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Revue des marques : numéro 90 - avril 2015
 

Les six valeurs de L’Oréal

Les valeurs de L’Oréal doivent être vécues et portées par l’identité de l’entreprise.

entretien avec David Arnera*


David Arnera

Par qui et comment les valeurs de L’Oréal corporate ont-elles été choisies ? Que traduisent-elles de la culture du groupe, de son « humus », de sa singularité ?

David Arnera : La formalisation des valeurs du groupe L’Oréal telles quelles sont exprimées aujourd’hui est récente. Notre culture étant majoritairement transmise de façon orale, elle s’exprime essentiellement dans l’action. Le besoin de les formaliser est lié au contexte d’internationalisation rapide. Un de nos dirigeants avait écrit un texte sur nos valeurs, sous la forme d’un témoignage personnel qui a servi de base de départ. Ensuite, une large démarche d’écoute impliquant six cents personnes dans le monde, sous forme d’entretiens, de focus groups et de questionnaires mêlant une approche qualitative et quantitative a été conduite en 2011.
Une dizaine de valeurs sont ressorties fortement, telles que l’innovation, l’esprit entrepreneurial, la place de l’individu ou la passion pour la beauté. Ensuite, un travail de synthèse et d’articulation a eu lieu avec la direction de l’éthique pour trouver la complémentarité entre les valeurs et les principes éthiques. Le choix final a été opéré avec le comité exécutif du groupe. À la formulation près, il est resté très en phase avec ce qui remontait du terrain, ce qui montre à quel point la culture sous-jacente est partagée.

L Oreal

Les hommes qui ont dirigé le groupe – Eugène Schueller, le fondateur, François Dalle, qui transforma une PME en un grand groupe, Lindsay Owen-Jones qui en fit le premier groupe mondial de produits de beauté et Jean-Paul Agon – ont, chacun, apporté leur empreinte et leurs valeurs. Les valeurs actuelles du groupe en tiennent-elles compte ?

D. A. : Bien sûr. Chacun de ces hommes, de notre fondateur jusqu’à Jean-Paul Agon aujourd’hui, a su nourrir nos valeurs d’entreprenariat, de leadership et d’humanisme, en intégrant l’évolution du monde et de l’entreprise.

Combien faut-il de valeurs et comment les rendre réalistes, attractives, mobilisatrices ?

D. A. : Nous en avons retenu six, auxquelles s’ajoutent quatre principes éthiques, c’est déjà beaucoup. En fait, nous ne cherchons pas à ce que les collaborateurs les apprennent par coeur et les considèrent comme un crédo. Nous veillons seulement à ce que ces valeurs soient vécues dans le quotidien. Par exemple, l’innovation, chez L’Oréal, c’est du quotidien. Pour les rendre réalistes, il faut donc les choisir parmi celles qui sont vécues et sont porteuses de l’identité de l’entreprise. Bien sûr ces valeurs sont partagées au moment de l’accueil des nouveaux entrants dans les séminaires « Discovery ». Pour les principes éthiques, c’est différent : nous cherchons à ce qu’ils soient mémorisés et qu’ils soient considérés comme la « Constitution » de l’entreprise. L’Ethics day, organisé chaque année, remplit cette fonction pédagogique.

Les valeurs sont-elles plus ou moins bien acceptées et partagées selon les générations ?

D. A. : Les six valeurs du groupe sont volontairement partagées d’une génération à l’autre. La passion pour notre métier, l’innovation, le goût d’entreprendre ou la quête d’excellence sont des valeurs portées par toutes les générations, bien sûr chacune à sa façon. C’est en fait plus dans la rencontre avec la culture de chaque pays que les questions se posent. Par exemple, la quête de l’excellence nous amène à vouloir « faire, défaire pour mieux faire » jusqu’à la dernière minute, ce qui peut générer des frustrations pour des cultures qui opèrent davantage dans un cadre planifié. Nous avons donc tempéré cette pratique.

Selon un classement de Capital, L’Oréal arrive en tête des meilleurs employeurs de France. Le groupe est-il aussi bien placé dans le palmarès Great Place to Work ? La marque employeur est-elle un axe stratégique chez L’Oréal ?

D. A. : Nous conduisons régulièrement des enquêtes d’opinion internes qui nous aident à mieux comprendre les attentes de nos collaborateurs afin de mieux y répondre. Nous le faisons toujours au travers d’organismes spécialisés dans les enquêtes d’opinion et nous choisissons toujours des partenaires indépendants d’un système de labélisation. Nous ne travaillons pas avec Great Place to Work et donc ne figurons pas à leur palmarès. L’Oréal a été nommé tout récemment parmi les meilleurs employeurs par le magazine Capital à la suite d’une enquête tout à fait indépendante, menée par le magazine directement.

Selon une enquête réalisée chez les moins de 35 ans, la génération Y, le trio de tête des valeurs souhaitées sont l’adaptabilité, l’écoute et le professionnalisme. Comment L’Oréal en tient-il compte ?

D. A. : Ces trois valeurs sont au coeur de notre culture et c’est une des raisons pour laquelle L’Oréal, malgré sa taille, demeure une terre d’aventure pour les jeunes générations. L’adaptabilité requise pour réussir sur un marché aussi subtil et mouvant va souvent bien au-delà du besoin exprimé, et cela concerne toutes les générations. Nous cherchons à « saisir ce qui commence » : il s’agit non seulement de voir, mais aussi de saisir les opportunités. Ceci dit, l’entreprise a ses lourdeurs, et nous venons de lancer un grand chantier de « simplification » pour faire face à l’effet de taille. L’écoute, 27 % des gens que nous recrutons sont des jeunes, diplômés en France, pour perpétuellement nous renouveler et rester en phase avec les attentes des générations qui montent. Ils sont appelés dès le départ à apporter des idées neuves et à les défendre, tels des entrepreneurs.
Cette énergie est en grande partie le moteur de l’entreprise. Là où nous pouvons progresser, c’est dans l’écoute de leurs besoins, le soutien pour qu’ils réalisent leurs rêves et surtout le feedback en continu. Ils attendent que le « leader » soit un « facilitateur » et sur ce sujet, L’Oréal, comme toutes les entreprises, a un chemin à faire. Le professionnalisme rejoint chez nous le sens de l’expertise. Toute l’entreprise est onstruite autour de l’idée d’être concentrée sur un seul métier. De la base jusqu’au sommet, l’entreprise est dirigée par des personnes qui éveloppent un savoir-faire par l’expérience et transmis d’une génération à l’autre.

Le management chez L’Oréal se fait-il par les règles, par les valeurs ou par un mélange des deux ?

D. A. : Davantage par les valeurs et une culture partagée que par les règles. Notre modèle est plutôt « organique », les décisions sont prises dans le dialogue et l’ajustement mutuel plutôt que par des règles et des processus prédéfinis. Bien sûr, ces règles existent, mais nous cherchons à ce que l’esprit de la règle et l’intelligence de situation prennent toujours le dessus.

On distingue en général les valeurs internes, qui déterminent le « vivre ensemble », et les relations sociales, les valeurs externes à l’intention des parties prenantes – les relations commerciales, l’image du groupe et de ses marques, sa réputation – et, enfin, les valeurs sociétales. Comment éviter la complexité ?

sharing-beauty
D. A. : Chez L’Oréal, les valeurs du groupe, partagées et vécues au quotidien en interne, ne sont pas si différentes des valeurs externes, portées par l’image du groupe et de celles de chacune de nos marques, même si les expressions sont heureusement multiples. Nous partageons une même vision de notre métier, un même engagement pour la beauté pour tous. Enfin, tous les collaborateurs de l’entreprise sont engagés à faire aboutir notre programme de développement durable « Sharing beauty with all » et à adopter partout dans le monde une démarche profondément éthique. Une charte éthique a été ainsi éditée en soixante-cinq langues, pour que chacun des collaborateurs, à travers le monde, puisse agir de manière exemplaire en interne comme avec nos parties prenantes.

Les valeurs ont-elles pour vocation de créer un socle commun permettant de renforcer le lien entre tous les acteurs de l’entreprise, quelle que soit la fonction occupée ou le statut ?

D. A. : Oui, tout à fait. Du reste, ces valeurs ont été écrites suite à une démarche qui a mobilisé des centaines de personnes de tous pays et générations pour faire ressortir ce qui nous unit. Nous ne les vivons pas comme un contrat auquel il faut se conformer. Ces valeurs sont juste la face émergée d’une culture bien plus profonde, faite de pratiques, d’adages, de façons de voir et de faire les choses qui créent un ciment commun. Ceci est vécu dans l’action, ce sont aussi des récits qui sont contés ou des grandes phrases qui sont régulièrement reprises en situation. Par exemple, on parle de la « saine inquiétude » pour décrire l’esprit de challenger qui doit toujours nous guider, en rappelant que les situations ne sont jamais acquises. On peut même dire que L’Oréal, c’est aussi une langue : des adages comme celui-ci, nous en avons des dizaines et continuons à en apprendre au gré des rencontres.

Les valeurs ont-elles la même valence selon les pays et les cultures dans lesquels le groupe est présent ?

D. A. : C’est là où réside le plus grand défi, surtout quand l’entreprise a des racines françaises, avec une culture très implicite. Même si les choses varient d’un individu à l’autre dans chacune des cultures nationales et que le brassage des cultures fait son chemin, la quête d’excellence ne s’exprime pas de la même façon au Japon ou au Brésil, en Allemagne ou aux États-Unis. C’est tout un art du manager que de créer des ponts entre les cultures et de ne pas s’attacher à une forme particulière pour la reproduire à l’identique, mais de saisir le sens et les pratiques qui y correspondent dans la culture « de l’Autre ».

Les valeurs font-elles l’objet d’une « actualisation » ? Certaines cultures et les valeurs qui leur sont liées amènent-elles le groupe à enrichir ses propres valeurs ?

D. A. : Oui, nous cherchons à ce que notre culture se renouvelle et reste en phase avec les défis d’aujourd’hui et de demain et avec la stratégie. Nous avons commencé il y a dix-huit mois – et cela se poursuit – une démarche de mise en débat de notre culture telle qu’elle s’exprime dans nos relations aux consommateurs, la conduite des affaires et le management des équipes, et ce en rapport aux défis de la stratégie dite « d’universalisation ». Ceci nous amène à renforcer des éléments anciens, à corriger des pratiques dévoyées, ou à introduire de façon volontariste des éléments nouveaux, par exemple, en rapport à la transformation digitale.

Y a-t-il chez L’Oréal un gardien du temple des valeurs ?

D. A. : Pas vraiment. Certainement, notre patron joue implicitement ce rôle dans le sens où il incarne pleinement la culture d’entreprise. Il veille en permanence à son évolution tout en en assurant sa continuité. Les managers jouent ce rôle dans l’action et la transmission. La communication interne joue un rôle majeur avec des expos sur la culture de beauté de différents pays, par des témoignages dans les médias internes, en faisant vivre le sens de la mission de l’entreprise par des mises en image, etc. Et puis nous avons tout un dispositif de formation et de rencontres, de lieux de dialogue et réflexion, dédié à ce que nous appelons « vision et culture ». C’est une de nos particularités. Au-delà de ces événements, qui constituent un véritable parcours de l’accueil jusqu’à l’entrée dans les responsabilités de dirigeants du groupe, toutes les formations, qu’il s’agisse de communication, de management ou de marketing, transmettent les valeurs, la culture et les pratiques, tout en les renouvelant.


Les hommes qui ont dirigé L’Oréal,
du fondateur Eugène Schueller jusqu’à
Jean-Paul Agon aujourd’hui,
ont nourri les valeurs actuelles du groupe.

Marque corporate, marque commerciale, mêmes enjeux en termes de valeur ?

D. A. : L’Oréal est une entreprise composée de trente marques internationales, qui ont chacune leur personnalité, leur expression, leur univers propre et des liens créés avec leurs consommateurs et leurs communautés. Il va de soi que les enjeux de la marque corporate priment et que les marques du groupe doivent y contribuer du mieux possible.

Quels sont les terrains/activités où les valeurs sont les plus sensibles à une confrontation avec les parties prenantes dont les consommateurs : la publicité (ne pas tromper), la recherche (pas de test sur les animaux), les produits (leur efficacité/innocuité)…

D. A. : Aujourd’hui, l’entreprise doit être d’une vigilance absolue et adopter une conduite éthique, quelles que soient les parties prenantes. Notre engagement est très ferme sur le sujet et nous avons grâce à la création d’une direction de l’éthique il y a plus de dix ans – rattachée directement à Jean-Paul Agon – développé une charte et des process partagés partout dans le monde pour engager les collaborateurs à toutes les échelles de l’entreprise. Nous sommes aujourd’hui reconnus comme l’une des sociétés les plus éthiques au monde par Ethisphère.

Avez-vous observé une évolution au sein du grand public quant au jugement qu’il porte sur la pertinence ou non de telle ou telle valeur affichée par le groupe ?

D. A. : Nous voyons à travers les études d’opinion sur les entreprises que le grand public s’attache de plus en plus à la façon dont celles-ci s’engagent sur le plan sociétal et environnemental. L’innovation et la performance restent importantes à leurs yeux, mais c’est la capacité à partager et à engager les communautés qui l’entourent qui joue un rôle de plus en plus prépondérant dans la réputation de l’entreprise. Ce sont des sujets que nous avons pris en compte depuis plusieurs années à travers les actions de la Fondation L’Oréal ou encore « Sharing beauty with all », notre programme de responsabilité sociétale et environnementale lancé en 2013.

Les valeurs déterminent-elles les conditions de la contribution de l’entreprise au bien-être des Hommes ?

D. A. : Oui, dans le sens où notre entreprise a pour vocation de soutenir les femmes et les hommes dans leur quête de beauté, de bien-être, d’estime de soi, de confiance. Servir cette quête – en y apportant le meilleur de la science et en étant proche des rêves des femmes et des hommes – crée une énergie phénoménale dans cette entreprise. En fait, ce sens va même plus loin, car nous sommes convaincus que notre métier contribue à émanciper les femmes et partout où cela se produit, la démocratie finit par progresser.
Ensuite, en devenant ce que nous rêvons d’être, les « Nations unies de la beauté », nous souhaitons porter au monde entier toutes les beautés du monde en les mettant à pied d’égalité, contribuant ainsi au respect mutuel et à la paix, plutôt qu’à une hiérarchie et une domination entre les peuples et les cultures. C’est en fait cela notre rêve d’universalisation. C’est de servir une quête qui unit tous les Hommes, une valeur suprême qu’est la beauté, sans laquelle « le monde serait une erreur ».

Comment, dans l’entreprise, vaincre l’accoutumance qui peut détendre l’énergie des collaborateurs et leur faire porter une moindre attention aux valeurs ? Comment les valeurs sont-elles animées en interne ?

D. A. : En interne, ce sont les principes éthiques d’intégrité, de respect, de courage et de transparence qui nous servent de boussole. Et pour cela, nous avons un « gardien du temple », ou plus exactement un chief ethics officer, qui rapporte directement au président. Il a un rôle d’éducation, mais aussi de confrontation et d’arbitrage. Nos pratiques sont perfectibles et elles ne contribuent pas toutes au bien-être des Hommes, mais la règle est posée, on peut en parler, une ligne verte et anonyme est ouverte à tous, nous progressons. Pour ce qui concerne les principes éthiques, nous avons chaque année une Journée de l’éthique, où notre président anime un « Webchat » avec les collaborateurs, cet événement étant démultipliée dans tous les pays. Un module en e-learning obligatoire a été diffusé en 2014 à l’ensemble des collaborateurs. Au-delà des principes éthiques, qui forment une sorte de constitution, les valeurs n’ont pas la fonction d’un code à respecter. Elles sont des mots qui reflètent une culture, c’est-à-dire des pratiques qui se manifestent dans l’action.
Par exemple, l’innovation est bien plus qu’une valeur, c’est un focus quotidien et cela se manifeste par des nouvelles molécules, des nouveaux packagings, des nouveaux services, tel « Make-up Genius ». Autrement dit, les valeurs ne sont pas chez L’Oréal une sorte de crédo qui fait loi. Elles sont l’expression d’une culture et de pratiques qui évoluent en permanence et cette expression pourra changer. C’est par la confrontation aux réalités du marché, aux défis de la stratégie et à la mise en débat que ces valeurs et cette culture vivent, et bien moins par la recherche d’une conformité.

Notes

* Directeur des ressources humaines L’Oréal, en charge de la culture du groupe.
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