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Revue des marques : numéro 90 - avril 2015
 

Pas de marque sans valeur(s)

La création de valeur(s), au coeur de la marque, prend des formes diverses, complexes et parfois même contradictoires. La marque puise sa force et sa pérennité dans l’équilibre entre utilité client, rentabilité financière et idéal sociétal. Piloter dans le temps cette équation de valeur(s) est un défi majeur pour les équipes marketing.

Fabrice Renaudeau*


Fabrice Renaudeau
Par son étymologie – dérivée de valere, qui signifie « être fort » en latin –, le terme de valeur est directement associé à l’idée de vigueur. Réfléchir au lien entre marque et valeur amène ainsi à explorer les leviers pour créer, maintenir et développer la puissance d’une marque. C’est donc bien de l’essence même de la mission des équipes marketing dont il s’agit.
Les similitudes entre valeur(s) et marque ne s’arrêtent pas là. Le concept de valeur revêt des significations variées : la valeur est tout à la fois importance accordée à un objet, mesure financière et principe moral. Tout comme la marque, la notion de valeur est multiple, elle est une réalité que l’on doit aborder avec des angles d’attaque différents : le client, le propriétaire, l’employé ou le citoyen. Trop souvent, la discussion marketing se concentre sur la meilleure manière de communiquer les valeurs de marque : c’est une démarche superficielle et secondaire, face à l’enjeu existentiel que représente la création de valeur(s) pour une marque. Avant de vouloir faire savoir, la marque doit démontrer quotidiennement, de manière cohérente, que ses valeurs inspirent concrètement ses actions, à ses consommateurs, à ses actionnaires, à ses collaborateurs et plus largement à la société. Nous nous attacherons ici à revenir aux fondamentaux, plus précisément aux sources de création de valeur(s), qui sont des dynamiques fondatrices de la marque.

Orangina

Définir la marque

Fondamentalement, la marque naît autour d’un produit ou d’un service distinctif, émanant de son savoir-faire unique. Pour démarrer ce voyage au coeur de la création de valeur(s), revenons à la définition même de la marque. Dans les années 1990, Jean-Noël Kapferer l’a décrite comme ce qui « révèle, signe et exprime une différence » :
  • « Révèle » fait référence au savoir-faire du créateur, perpétué au coeur du métier de l’entreprise propriétaire de la marque par son expertise, sa technologie ou son art. La formule unique de Coca-Cola, reconnue en aveugle par les consommateurs ou encore la pulpe dans la bouteille d’Orangina.
  • « Signe » se rapporte aux éléments visuels, sonores ou sensoriels qui permettent de reconnaître et d’attribuer un produit à une marque. C’est le logo swosh de Nike, le graphisme décalé de Michel & Augustin ou le design blanc et épuré d’un produit Apple.
  • « Exprime » évoque la prise de parole de la marque au travers de tous ses vecteurs de communication pour se faire connaître des clients potentiels, c’est le faire-savoir, si cher aux marketeurs et aux publicitaires.
  • Et enfin, par « Différence », Jean-Noël Kapferer entend un point de différenciation concret et perceptible, présent dans l’offre produit ou service de la marque.
    Une marque est donc d’abord un produit et/ou un service qui répond à un problème important pour son client en y apportant une solution spécifique et de qualité.

Le client, première source de valeur

La première source de valeur de la marque est son utilité pour le client, reflet de la solution tangible, pertinente et unique qu’elle lui apporte. Le client attache de l’importance à la marque, fondamentalement, car elle résout un problème qui est pertinent pour lui, de manière unique, par ses produits ou services. C’est ainsi que le client accorde une certaine importance à la marque, donc une certaine valeur.
Cette valeur perçue par le client peut être de deux types :
  • valeur d’usage : ce sont les bénéfices tangibles comme la satiété, le rafraîchissement, le nettoyage des tâches ou encore l’hydratation de la peau ;
  • valeur d’image : ce sont les bénéfices émotionnels, et notamment ceux qui renvoient une image valorisante à son utilisateur, comme la confiance en soi, la sécurité ou la fierté.
D’ailleurs, la distinction théorique entre les deux sources de valeur s’estompe souvent dans la réalité, tant les deux dimensions sont liées. C’est par la qualité et la pertinence de son offre, reflet de son savoir-faire, que la marque peut délivrer valeur d’usage et valeur d’image. C’est ce que nous pourrions appeler « l’utilité » de la marque, qui est sa première source de valeur (extension de ce que les anglo-saxons appellent le Brand Utility). Cette approche assez basique – chaque marque doit d’abord « faire son job pour le client » – est confirmée par les sciences cognitives.
Un consommateur n’est pas un être rationnel ; il effectue ses décisions d’achat en utilisant des jugements heuristiques en quelques microsecondes, comme le montre Phil Barden dans Decoded (1) : il privilégie ainsi inconsciemment ce qui est à la fois attractif et pertinent pour lui, c’est-à-dire la meilleure réponse à son problème clé du moment. Ce contrat, base de l’utilité, est donc la condition fondamentale de l’existence de toute marque. Avant de vouloir construire des relations ou « d’engager ses clients », toute marque doit simplement répondre à un problème consommateur mieux que les autres. Même si elle est très triviale, cette première source de valeur est plus que jamais d’actualité, dans des marchés où le choix ultralarge, la micro-segmentation des besoins et le bombardement de messages ont créé une énorme complexité pour le consommateur.
Rien d’étonnant que certains fins observateurs des marques, comme Hervé Monnier dans ses Résolutions marketing 2015 (2), appellent à un retour à ces fondamentaux : innover utile, simplifier la vie des consommateurs et faciliter leur prise de décision.

La valeur pour le propriétaire

De cette utilité pour le client naît une valeur économique pour son propriétaire, la rentabilité de la marque. Quand celle-ci sait répondre réellement à son problème, le client lui accorde de l’importance, même suffisamment d’importance pour qu’il soit prêt à en acheter les produits, à un certain prix.
Le flux financier qui revient ainsi vers la marque crée une deuxième source de valeur, cette fois-ci pour son propriétaire : c’est la création d’une valeur financière, que nous résumerons ici par le terme de rentabilité. La marque crée donc un avantage économique (le montant des ventes aux clients est supérieur aux coûts générés pour son exploitation) pour l’entreprise qui la possède ; la marque devient ainsi un actif, au même titre qu’une usine ou qu’un brevet d’invention. La valeur financière de cet actif marque reflète sa capacité à générer des flux financiers positifs. Face au capital marque présent dans l’esprit du consommateur se construit une valeur patrimoniale inscrite dans les états financiers de l’entreprise propriétaire. Les différentes méthodes d’évaluation financière des marques reposent notamment sur l’actualisation des flux financiers attribuables à la marque sur sa durée de vie économique, c’est-à-dire sur leur valeur future (les cash flows actualisés). La valeur financière de la marque reflète donc sa capacité dans l’avenir à créer une richesse pour son propriétaire.
Outre son orientation vers l’avenir, cette valeur économique de la marque ne tient que par la force de son lien avec le client, c’est-à-dire sa capacité à se faire désirer et finalement acheter par un consommateur. Cette double valeur future pour le client et le propriétaire matérialise en fait un « contrat de confiance » au coeur de notre équation de valeur(s) : un double engagement qualité/prix entre la marque et son client. Comme dans toute la sphère économique, de cette confiance partagée entre un acheteur et un vendeur naît une création de richesse. À l’opposé, lorsque cette relation de confiance est brisée (par exemple lors d’atteintes à sa réputation), la valeur financière de la marque s’érode. Trop souvent, les marketeurs ont une vision restrictive et même conflictuelle de cette création de valeur économique. Pour beaucoup, l’approche financière est avant tout castratrice, car elle impose à la marque des contraintes qui empêchent son développement. Cette vision immature et monolithique considère encore la démarche marketing comme « l’Art pour l’Art », alors que la marque n’est finalement qu’un des actifs de l’entreprise, ni plus ni moins. La marque est un moyen de création de valeur(s) pour les différentes parties prenantes, pas une fin. Si elle ne peut démontrer son utilité au consommateur ni sa rentabilité au propriétaire, quelle est la raison d’être de la marque ?
Lorsqu’elle est menée avec les bons horizons et en collaboration avec les équipes marketing, la rigueur de l’évaluation financière donne, en réalité, un éclairage utile et salutaire au pilotage stratégique de la marque. Une évaluation forte de la marque fournira de solides arguments pour accentuer les investissements de développement, et à l’opposé une dévalorisation soulignera la nécessité de transformation profonde pour sauver une marque.

La valeur sociétale

C’est par la poursuite d’un idéal d’amélioration de la vie des consommateurs en société que la marque va pérenniser et maximiser sa valeur économique. Comme nous venons de l’expliquer, la marque crée une double valeur, à la fois pour son client et son propriétaire. Au-delà de cette relation purement transactionnelle (utilité/rentabilité), les marques les plus fortes possèdent, revendiquent et sont guidées par un idéal puissant, qui dépasse la sphère économique. C’est ce que Jim Stengel a montré dans son ouvrage Grow (3), publié en 2011. À partir d’une analyse rigoureuse des 50 000 marques de la base de données mondiale BrandZ de Millward Brown, il a isolé les 50 marques championnes de la création de valeur économique sur une décennie. Leur point commun n’est ni leur secteur, ni leur taille, ni leur ancienneté, mais le fait qu’elles poursuivent toutes cet « idéal » clair qui guide leurs actions concrètes. Par idéal de marque, Jim Stengel entend une raison d’être et un impact que la marque cherche à créer dans la vie de ses clients et citoyens. Son approche rejoint la notion de RSE et son corollaire, le marketing responsable, dont Prodimarques se fait régulièrement l’écho. Comme le décrivait Benoît Tranzer, dans le numéro 78 de la Revue des marques en 2012, « l’idéal de marque est la raison d’être essentielle d’un business, une vision partagée qui repose sur la volonté d’améliorer la vie des individus, de contribuer positivement à la société.
Mais attention, l’idéal de marque n’est pas nécessairement lié à l’altruisme ou à la responsabilité sociale de l’entreprise. L’idéal permet de faire le lien entre ce qui motive les entreprises et les consommateurs, en satisfaisant les valeurs fondamentales qu’ils poursuivent. […] Ainsi, la raison d’être de Pampers n’est pas de vendre le plus grand nombre de couches dans le monde, mais la marque existe pour aider les mères à accompagner leurs bébés dans les différents stades de leur développement, pour qu’ils soient toujours sains et heureux ». Paradoxalement, la création de valeur économique est maximisée lorsque le grand dessein de la marque est d’améliorer la vie des consommateurs et la société. Cet idéal n’a d’impact que s’il se matérialise de manière cohérente dans toutes les actions, les produits ou les services de la marque. Ce retournement se réalise parce que les valeurs que la marque va alors porter – joie, relation, exploration, fierté, société – peuvent rassembler et engager à la fois les clients à l’extérieur, mais aussi les salariés à l’intérieur. Incarnées de manière cohérente et tangible, ces valeurs transcendantes permettent alors la synthèse entre les attentes a priori contradictoires des consommateurs, des actionnaires et des citoyens. Cette vision réconciliatrice est également développée par Michael Porter, éminent professeur américain de stratégie à Harvard, lorsqu’il évoque la Shared Value (4) (valeur partagée) comme source de richesse économique et de prospérité sociétale.

La création de valeur(s) peut donc servir de guide aux équipes marketing pour construire des marques fortes, mais pas à n’importe quel prix. Pour être ce fil rouge, la création de valeur(s) doit revêtir trois traits distinctifs :
  • La création de valeur(s) est essentielle à la construction d’une marque forte et pérenne, car elle en est le sujet, l’objet et le projet. On peut donc bien affirmer qu’il n’y a pas de marque sans valeur(s).
  • La création de valeur(s) pour la marque est holistique. Elle est la savante combinaison d’une utilité pour le client, d’une rentabilité pour le propriétaire et d’un idéal sociétal. Toute approche monodimensionnelle de la valeur pour la marque est donc inutile et réductrice.
  • La création de valeur(s) pour la marque est avant tout matérielle. Il s’agit d’avoir de bonnes intentions, mais surtout de les traduire en actions concrètes sur le marché ou en société, qui elles-mêmes vont créer une valeur tangible pour les actionnaires.
Plus que jamais, la marque est la somme de ses actes avant ses paroles, et c’est aux marketeurs d’en déterminer la direction, d’en guider la conception et d’en mener la réalisation de manière efficace et cohérente, au sein de ce triangle de la valeur. C’est une voie étroite et difficile, mais ô combien stimulante et inspirante… c’est également la seule pour que les marques résistent à l’érosion du temps.

Notes

* Directeur Marketing
1 - Phil Barden, Decoded, John Wiley & sons, 2013.
2 - Hervé Monnier, The BrandNewsBlog, 2015.
3 - Jim Stengel, Grow, Crown business, 2011.
4 - Michael Porter, Creating shared value, Harvard Business Review, 2011.
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