quand l'autre fait semblant de l'avaler avec du Schweppes. Il jette la canette dans une poubelle près de laquelle se trouve une belle brune.
Troisième épisode : les gardiens fouillent les deux hommes et relâchent le second qui retrouve la brune au volant d'un camion avec la canette… et le diamant. Slogan pour la France : " Schweppes, gardez la tête froide ".
A l'international il change pour " Think Schweppes ". L'année suivante, dans le film Jungle Heat, la marque rend invisible un homme pourchassé dans la jungle.
Changement de ton en 1999 : l'agence Young & Rubicam inaugure la saga animalière avec, comme principal héros, Clive le léopard. Emblème traditionnel de l'Angleterre, le léopard est symbole de fierté, d'habileté et de force. Il est aussi le symbole de la caste royale et guerrière. Revêtir sa peau protège du mal. " Schweppes est une marque pour adulte, d'où le choix d'un animal qui symbolise la trentaine, quelqu'un maître de lui, qui sait ce qu'il veut et possède un humour au second degré ", souligne Olivier Boccara, chef de marque. Au reste, le léopard avec ses couleurs jaune et noire, rappelle celles de Schweppes. Avec pour slogan " Réveillez-vous la langue ", Clive, entouré de ses amis Chris, le crocodile et Marcel, l'éléphant, prend la vie avec philosophie mais ne reste pas insensible aux charmes d'une femelle ! " Campagne mondiale, cette saga s'adapte dans chaque pays pour l'affichage et la presse.
En France, Schweppes entend communiquer sur ses produits et ses nouveautés ", explique Olivier Boccara.
Du mono-produit à la marque ombrelle
Les deux piliers actuels de Schweppes ont été lancés en 1870 : Ginger Ale et Indian Tonic.
Le premier est né au Canada, le second s'est inspiré des coutumes des colons anglais, qui, pour se prémunir de la malaria, absorbaient de la quinine mélangée à du sucre et d'extraits d'oranges amères. Ces deux produits participent alors de ce que l'on nomme aujourd'hui " extension de gamme ".
Ils viennent enrichir l'offre de la marque qui propose déjà Schweppe's Seltzer et Soda Water que l'on peut accompagner de lait, vin, alcool ou sirop comme le montre une réclame de 1798 et Schweppe's Aerated Lemonade depuis 1835.
L'engagement de Schweppes dans les jus de fruits date du début du XXème siècle quand un procédé de stérilisation du professeur Kuhn, un disciple de Pasteur, permet de les vendre en bouteilles sans conservateurs dès 1907 : débute alors la mise en bouteille du jus de citron vert, citronnade et un cordial au peppermint, cassis et framboise. Durant les années trente, la marque propose Schweppe's Aerated Orange (1931), Sparkling Grape Fruit et Sparkling Lemon (1932), Sparkling Lime et Sparkling Lemon Barley (1935).
C'est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que Schweppes Indian Tonic connaît une diffusion beaucoup plus large.
L'heure est aux grandes surfaces aussi la marque se présente-t-elle en bouteille non consignée depuis 1966 et en boîte métallique à partir de 1970.
La version light fait son apparition à la fin des années 80.
Associée au goût amer, Schweppes souhaite étendre son marché aux adolescents. D'où les lancements de Indian Tonic Citron vert (2000) et Indian Tonic Mandarine (2001), des boissons aromatisées qui attenuent l'amertume de la quinine. Citron vert est en test en Italie et dans les pays de l'Est de l'Europe.
Schweppes, c'est également une deuxième gamme de boissons gazeuses aux fruits, sans quinine, issue des Dry de Schweppes lancés en 1986 : Dry Orange, Dry Lemon, Dry Exotic puis Dry Pamplemousse en 1987 et Dry Pomme en 1992.
L'appellation Dry est abandonnée en 1994 pour ne communiquer que sur une seule marque : Schweppes Indian Tonic et Schweppes Fruits.
" Notre objectif est de faire de Schweppes une marque et non un produit ", explique Olivier Boccara.
Aujourd'hui, la gamme des jus de fruits se décline en Schweppes Lemon, Schweppes Orange Mandarine et Schweppes Agrum'. Seul Lemon est international et Agrum' est en phase de test dans l'Europe entière.
Compte tenu de la porosité croissante des marchés et d'une concurrence qui ne sévit plus seulement sur le seul secteur des soft drinks, Schweppes entend se singulariser par ses parfums uniques - Agrum' est un mélange de quatre agrumes, pamplemousse, citron vert, mandarine et orange - et par une plus grande proximité avec les consommateurs. Sponsor et fournisseur officiel du Team McLaren-Mercedes de 1998 à 2000, Schweppes privilégie dorénavant le territoire du cinéma et propose un collector sur l'ensemble des packaging avec Cinelive, numéro deux du magazine cinéma et UGC.
Un foyer français sur quatre achète un produit Schweppes et pour ceux qui souhaiteraient découvrir l'eau minérale Schweppes, il suffit de traverser le Channel !
Notes
(1) Du dioxyde de carbone est produit grâce à un agitateur à partir de craie et d'acide sulfurique. Purifié avec de l'eau puis placé dans un gazomètre, le gaz passe ensuite dans un réservoir de charbon de bois. Enfin, la pression exercée par un agitateur permet de dissoudre le gaz dans l'eau.
(2) Le premier soda, à base d'eau et de sucre et aromatisé avec une essence végétale, connu sous le nom de " Julep " fut créé par le chimiste Richard Bewley en 1767.
(3) il a eu neuf enfants dont huit sont morts jeunes.
(4) création en 1996 d'une ligne textile, la Schhh…ic Collection, à l'occasion d'une promotion.
(5) La même antienne " you know who " en 1969, 1973, 1976, 1994 et 1996.
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