Revue des marques : numéro 63 - Avril 2008
Saga La Laitière
Tout le contraire d'un "vieux tableau"
Marque de produit en 1973, la Laitière s'arroge aujourd'hui la première place dans le coeur des Français pour les desserts ultrafrais. Traduction de son succès, l'équivalent d'un million de boules de glaces sont consommées tous les jours en France sous cette même marque. Quand une laitière devient cuisinière, en traversant plusieurs révolutions...
Par Jean Watin-Augouard
Boîtes de lait condensé pour
divers pays vers 1900
Premiers pots de verre
La Laitière
Le yaourt la Laitière ? Une évidence ! Un petit pot de crème au chocolat la Laitière ? Une autre évidence! Un sorbet nectarine la Laitière? Une évidence encore! La force d'une marque réside, en partie, dans sa faculté d'être, par son offre incontournable, une réponse incontestable à une tendance de consommation parfois en gésine. Elle fonde souvent sa singularité en s'inscrivant à contre-courant des codes du marché. Sa pérennité se juge à l'aune de la pertinence de ses innovations et au volontarisme des équipes qui l'animent. Sans oublier l'imprégnation de son imaginaire chez les consommateurs, qui deviennent ses ambassadeurs. Décrivez une femme aux formes généreuses avec des bras blancs veloutés, vêtue d'une coiffe et de linges jaune et bleu, versant, en pleine lumière, du lait crémeux dans un pot d'argile. Dans un réflexe quasi pavlovien, c'est la Laitière qui vient à l'esprit. Elle est devenue si proche des consommateurs que l'on pourrait gommer le nom "la Laitière" inscrit sur l'emballage sans porter préjudice à la marque, celle-ci étant intimement liée à son icône. Supprimer l'icône conduirait au contraire à promouvoir une marque au nom trop générique.
Evidence, aujourd'hui, défi hier
Plaque émaillée - fin 19e
Fromage de faisselle moulé à
la louche - 1986
Pour autant, rien de moins évident quand, jeune chef de produit chez Chambourcy(1), Jean-Claude Marcantetti interpelle, en 1971,Gérard Lotto, alors responsable de fabrication: J'ai une idée, nous allons faire du yaourt au lait entier en pot de verre"(2). "A l'époque, raconte-t-il, plus de la moitié des yaourts consommés était du yaourt nature conditionné en pot de carton ou de plastique. Sur un marché composé de trois segments, yaourt étuvé à 11 g de matière grasse par litre, yaourt étuvé à 0 % de matière grasse et yaourt brassé, j'ai pensé qu'il y avait une place pour un quatrième segment avec une image haut de gamme, grâce à des qualités gustatives immédiatement reconnues par le consommateur. J'en suis venu à la composition de lait entier, où le taux de matière grasse était de 34 g par litre."
Cette révélation lui vient également de la découverte, à Marseille, d'un yaourt vendu en pot de carton sous le nom de la Fermière, qui, sans être au lait entier, présentait un goût meilleur que les produits concurrents grâce à une quantité de matière grasse supérieure à la moyenne utilisée. Cette suggestion semble alors aux antipodes des usages, aussi bien commerciaux – les yaourts sont à base de lait écrémé – que techniques – ils sont vendus dans des pots en plastique ou en carton (12 cl.). Revenir au verre donnerait au produit une image veillotte, et des soucis à la direction de la fabrication, inquiète du moindre morceau de verre brisé dans le produit. Malgré les doutes et les réticences des équipes de Chambourcy, Jean-Claude Marcantetti parvient à ses fins en 1973, en singularisant son produit par une contenance plus importante (15 cl.), vendue à l'unité, non consignée(3) et à un prix de 50 % supérieur à la moyenne des yaourts nature: "La contenance de 15 cl était un pari, alors que tous les pots étaient en 12 cl, mais après examen je me suis rendu compte que pour un produit vendu à l'unité l'impact sur le linéaire serait plus fort et mettrait davantage le produit en valeur."
Commercialisé en juin 1973, le yaourt avait été testé en verre et en carton paraffiné, en région parisienne. Très vite, le verre, symbole de tradition, supplante le carton. Un nouveau code est lancé. Les yaourts des autres marques au lait entier seront, plus tard, commercialisés en pot de verre. Surtout, le produit semble trouver ses consommateurs, grâce à ses qualités organoleptiques. Ne sont-ils pas alertés par des campagnes contre la présence de colorants et de conservateurs dans les produits laitiers et la confiserie ? L'heure est au retour à la nature,au produit sain, authentique, fait "comme autrefois", "à l'ancienne"(4). Après le choix du contenu et du contenant, il reste à donner un nom à ce yaourt. Ce sera "La Laitière", nom découvert par Jean-Claude Marcantetti dans le catalogue des marques de Nestlé. Elle remonte aux années 1870, quand l'Anglo-Swiss Condensed Milk Co. commercialisait du lait concentré, sous le nom de Milkmaid, Milchmäddchen ou La Lechera. La fusion avec Nestlé, en 1905,conduit au déclin progressif de Milkmaid au profit de Nestlé(5). Signe que le groupe suisse croit en l'avenir de ce lait entier, et"malgré le scepticisme du directeur du marketing et du directeur général de Chambourcy", se souvient Jean-Claude Marcantetti, il donne son accord pour redonner vie à la marque.
Nous ne pensions pas que ce tableau aurait une durée de vie si longue dans la communication.
Les premiers pots se singularisent par une paysanne chaussée de sabots, une cruche de lait dans chaque main. "C'est un produit "désindustrialisé", qui anticipe la vague des produits du terroir", se souvient Michel L'Hopitault. C'est à son agence, Effivente, que Chambourcy confie la création d'un territoire publicitaire. Philippe Auroir, directeur de l'agence, songe à un tableau, une pastorale XVIIIe siècle, "façon Marie-Antoinette à Trianon, le retour à la nature prôné par Jean-Jacques Rousseau". "A l'époque, d'autres marques utilisaient la peinture dans leur communication, rappelle-t-il. Nous feuilletions un ouvrage d'art à la recherche de la perle rare, quand une secrétaire, passant dans le bureau, mit le doigt sur la Laitière de Vermeer(6 ) en criant "C'est ça !". Un tableau que nous avions vu plusieurs fois sans y prêter attention !". Quoi de mieux que cette femme nourricière versant du lait, symbole de chaleur et de générosité ! "Au début,nous ne pensions pas que ce tableau aurait une durée de vie si longue dans la communication." La première publicité télévisée, en 1974, anime la Laitière versant du lait dans le pot, sur un air de flûte: "Comme autrefois, Chambourcy prend du bon lait entier pour préparer de bons yoghourts nature.
La Laitière, un yoghourt au bon lait entier. La Laitière, un chef-d'oeuvre de Chambourcy." "Les campagnes d'affichage et d'abribus remportent un franc succès, à tel point que, par exemple, la Ville de Brest accorde une semaine gratuite à la marque", se souvient Philippe Auroir.
Du "blanc" au "non-blanc", une marque transversale
1996
Nourricière, la Laitière est également féconde. Aussi va-t-elle ajouter progressivement à son yaourt nature au lait entier bien d'autres produits "blancs"puis "non blancs". Entre 1969 et 1975, Nestlé France place quelques hommes, mais les résultats financiers de Chambourcy accusent en 1975 les effets du premier choc pétrolier, entraînant le retour aux commandes des anciens dirigeants de Chambourcy dont son président, Jacques Benoit, jusqu'en 1985.
Durant cette période, l'objectif est de créer une marque de gamme forte autour de Chambourcy et de ses marques filles, la Laitière, Kremly, Flanby, Viennois, Sveltesse, dans un univers concurrentiel qui compte Mamie Nova, La Roche aux Fées, Danone, Gervais ou Yoplait.La Laitière propose le yaourt sur coulis de fruit en 1979, arrêté en 1984 en raison d'un trop faible tonnage puis relancé.
Les premières campagnes télévisées mettent l'accent, de 1977 à 1979, sur la spécificité du produit,le yaourt au lait entier. A partir de 1979, la marque joue sur le registre de la tradition et de l'authenticité, avec des campagnes de presse et d'affichage vantant les mérites d'"un bon yaourt comme autrefois": "L'authentique laitière, c'est Chambourcy." Au même moment, l'icône de Vermeer figure sur l'étiquette du pot en verre.
Première révolution : la Laitière devient le symbole de la marque. Jusqu'en 1983, les films publicitaires animent cette laitière dont les gestes illustrent l'authenticité de la fabrication. La Laitière joue aussi la carte de la douceur maternelle, avec des films sur le thème de l'allaitement et la transmission de "maman à petite fille".
"Durant cette première période, le yaourt en pot de verre demeure la seule locomotive de la marque.", rappelle Jean-Claude Marcantetti.
Au début des années 1990, la gamme propose une vingtaine de produits en pot de verre ou, pour certains comme le gâteau de riz, en pot d'aluminium.
La révolution stratégique, pour la Laitière,date de 1986, quand Chambourcy fusionne avec La Roche aux Fées(7). "Il s'agit de définir une nouvelle gamme commune entre les deux sociétés sous l'ombrelle Chambourcy, conduisant à faire des choix en matière de produit, de référence, de conditionnement, de recette et de marque, avec comme impératif de ne perdre aucun tonnage. Exercice délicat, dans la mesure où les deux entreprises commercialisent la totalité des variétés dans vingtcinq segments !", se souvient Gilles Pacault, alors directeur du marketing. Détenant une position de leader des yaourts en pot en verre, la Laitière est laissée sur ce segment premium. Son territoire s'enrichit avec la crème fraîche (ex-La Roche aux Fées), le fromage frais faisselle moulé à la louche (1986), la relance des petits suisses (abandonnés au bout de deux ans car le segment est dominé par Gervais avec 70 % du marché) en 1988, et la même année les yaourts sur divers coulis de fruits et de miel, et d'autres aux arômes de fruits (citron…). "En 1987, la relance de la marque Chambourcy, après treize ans de silence publicitaire, se fait avec un slogan commun, "Chambourcy, oh oui !", et une musique elle aussi commune à l'ensemble des marques filles, mais adaptée à chacune(8)", rappelle Gilles Pacault, maître-d'oeuvre de ce tournant.
Quand certains ne jurent que par le maintien strict de la Laitière dans l'univers des produits blancs, la marque devient transversale, étendant son territoire aux produits "bruns" ou desserts laitiers frais. Pour autant, cette première grande extension est en cohérence avec l'humus de la marque, proposer des recettes authentiques, faites comme autrefois: "La laitière de Chambourcy, le passé n'a jamais été aussi présent. Chambourcy,oh oui !" C'est dans des ramequins en verre que la Laitière commercialise en 1989 des entremets cuits et dorés au four, selon les recettes traditionnelles à base de lait, des grands gâteaux en moule aluminium faits comme à la maison, prêts à être présentés et partagés. La même année, la crème caramel aux oeufs frais Chambourcy en pot de verre passe sous la marque la Laitière(9). Au début des années 1990, la gamme propose une vingtaine de produits en pot de verre ou,pour certains comme le gâteau de riz, en pot d'aluminium(10). Sur le plan publicitaire, la marque disparaît du petit écran mais demeure en presse et en affichage.
La gourmandise sous l'ombrelle de Nestlé
Une troisième révolution advient pour la Laitière quand, en 1996, Nestlé se substitue à Chambourcy pour devenir la marque internationale des produits laitiers frais. "Nestlé, c'est bon la vie"signe désormais toutes les campagnes, avec le jingle de Chambourcy. Arnaud de Belloy (directeur général commercial de Nestlé France), alors directeur du marketing, se souvient: "De quinze marques, nous sommes passés à cinq. Nous avons ajouté à la dimension pureté de la Laitière, marque alors devenue prioritaire pour Nestlé, une dimension gourmandise." La même année, la Laitière signe les Petits Pots de crème au citron, saveur vanille, et au chocolat, avec, ce qui est nouveau, du lait, des oeufs et du sucre. Ils sont bien sûr cuits au four dans leurs ramequins en verre. "Avec les Petits Pots,le succès a été tout de suite au rendez-vous. Notre conseiller, le pâtissier Michel Guérard, a jugée la recette excellente. On était obligé de décaler les publicités et les actions promotionnelles, car nous n'arrivions pas à suivre la demande", se souvient Arnaud de Belloy. La marque lance également le premier gâteau au chocolat en entremets individuel et deux nouveaux entremets, le flan aux pommes caramélisées et le gâteau au citron. Leader avec 70 % du marché des yaourts en pot verre, la Laitière, numéro un avec le riz et la semoule au lait, s'arroge 40 % du marché au rayon frais pour ces deux produits.
La campagne orchestrée en 1997 par l'agence Ogilvy, qui vient de succéder à FCB, participe de cette expansion. "Avec Nestlé, nous avons enfin les moyens financiers pour communiquer. L'objectif est de contrecarrer l'offensive de Charles Gervais, présenté dès 1993 comme un chef pâtissier exigeant, mais également celle de Yoplait", résume Arnaud de Belloy. L'agence imagine de transformer la sage laitière en héroïne qui change le cours de l'histoire par le fumet de ses recettes. La saga commence avec la Révolution française : des révolutionnaires vont prendre la Bastille quand ils sont arrêtés dans leur élan par l'odeur, au choix, de la crème caramel ou des yaourts. "L'histoire attendra que je finisse cette crème au caramel", tranche un sans-culotte. "Son petit pot de crème restera dans l'histoire", conclut la publicité. "Pour évacuer l'image parfois sanglante de la Révolution française, nous avons choisi le ton de l'humour." Au reste, la Laitière, personnage intemporel, peut changer le cours de choses en dehors des périodes révolutionnaires, comme l'attestent les publicités ultérieures, "Le clafouti aux cerises du roi : ce clafouti est une trouvaille ! – Non sire, c'est une révolution" ou celle de "Ravaillac"(11). Elle peut être aussi source d'inspiration quand, en 2002, grâce à Douceurs de lait, Rouget de Lisle crée la Marseillaise en tapant avec sa cuillère sur les petits pots. Et de conclure: "La laitière restera dans l'histoire." La révolution n'épargne pas l'emballage. En 1998, la Laitière quitte son tableau format timbre poste pour faire corps avec l'ensemble du packaging.
Après plusieurs années d'absence de Nestlé sur le segment des yaourts aux fruits, le groupe lance en août 2003 les yaourts la Laitière Fruits pâtissiers, qui marient la catégorie des desserts avec celle des yaourts(12). La publicité transporte la Laitière dans un banquet médiéval au cours duquel deux seigneurs se querellent sur la place de la tarte ou du yaourt dans ce nouveau produit. Avec cette gamme en pot plastique, la Laitière abandonne le pot en verre. Révolutionnaire! Pour autant, il est des révolutions sans lendemain. Celle, entreprise en 1999, qui étend le territoire de la Laitière au rayon épicerie, alors dominé par Mont Blanc et Yabon. Pari risqué, car le marché des desserts prêts à consommer en conserve chute en volume de - 15 % entre 1996 et 1997 et de 4 % entre 1997 et 1998. Sans investissements publicitaires, la marque y propose quatre desserts laitiers appertisés, à base de riz et de semoule. La vente de Mont Blanc, en 2003, met fin à l'aventure. Autre diversification vite abandonnée, la tablette de chocolat au lait lancée en septembre 2002. Peut-on proposer la Laitière non plus au lait entier mais au lait demi-écrémé ? Extension risquée, mais tentée en 2003. Commentée façon Actualités Gaumont des années cinquante, la Laitière propose, en avril de cette annéelà, dans un écran signé Patrice Leconte, la "révolution pour les femmes", des desserts au lait demi-écrémé. Fini le corset, "elles peuvent désormais porter une tenue légère et décontractée". Malgré un message pertinent, le produit ne trouvé pas sa place. Du danger de trop tirer une marque en oubliant ses fondamentaux…
"Tourbillon de fruits doit �tre au sorbet ce que les recettes p�tissi�res sont � la cr�me glac�e classique"
L'expertise de la cuisinière apportée aux glaces
2002 connaît la quatrième période révolutionnaire pour la Laitière: l'univers des glaces. "Son entrée sur ce marché se justifie par le fait qu'elle apporte quelque chose de nouveau. Le segment des glaces en bac est alors dominé par Carte d'Or et par les marques de distributeurs. Il souffre d'une baisse des volumes depuis plusieurs années, car en termes de qualité les marques proposent des produits standardisés. Les consommateurs souhaitent retrouver un vrai plaisir et découvrir de nouveaux parfums. Il y a un vrai besoin non satisfait par l'offre", explique Bernard Tual, directeur marketing de Nestlé Glaces(13).
Très ancré dans la culture de chaque pays, le marché de la glace présente des disparités en termes de niveau de consommation et d'attentes. La France est le pays européen qui consomme le moins de glaces, mais elle le fait pour le plaisir, le bien-être, la sensation – une cinquantaine de parfums dans les bacs –, alors que la Finlande, plus grand consommateur européen, voit dans la glace l'équivalent du yaourt en France. Pour Nestlé, l'enjeu est triple. "D'abord identifier la glace la plus proche du goût français, tout en proposant du neuf en parfum,car le marché de la glace fonctionne un peu comme celui de la mode, les consommateurs aiment la nouveauté. Il faut ensuite se fonder sur la culture culinaire française, celle du dessert. Enfin, il faut choisir une marque face à Carte d'Or, marque statutaire mais qui manque d'émotion", résume Bernard Tual. Exquise, qui ne détenait que 12 % du marché des glaces en vrac contre 36 % pour Carte d'Or, est abandonnée au profit de la Laitière, gage d'onctuosité, d'authenticité et d'émotion.Une prise de risque importane. Toutes les recettes sont refaites.
La Laitière débarque dans le vrac avec une gamme classique(14 ) dans un format bac aux courbes arrondies et comme slogan "Le vrai bon goût des vraies bonnes choses". Une année lui suffit à franchir le cap des 18 % du marché, en bénéficiant de la force commerciale d'Exquise. Pour nourrir son ambition de devenir un acteur incontournable sur le marché du vrac, elle doit innover. Le cap est mis en 2004 sur les desserts, avec la gamme des Gourmands, un nouveau segment proposant des recettes avec une note pâtissière et pour fer de lance la crème brûlée.Sur le plan publicitaire, contrairement à ce qu'elle faisait à l'origine, la marque ne se contente plus de la reproduction du Vermeer comme signe de culture et de qualité. Elle propose aux consommateurs un voyage numérique: puisque les glaces et les yaourts sont des oeuvres d'art, l'action se situe non dans une cuisine mais dans un musée, avec son inévitable touriste japonais. L'oeuvre de Vermeer est si fascinante que tous ceux qui la regardent sont happés et emmenés de l'autre côté du tableau. A ceux qui ont tenté l'expérience de la traversée, la Laitière en personne offre des glaces tout juste faites. Signature: "La Laitière fait de chaque glace une émotion."
Extension du territoire
Lancée sur le marché en 2005, la Laitière Tourbillon de fruits propose une nouvelle gamme dans l'univers du vrac(15). Pour la première fois,une marque de glace crée une catégorie, le "fruit gourmand", par le mélange de contrastes et de textures entre mousse, sorbet et coulis: sorbet cassis, mousse mûre, coulis de fruit rouge (trois textures et trois parfums). "Tourbillon de fruits doit être au sorbet ce que les recettes pâtissières sont à la crème glacée classique", résume Bernard Tual. Il s'agit de surprendre par le mélange des couleurs et par celui des parfums. Pour la première fois, en 2005, Publicis, agence historique de Nestlé pour les glaces, met en scène le personnage de la Laitière en extérieur, dans une scène champêtre, "pour donner à l'icône une image fraîche en cohérence avec la gamme Tourbillon de fruits", explique Bernard Tual. Assise avec ses amies dans un parc, près de paniers de fruits, la Laitière met en oeuvre son savoir-faire grâce à une idée tirée de l'inadvertance des enfants qui,jouant à la balle, renversent deux paniers.
Le savoir-faire de la Laitière s'enrichit quand Nestlé achète, en 2003,le glacier américain Dreyer's et sa technique révolutionnaire baptisée Low Temperature Freezing (LTF). Cette méthode de brassage lent à très basse température permet d'obtenir naturellement une glace onctueuse mais avec moins de crème, tout en renforçant le goût originel du parfum. Conséquence sur le plan des calories: la glace vanille passe de 119 à 106 calories, la chocolat de 143 à 115, la café de 137 à 110 et la nougat de 134 à 125.
Autour de la nouvelle gamme des Classiques, un film de l'agence Marcel (groupe Publicis) communique: "Onctueuse et légère. Lentement fouettée." C'est la même agence qui promeut, en 2006, le "Craquant", toujours fabriqué par la Laitière dans sa cuisine. "La Laitière ? Elle n'a pas fini de nous surprendre !" La preuve? Chassant sur les terres de Magnum, elle entre sur le segment du bâtonnet, produit déambulatoire d'impulsion, avec le Craquant chocolat, décliné dans une forme inédite en cinq saveurs et une ganache au chocolat truffée de nougatine. Répondant au souci sanitaire des consommateurs, la Laitière propose, en 2008, six nouvelles références de sorbets(16). "Les Français ne veulent pas entendre parler de glaces allégées, mais la tendance aux produits bienêtre se confirme", analyse Bernard Tual. La Laitière lance le "pur sorbet", révolution sur le plan gustatif car plus riche en fruits, et révolution sur le plan nutritionnel car moins riche en sucre (– 20 % par rapport à la moyenne des sorbets). "C'est un défi technique, car la glace est comme une cathédrale, il lui faut une architecture sucrée pour tenir", explique Bernard Tual. Comme le souligne Simone Prigent, directrice du département nutrition de Nestlé, "l'innovation des sorbets participe de la volonté du groupe d'aller vers le plaisir et le bien-être." Cette démarche est illustrée par le bouton nutritionnel présent sur tous les emballages depuis 2008. La publicité, gérée par l'agence JWT depuis 2007, nous le promet : "La laitière a trouvé le juste équilibre." Elle le prouve aussi en ouvrant les portes de la cuisine pour montrer aux enfants comment se fait la glace. "Auparavant, la communication des glaces cachait la fabrication, qui devait rester mystérieuse. La Laitière prend le contre-pied", explique Bernard Tual.
Contre-pied également dans le mode de distribution. Commercialisée jusqu'alors comme simple produit dans l'univers de la restauration hors foyer(17), la Laitière accroît sa visibilité en entrant en tant que marque dans les restaurants, traditionnels et chaînes intégrées (Accor, Courtepaille…), soit vingt deux mille points de contact, avec comme promesse : "Comme pour tout, votre restaurateur choisit le meilleur."
L'ultrafrais chez Lactalis
Craquant et fondant - 2006
L'union fait la force. Nestlé ne l'ignore pas qui, avec 11 % des produits laitiers frais, peine face aux 30 % de Danone et aux 30 % des marques de distributeurs. Même si la Laitière s'arroge la première place dans les desserts ultrafrais avec 16,5 % du marché en valeur. Le groupe suisse décide, en décembre 2005, de s'allier à Lactalis (ex-Groupe Besnier) dans une filiale commune, Lactalis Nestlé Produits Frais (LNPF), contrôlée à 60 % par Lactalis et à 40% par Nestlé. Entérinée par le Commission européenne le 1er novembre 2006, le joint-venture rassemble les activités ultrafrais des deux groupes, yaourts, yaourts à boire, fromages frais et desserts lactés dans neuf pays européens(18).
"Nestlé demeure propriétaire de la marque la Laitière et Lactalis lui verse des royalties. La brand champion,responsable de la marque, de ses valeurs, de ses codes d'expression, est la business unit la Laitière dans la division ultrafrais. Le département glaces est bien sûr étroitement associé à l'évolution de la marque", explique Valérie Blanc, chef de groupe LNPF. Preuve que les liens ne sont pas rompus, le dessert Craquant et Fondant, lancé en avril 2006, fruit de trois ans de recherche, bénéficie de la double expérience de Nestlé par ses activités glaces et chocholats.
Le film signé Ogilvy met en scène la même actrice qui promeut les glaces.Son savoir-faire est toujours mis en valeur comme l'attestent les plus récents films: "C'est en passant ses petits pots de crème d'un seul coup du chaud au froid que la Laitière leur donne une texture ferme si fondante"; "Si la Laitière est aussi concentrée quand elle prépare son riz au lait, c'est qu'elle sélectionne elle-même son riz et qu'elle est la seule à maîtriser sa juste cuisson"; "Seule la Laitière connaît le juste temps pour réussir un yaourt incomparable. C'est là le secret de son yaourt au lait entier". Ni mère ni grand-mère, encore moins servante, mais cuisinière maternelle, moderne même si elle vient du passé, la Laitière est intemporelle. Elle apporte la paix, le calme, quand tout s'agite autour d'elle. Elle rassure, quand l'inquiétude prévaut. Une idée pour un tableau ?
Notes
(1) - La société créée en 1934 sous la raison sociale A.L.B., pour Aboucaya, Lapeyre et Baillivet, prend le nom de Chambourcy en 1948. La société J. A. Benoit, fondée en 1949 par deux frères, Jacques et André Benoit, prend une participation dans Chambourcy en janvier 1962 puis fusionne avec Chambourcy le 1er janvier 1966. La marque Benoit disparaît, cas rarissime d'une marque éponyme qui s'efface devant une marque non éponyme. Les événements de mai 1968 conduisent les frères Benoit à se rapprocher d'un grand groupe. Ils choisissent dans un premier temps Unilever, mais craignant d'être évincés de la direction, se reportent sur Nestlé qui entre en octobre 1968 à hauteur de 20 % dans le capital, prend la majorité en 1978 avec 59,4 % et devient l'unique actionnaire en 1988. Jacques Benoit restera chez Nestlé jusqu'à la fin des années 1980, avec le titre de responsable des yaourts Nestlé pour le monde.
(2) - Une histoire de gourmandise, édition Nestlé, 1998.
(3) - Depuis le début des années 1950, des yaourts au lait entier étaient commercialisés dans des pots en verre consignés.
(4) - La Roche aux Fées relance sa gamme en 1976, avec pour slogan "Le pays du lait entier". Monument qui donna son nom à un lieu-dit, La Roche aux Fées devient le nom de la marque de produits laitiers créée en 1935 par Pierre et Marie Saulais. Cédée à Unilever en 1965, elle passe dans le giron de Nestlé en 1986.
(5) - L'Anglo-Swiss Condensed Milk Co, fabrique de lait condensé, fut créée en Suisse, en 1866 par deux américains, Charles et George Page. cf. Nestlé, cent vingt-cinq ans de 1866 à 1991, par Jean Heer, édition Nestlé.
(6) - La Laitière fut peinte en Hollande en 1658 par Johannes Vermeer (1632-1675) dans l'atelier de sa maison de Delft.
(7) - La fusion est préparée entre janvier et juin 1985; les deux sociétés ont la même part de marché (11 %), le même tonnage, le même nombre d'usines.
(8) - C'est la reprise du jingle de La Roche aux Fées, légèrement retravaillé. La musique devint un tube, J'ai faim de toi,chanté par Sandy Stevens, numéro un au Top 50 pendant plusieurs semaines. Un fait exceptionnel dans l'histoire de la musique.
(9) - A l'origine, ce produit appartenait à la gamme Vitho sous la marque Orly. Il est passé sous l'appellation crème caramel de La Roche aux Fées, puis crème caramel Chambourcy, puis la Laitière.
(10) - Gamme la Laitière en 1990: yaourt nature au lait entier, yaourt saveur vanille, yaourt saveur citron, yaourt sur coulis de cerise, abricot, poire Guyot, fraise ou fraise des bois, petits suisses au lait entier, crème fraîche épaisse, fromage blanc de campagne, fromage de campagne en faisselle, crème caramel aux oeufs frais cuite et dorée au four, crème brûlée aux oeufs frais, gâteau de riz au caramel, clafoutis aux cerises cuit et doré au four, gâteau au fromage blanc cuit et doré au four, gâteau de semoule aux raisins cuit et doré au four, entremets au riz.
(11) - Avec le film Ravaillacou "Comment la laitière aurait pu éviter la mort d'Henri IV", la Laitière remporte en 2000 le premier "h d'or", prix créé par la chaîne Histoire et CB News qui récompense le meilleur écran s'inspirant de l'histoire.
(12) - Les yaourts desserts: trois parfums avec morceaux de gâteau (fraise façon tarte sablée, citron façon tarte sablée, poire façon amandine) et trois parfums à base de fruits cuisinés (pommes caramélisées façon tarte Tatin, fraise façon fraisier, pêche caramélisées façon tarte Tatin). Au même moment Danone lance presque les mêmes références avec sa gamme Recette crémeuse.
(13) - Nestlé est présent dans l'univers des glaces depuis l'acquisition, en 1960, de France Glaces (ex Glaces Gervais). En 1989, c'est sous le nom Extrême de Gervais que Nestlé commercialise le cornet de Gervais. En 2000, Maxibon, première référence mondiale des glaces Nestlé, arrive sur le marché français où Nestlé commercialise Exquise, Mega, Kim,Mystère, Crunch, Nuts, Lion, Jungly, Koukoulina et le Pouss Smarties. Avec le lancement de la glace Frubetto en 2001 sous le seul emblème Nestlé, la marque Gervais se fait plus discrète, pour disparaître totalement en 2002.
(14) - Dix classiques à base de crème fraîche (et non plus de matières grasses butyriques), cinq sorbets et quatre glaces pâtissières dont une référence crème brûlée et nougatine craquante, et une autre au citron meringué.
(15) - Le marché de la glace: le vrac (glace en bac, 45 % des volumes de consommation de glaces avec 100 millions de litres), détente-déambulation (cônes, bâtonnets et barres), pôle enfant, SAP (spécialités à partager, bûches de Noël), SEP (spécialité en portion comme Mystère). Le marché n'est pas encore indépendant de la saison, car excepté les ventes de bûches glacées à Noël, 60 % des ventes de glaces se font entre avril et août.
(16) - Seize pour cent des volumes réalisés avec les bacs le sont par les sorbets, 14 % des foyers français consomment des sorbets.
(17) - Marché de la glace en France: 80 % à domicile et 20 % hors domicile (dont 15 % restauration commerciale et sociale et 5 % impulsion (rue, cinéma, plage).
(18) - La France, la Belgique, le Luxembourg, le Royaume-Uni, l'Irlande, l'Espagne, l'Italie, le Portugal et la Suisse. Nestlé apporte ses marques Nestlé, la Laitière, Sveltesse, Yoco, mais aussi Kremly et Flanby en France et en Belgique, Ekabé au Luxembourg, Ski et Munch Bunch au Royaume-Uni, Longa Vida et Yoggi au Portugal, La Lechera en Espagne, Fruttolo et Mio en Italie et Hirz en Suisse, l'ensemble commercialisé sous la marque ombrelle Nestlé. Coté Lactalis, B'A et Bridélice rejoignent le nouvel ensemble qui représente onze sites de production en Europe, un tonnage total de 620 000 tonnes et 1,5 milliard d'euros de vente, soit 13 % du marché français. Son conseil d'administration comprend des dirigeants des deux groupes. Lactalis Nestlé Produits Frais (LNPF) détient le deuxième rang européen du secteur et emploie plus de trois mille personnes. Lactalis devient le numéro deux mondial des produits laitiers derrière Nestlé et devant l'américain Dean Foods et le français Danone. Le chiffre d'affaires 2007 devrait dépasser 9 milliards d'euros et l'emploi représenter près de trente mille personnes.
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