Retrouvez la vie des marques sur www.ilec.asso.fr
Accueil » Revue des Marques » Sommaire » La revue des Marques numéro 89
Top
Revue des marques : numéro 89 - janvier 2015
 

Les marques seront durables ou ne seront pas !

L’heure est au rapprochement entre l’univers de la marque et celui du corporate, avec, pour ciment, la dimension sociétale.

Patrick d’Humières*


Patrick d’Humières
Patrick d’Humières
La relation à la marque commence par le produit et se poursuit par l’entreprise. De fait, on sait depuis longtemps qu’on ne peut plus gérer des relations de fidélisation du client, construisant une préférence dans les décisions d’achat, si on ne s’appuie pas rapidement sur une information d’entreprise cohérente, qui rassure le client dans son choix et qui fait le lien avec son univers élargi de citoyen, de salarié, voire d’actionnaire. Le lien entre l’univers de la marque et celui du corporate est un terrain qui n’a cessé de démontrer sa pertinence dans les années récentes, du fait de la pression croissante des enjeux collectifs, dont chacun sait qu’ils sont présents derrière les offres commerciales, qu’il s’agisse des questions de pollution, de rareté des ressources, de conditions de travail dans les pays émergents ou de pratiques éthiques, soulevées ici et là. La doxa marketing a tenté de retarder ce rapprochement en imposant un enseignement dont la rationalité ne s’avérait juste que dans les situations « hors sol ». Mais la réalité sociétale a eu raison de cette fausse « muraille de Chine » entre médias et « hors-médias » ; les démarches publicitaires, qui croyaient découper en morceaux un consommateur de plus en plus malmené dans sa vie quotidienne, ont été submergées par cette dimension sociétale – alors même que la promotion disait le contraire –, par une profusion de cobranding humanitaires qui ont voulu donner du sens à des marques que le discours ludique ne suffisait plus à porter...

Le besoin de sens

Les marques sont des entités vivantes, du moins celles qui intéressent les consommateurs et qui savent les impliquer. Il était donc normal que l’épuisement du cycle d’équipement des ménages, concomitant avec les Trente Glorieuses, auquel a succédé le cycle de maturité d’une consommation où le plaisir s’ajoute à l’usage et où la légitimité complète le besoin, donne lieu à une communication de nature différente. On aura mis longtemps à en tirer les conséquences, essentiellement du fait des inerties économiques dans la construction de la chaîne de valeur. Mais sous la pression de leaders – comment ne pas citer Danone hier, L’Oréal aujourd’hui et d’autres grands acteurs de référence – et sous le double effet du niveau critique du débat public et de l’épuisement des codes, les marchés ont intégré cette dimension sociétale, non plus seulement pour excuser le mercantilisme ambiant, mais pour répondre au besoin profond de sens qui tire désormais l’ensemble des relations économiques.
Rappelons-le, si on l’oublie chez les concepteurs isolés, le monde de la consommation reste le monde du quotidien heureux et malheureux à la fois, en proie aux angoisses du réchauffement climatique, de la concurrence des émergents, des tiraillements sociaux et des craquements culturels qui influencent nos motivations. « La nondurabilité du monde » n’est pas un scénario de croissance inventée par les économies émergentes : c’est le contexte de notre économie mondiale à moyen terme, dont nous sommes solidaires et responsables. C’est aussi la feuille de route pour la révision de tous les schémas de production et de consommation, si nous voulons avoir une planète respirable, capable de bien nourrir ses dix milliards d’humains et de traiter ses risques de rupture par la voie négociée et plus seulement militaire. Si on dit que les vrais politiques sont ceux qui ont le sens du tragique, les vrais économistes et industriels sont ceux qui ont le sens du réel à horizon d’une vie et plus. La corde de rappel planétaire touche désormais le consommateur, qu’on ait ou non envie de lui parler de ces risques et qu’on souhaite ou non les traiter dans l’offre futile ou nécessaire ! De ce fait, les marques qui ne s’approprient pas dans leur identité un nouveau rapport au monde réel, à cette complexité « interpellante », qui la nient ou la défient, sont inévitablement typées et prennent le risque du « vintage », de la niche ou de l’antisocial, qu’on rejettera de plus en plus, implicitement sinon expressément, car notre consommation est notre premier vote citoyen et la structure de notre vivre-ensemble. C’est la force irrésistible de la recherche de durabilité qui mène désormais le monde, jusqu’à conduire les dirigeants chinois et américains à passer des accords de limitation du CO2, ce que d’aucuns n’avaient pu imaginer possible ou probable !

Triple défi

Code barre
Mais rendre un discours de marque durable n’est pas qu’une question de prise de conscience ou une habileté de création, ni ne se réduit à des paramètres, verts ou sociaux, dans l’équation-prix. La dimension durable est un défi de crédibilité avant tout. C’est toujours une promesse ; c’est un territoire et un contrat, pour reprendre les fondamentaux de la marque. C’est en fait une façon sérieuse, vraie, d’associer le consommateur à la transition vers une relation attentive aux enjeux du monde, du sien et au-delà, par une voie claire, appréhendable, positive et constructive à la fois. On peut consommer mieux sans s’angoisser ; on peut aussi croire en la marque, si elle ne vous trompe pas, si elle trouve un ton juste et des arguments vérifiables… Tel est le défi d’intégration de la confiance dans les stratégies durables des marques, qui passe par trois conditions de succès bien établies : le portage par l’entreprise, l’engagement de fond, la capacité à démontrer.
L’entreprise est le socle de crédibilité des marques ancrées dans les défis de notre époque et qui savent y répondre par une valeur d’usage forte et une valeur sociétale réelle. Il ne peut y avoir de discours durable d’un produit qui tienne au-delà d’une première campagne si l’entreprise qui la signe n’est pas engagée dans des démarches de responsabilité en profondeur, qui développeront des effets dans le temps et lui construiront une dimension reconnue dans sa communication financière ou corporate. C’est tout l’intérêt des démarches nouvelles, dites de « reporting extra-financier », que d’aider les entrepreneurs à manager les processus d’une façon plus compatible avec leurs enjeux sociétaux, qu’ils pourront revendiquer auprès de leurs investisseurs, mais aussi de toutes leurs parties prenantes, chacune ayant une attente particulière : qui sociale, qui environnementale, qui sociétale.
Le deuxième défi de crédibilité d’une marque dans le contexte actuel est de lui associer, depuis l’amont (cf. sourcing des matières) jusqu’à la question du bon usage des produits proposés aux clients, en passant par toute la chaîne complexe de production – directe et indirecte, locale et internationale –, la recherche d’une empreinte améliorée, qu’on mesurera (cf. utilité des analyses du cycle de vie) et qu’on gérera avec un sens pragmatique, progressif et réaliste, de façon à se mettre sur une trajectoire de progrès. Il ne s’agit évidemment pas ou plus de « greenwasher » ses offres, personne ne voulant recevoir de messages simplistes et simplificateurs qui l’instrumentalisent ; il s’agit plus modestement d’associer l’information-produit à la construction d’améliorations transparentes et véridiques, limitées mais lisibles ; c’est tout le défi des démarches d’affichage qui se construisent aujourd’hui et qui cherchent à allier la vérité scientifique et la pédagogie mobilisatrice.
Le troisième défi est celui de la communication à proprement parler, qui doit trouver un langage différent pour associer au produit la signature d’une entreprise qui s’engage et l’information d’une offre qui s’améliore. Il est étonnant de voir qu’à l’heure des réseaux sociaux, peu de démarches transparentes se soient imposées encore sur ce terrain. De fait, ce n’est pas un défi technique. C’est un défi de courage et de culture marketing, cette discipline refusant encore pour l’essentiel de se brider à travers des approches plus véridiques, plus nuancées, moins clinquantes et moins manipulatrices… Il est probable que cette culture de la vente soit forcée d’apprendre à séduire en passant mieux par le réel, par le rapport direct aux situations, en respectant la preuve. C’est le pari qui est fait aujourd’hui dans la démarche qui relie les informations corporate et ACV aux discours et aux publicités et outils de vente, à l’aide des référentiels et des outils multicanaux dont nous disposons désormais (cf. Probeo®). Le saut n’est pas complexe, mais il suppose d’associer le client à l’information sur les démarches de développement durable de l’entreprise et de ses offres, en prenant le risque de le décevoir, de ne pas se comprendre facilement et de ne pas le rassurer suffisamment. Mais c’est le risque à prendre pour être crédible et associer progressivement le consommateur à des démarches de bon usage, de choix différenciés, de fidélités assumées et d’engagement communiqué.

Ancrer le lien entre le consommateur et la marque

Le sponsoring humanitaire, le « couponing » utilitaire, le co-branding solidaire ont montré que les marques pouvaient s’aventurer sur le terrain sociétal et y entraîner leurs clients. Il s’agit maintenant d’aller sur le terrain mieux connu et très attendu d’un développement plus durable pour ancrer des relations entre le consommateur et sa marque, par une implication partagée, dont les preuves corporate accessibles aisément vont servir de rampe d’escalier pour avancer dans un schéma progressif de solution : attentif sans culpabiliser, sérieux sans ennuyer. Le lien reste à inventer entre les démarches d’entreprise, les démarches produit et les relations clients autour de l’enjeu durable des marques, pour que cette cohérence produise une dynamique. C’est le nouveau contrat de responsabilité, qui peut nourrir la confiance dans la marque. L’avenir de la consommation n’est plus affaire d’investissement média ; ce point est acquis depuis la révolution de la communication en réseau ; c’est une affaire de crédibilité et d’implication entre personnes, reliées elles-mêmes au monde, à leur monde. La consommation est le trait d’union le plus fort entre le monde et l’homme, il n’est donc pas surprenant que les marques – qui l’incarnent – doivent servir de guide dans ce qui est aujourd’hui plus qu’une impulsion, une recherche d’identité et de sens. Les grandes marques seront durables ou ne seront pas.

Notes

* Président de l’institut RSE management et directeur du programme exécutif entreprise durable de l’École centrale de Paris.
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privée du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause est illicite. Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle
Bot