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Revue des marques : numéro 87 - juillet 2014
 

Oui à l’huile de palme durable !

L’huile de palme est devenue objet de controverses et sujet d’inquiétude pour de nombreux Français. Mais que lui reproche-t-on ? Une supposée nocivité et un mode d’exploitation intensif qui se ferait au détriment de l’environnement et des populations locales.

par Guillaume Réveilhac


Guillaume Réveilhac
Guillaume Réveilhac
Président de l’Alliance française
pour une huile de palme durable.
Nocivité pour la santé ? Tous les nutritionnistes en conviennent : l’huile de palme n’a pas en soi de caractère pathogène. Elle présente certes un taux d’acides gras saturés important (entre 45 et 55 %), mais c’est précisément ce qui lui donne une consistance naturellement semi-solide à température ambiante et permet aux industriels de se passer du procédé d’hydrogénation partielle, utilisé auparavant avec des huiles qu’il fallait solidifier. L’avantage ? Se débarrasser des acides gras trans qui étaient produits au passage et dont on sait qu’ils ont clairement, eux, un caractère toxique… Mais surtout, et contrairement à l’idée « qu’on en trouve partout », sa contribution en acides gras saturés reste au final très limitée : 10 % en moyenne des apports maximum recommandés par l’ANSES 1 , selon les calculs les plus maximalistes. Voilà qui laisse encore une place confortable aux autres contributeurs que sont le beurre, le fromage ou encore la charcuterie – autant de produits qu’il ne viendrait à l’idée de personne de boycotter mais dont tout le monde sait qu’il convient de les consommer avec modération, dans le cadre d’une alimentation équilibrée et diversifiée…
 

La durabilité : le véritable enjeu

Danger pour l’environnement ? C’est ici que les vrais enjeux se situent. Car même si l’exploitation du palmier à huile n’est pas seule en cause dans la déforestation survenue en Asie dans les vingt dernières années, il n’en demeure pas moins qu’elle garde sa part de responsabilité et qu’il y a une vraie urgence à mettre un terme à cette situation. De même, il est indéniable que la rapide extension des plantations de palmiers à huile s’est trop souvent faite au détriment des populations locales, dont certaines ont été spoliées, ou purement et simplement expropriées. Pourtant, dans ce processus aux conséquences environnementales et sociales inacceptables, le palmier à huile ne porte en réalité aucune responsabilité. Car c’est un paradoxe encore difficile à comprendre en France, mais cette plante présente des caractéristiques qui en font une véritable amie de la nature : grande résistance aux parasites, remarquable longévité (vingt-cinq ans d’activité), mais surtout productivité exceptionnelle puisque, donnant des fruits tous les quinze jours tout au long de l’année, elle offre un rendement à l’hectare dix fois supérieur à celui du soja. La remplacer équivaudrait donc à décupler les terres nécessaires à la couverture des besoins alimentaires de la planète...
De même, pour les paysans des régions concernées, sa culture a été et demeure plus que jamais une véritable opportunité pour sortir de la misère. À titre de repère, on estime que cultiver le palmier à huile rapporte dix fois plus que cultiver du riz… Modernisation des moyens de transports et des logements, augmentation spectaculaire des taux de scolarisation, augmentation des marqueurs sanitaires, les retombées socio-économiques qui accompagnent la montée en puissance de la culture du palmier à huile sont considérables. Loin d’être ce cancer vert que les médias français s’accordent à dénoncer à longueur de reportages, le palmier à huile est donc un outil anti-pauvreté puissant, qui impacte directement le sort des populations concernées dans un contexte où près de la moitié de la production mondiale est le fait de petits planteurs familiaux.
On le voit donc : alors même qu’il va falloir nourrir deux milliards de bouches supplémentaires dans les prochaines décennies, la réponse aux enjeux de durabilité ne peut être l’abandon pur et simple de l’huile de palme. La bannir, c’est non seulement prendre un risque écologique indéniable, mais aussi priver des millions de petits planteurs de l’un des outils de développement les plus efficaces aujourd’hui !
 

Huile de palme durable : la nécessité d’une plus grande exigence

Comment mieux garantir aux consommateurs que cette matière grasse si utile sera vraiment cultivée dans des conditions favorables à l’environnement et aux populations locales ? La réponse est loin d’être simple, tant les acteurs concernés sont nombreux et leurs intérêts divergents. Même si elle est loin de résoudre tous les problèmes posés, l’initiative mise en place en 2004 sous l’égide du WWF et de grandes entreprises agroalimentaires – la RSPO ou Table ronde pour une huile de palme durable – doit être saluée pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’elle fait de l’huile de palme la première culture végétale à avoir bénéficié d’une filière durable. Ensuite parce que, même si ses critères de certification évoluent (trop) lentement à l’heure où les consommateurs du Nord, aiguillonnés par les ONG, réclament une plus grande exigence, elle reste à ce jour le seul organisme international capable de fournir les volumes nécessaires d’huile de palme durable à nos entreprises agroalimentaires.
Mais il faut aujourd’hui aller plus loin. Et c’est pour affronter ce challenge que des entreprises françaises ont pris l’initiative de créer l’Alliance française pour une huile de palme durable. Son programme ? D’abord, apporter aux Français une information claire sur le sujet, en cassant avec force les idées reçues. Ensuite, favoriser l’utilisation d’une huile de palme produite dans des conditions vraiment durables, en mobilisant l’ensemble de la filière (entreprises françaises, distributeurs, raffineurs, producteurs, etc.). Elles sont soutenues dans cette tâche par des ONG de premier plan, présentes parfois depuis des décennies sur le terrain, et seules à même de garantir que l’ambition affichée se transformera en réalité. Les membres de l’Alliance se sont engagés à utiliser 100 % d’huile de palme certifiée par la RSPO d’ici 2015, mais surtout 100 % d’huile de palme durable, sur la base des critères exigeants qu’ils se sont fixés, d’ici 2020 (cf. encadré). Avec l’objectif de faire de la France un pays « 100 % huile de palme durable ». Ambitieux ? Peut-être, mais la dynamique enclenchée est désormais irréversible, et elle commence déjà à changer la donne…
 

Le mythe de l’omniprésence

L’huile de palme est aujourd’hui la 5e huile consommée en France. L’huile de tournesol est l’huile la plus consommée, avec plus de 5 kg par an et par personne. Ensuite, viennent l’huile de colza, d’olive et d’arachide. Cette diversité permet de disposer de l’apport varié des différentes matières grasses. La consommation moyenne d’huile de palme est de 5 g par jour et par personne, soit 2,5 g de matière grasse saturée (environ 10 % des apports recommandés par l’ANSES en acides gras saturés).



Qu’est-ce qu’une huile de palme durable

pour l’Alliance française pour une huile de palme durable ?

Une huile d’origine connue et par conséquent une huile traçable.
Une huile sans impact sur la déforestation et qui respecte les écosystèmes à haute valeur de conservation.
Une huile issue de pratiques culturales respectant les forêts à haute valeur en carbone.
Une huile issue de pratiques culturales qui préservent l’intégralité de toutes les tourbières.
Une huile qui ne provient pas de plantations qui ont recours à la culture sur brûlis.
Une huile qui protège les droits des travailleurs et des populations et communautés locales, en respectant le principe du consentement libre, informé et préalable de ces communautés.
Une huile qui favorise le développement des producteurs indépendants exploitant des surfaces modestes.

 

Jean-Manuel Bluet, directeur du développement durable, coordination CSV Nestlé en France (2)

Jean-Manuel Bluet
Quelles sont, pour Nestlé France, les implications de son engagement au sein de l’Alliance française pour une huile de palme durable ?
Jean-Manuel Bluet : Pour le groupe Nestlé, l’huile de palme est un ingrédient « mineur » (nous achetons moins de 1 % de la production mondiale), qui s’avère cependant « majeur » par son impact, car il est responsable d’une bonne part de la déforestation dans les zones de forêt tropicale. C’est pourquoi, en 2010, nous avons pris des engagements forts à l’horizon 2015 (traçabilité et certification) déjà atteints fin 2013. Mais cela ne suffit pas ! En France, cet ingrédient a été « diabolisé », et il nous a semblé essentiel de nous associer à d’autres acteurs engagés pour promouvoir une filière durable. Cette alliance se veut un canal de communication représentatif à destination des medias, des consommateurs, des pouvoirs publics, pour bien mesurer la réalité de l’usage de l’huile de palme dans les produits alimentaires en France.

La présence d’autres industriels au sein de l’Alliance peut-elle conduire à un partage d’expérience ?
J.-M. B. : C’est l’autre raison de l’engagement de Nestlé que de pouvoir échanger avec d’autres entreprises qui n’ont pas notre taille et notre expérience, pouvoir promouvoir de bonnes pratiques dans tous les domaines possibles, renforcer les liens avec les fournisseurs, avec les ONG…

La filière RSPO (3) serait critiquée sur le plan de la traçabilité parfaite… qu’en est-il réellement ?
J.-M. B. : De fait, la RSPO a plusieurs niveaux de certification, qui peuvent effectivement susciter des interrogations. Le premier, le plus exigeant, certifie une huile « ségrégée  », c’est-à-dire tracée jusqu’au moulin et au groupe de plantation. Le second niveau, moins exigeant, appelé « mass balance », autorise le mélange d’huiles de palme certifiées et non certifiées, on perd la notion de traçabilité totale. Le troisième niveau n’assure plus du tout de traçabilité, c’est une certification dématérialisée : on achète des certificats « green palm » qui garantissent que l’entreprise soutient la production d’huile de palme durable en amont, mais sans qu’il y ait de lien avec le flux physique. Malheureusement, aujourd’hui, la majorité des certificats RSPO relève de la troisième catégorie. Selon le niveau où l’entreprise se situe, l’exigence de traçabilité est donc plus ou moins forte. On peut ajouter une deuxième critique à la certification RSPO : dans ses critères ne sont incluses que les forêts à haute valeur de conservation, très riches en biodiversité, ce qui laisse le champ libre à la déforestation des autres forêts, les forêts dites « secondaires », qui ont pourtant une valeur importante, notamment en ce qui concerne la biodiversité et le captage du carbone. Même constat pour les tourbières indonésiennes, qui, bien qu’elles soient reconnues comme des écosystèmes très importants pour le stockage du carbone, ne sont pas protégées par les critères RSPO.

Souhaitez-vous avoir le label Huile de palme durable pour les deux principaux pays producteurs que sont l’Indonésie et la Malaisie ?
J.-M. B. : Non, car Nestlé a sa propre démarche, résumée dans les Responsible Sourcing Guidelines, reposant sur six principes mis au point depuis 2010 avec TFT (The Forest Trust) : le respect de la législation locale ; le consentement préalable, libre et éclairé des populations locales ; le respect des forêts à haute valeur de conservation ; le respect des tourbières ; le respect des forêts à haute valeur de carbone ; et enfin, l’application de tous les critères du RSPO, qui est une base de travail indispensable, même si nous souhaitons aller plus loin.

Votre objectif de vous fournir à 100 % en huile de palme certifiée en 2015 serait-il atteint ?
J.-M. B. : Depuis septembre 2013, et avec deux ans d’avance par rapport à nos objectifs, Nestlé est certifiée 100 % RSPO (y inclus avec les « certificats verts »), mais le groupe a la volonté d’aller plus loin, vers une stratégie plus ambitieuse : en 2015, 90 % de traçabilité au moins jusqu’au moulin (aujourd’hui, 45 % seulement), et 70 % qui respecteront nos engagements responsables (RSG). Fin 2020, Nestlé s’est engagé à ne plus avoir de lien avec la déforestation.
 
 

Entretien avec Joane Husson, directrice des relations internes et externes, Ferrero France (4)

Joane Husson
Nutella, bouc émissaire des ONG anti-huile de palme depuis la menace d’une « taxe Nutella », a-t-elle été pénalisée dans ses ventes ? Son image en a-t-elle souffert ?
Joane Husson : De fait, Nutella s’est trouvée au centre de la polémique – et c’est une contrepartie de la notoriété de la marque. Il est difficile de parler d’impact direct sur les ventes, car cela ne peut se constater que sur le long terme. Le premier point d’impact porte avant tout sur un des éléments de l’equity de la marque, puisqu’il touche à la confiance des consommateurs : certains d’entre eux ont manifesté leur déception en découvrant la présence d’huile de palme dans le produit. Dans un contexte global de défiance vis-à-vis des marques de l’agro-alimentaire, notre objectif est, bien sûr, de maintenir et restaurer cette confiance.

Comment concilier la nécessaire transparence sur les ingrédients et la fabrication, et le souhait, pour toute marque, de conserver secrètes ses recettes ?
J.H. : La transparence est aujourd’hui une exigence du consommateur. Cependant, le secret de Nutella va bien au-delà des ingrédients qu’il contient, et concerne aussi bien la qualité des matières premières sélectionnées que la façon dont il est fabriqué. Il est vrai que la volonté de maîtriser ce que nous consommons est relativement nouvelle, et c’est ce qui dicte de plus en plus la stratégie de communication des marques. Pour autant, celles-ci ne doivent pas tout dire ni donner d’explication sur tout : elles doivent être transparentes sur les raisons de tenir secrets les process de fabrication, par exemple.

RSPO, The Forest Trust (TFT), l’Alliance française pour le développement d’une huile de palme durable… que manque-t-il à Ferrero en termes de caution institutionnelle pour témoigner de sa bonne foi auprès des ONG et des consommateurs ?
J.H. : Il ne manque rien. En interne, nous analysons cette polémique comme l’aboutissement d’un manque de perception des signaux faibles ayant émergé au sein de notre environnement : nous avons vu ce sujet monter en puissance depuis 2008, mais ne l’avons pas pris en compte à temps. Le climat de défiance vis-à-vis de l’huile de palme va perdurer. Ferrero, qui réalise un travail sur la filière depuis 2005, en est conscient. La polémique nous a conduit à considérer la France comme un territoire prioritaire au niveau du développement de notre communication. Nous sommes membre fondateur de l’Alliance française pour le développement d’une huile de palme durable, dont un des objectifs est de créer une dynamique et de combattre les fausses idées, grâce à l’appui des scientifiques au discours plus crédible pour le consommateur que celui des seules marques. Le travail de pédagogie sera long, la suspicion de nocivité de l’huile de palme étant bien ancrée dans les mentalités, il nous faut donc oeuvrer pour rendre irréprochable l’industrie alimentaire.

Souhaitez-vous avoir le label Huile de palme durable pour les deux principaux pays producteurs que sont l’Indonésie et la Malaisie ?
J.H. : Non, car il faut être vigilant à ne pas trop multiplier et diversifier les labels, les consommateurs ne s’y retrouveraient pas et la confusion porterait préjudice à la vérité des faits. C’est déjà très compliqué pour le consommateur de comprendre ce qu’est une filière d’huile de palme durable, aussi attend-on plutôt de l’Alliance une démarche pédagogique qu’une multiplication des labels.

Dans le cadre de la plateforme nutellaparlons-en.fr, vous avez ouvert votre page Facebook Nutella France et le fil Twitter @ParlonsNutella. Quel est, à ce jour, la teneur des commentaires postés par les consommateurs ?
J.H. : L’échange engagé par Ferrero avec ses consommateurs est très instructif. On observe qu’ils sont satisfaits qu’un débat soit lancé et que Nutella y prenne part. Pour eux, la prise de parole directe de Nutella est gage de crédibilité, elle a permis de mesurer, de nouveau, son capital de conviction. La « star » Nutella est sortie de l’ombre en ouvrant véritablement le dialogue.

Qu’apporte – en interne – la filière huile de palme en termes de management, de process industriel, d’implication des salariés ?
J.H. : Nous avons institué nombre de formations en interne pour présenter la filière, mais la mesure de l’engagement de Ferrero – dès fin 2014, tous nos produits dans le monde seront fabriqués avec de l’huile de palme « ségrégée » – n’est peut-être pas encore connue de tous, car c’est un sujet assez technique. Notre priorité est surtout d’informer le consommateur sur l’utilisation basique de Nutella, ses valeurs nutritionnelles.
 

Notes

(1) Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
(2) Propos recueillis par Jean Watin-Augouard
(3) Roundtable on Sustainable Palm Oil
(4) Propos recueillis par Jean Watin-Augouard
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