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Revue des marques : numéro 85 - janvier 2014
 

Marketing alimentaire, l’enfant roi ?
pas tout le temps !

Viser la cible « enfant » serait l’un des meilleurs moyens de rechercher la valorisation pour les marques alimentaires. Pourquoi, comment et avec quelles limites ?

entretien avec Frédéric Vey
propos recueillis par Benoît Jullien, ICAAL


Frédéric Vey
Frédéric Vey
Directeur associé de
Consopôle Institut
La Vache qui rit, Champomy, Haribo, Kinder… Le monde alimentaire semble le terrain de prédilection pour les marques qui veulent investir la consommation enfantine. C’est vrai… pour partie. De fait, des catégories entières, ou presque, sont profondément marquées par cet axe marketing : produits pour petit-déjeuner, certains fromages, confiserie… Mais d’autres y semblent beaucoup plus rétives. De récentes initiatives, en plats cuisinés (avec Marie) ou en biscuits apéritifs (avec Vico) par exemple, ont été tentées sans succès évident. Docteur en sciences de l’aliment, Frédéric Vey est cofondateur et directeur associé de Consopôle Institut, qui mène de nombreuses enquêtes sur les pratiques alimentaires et accompagne les entreprises dans le test de leurs innovations. À ce titre, la consommation enfantine fait naturellement partie de ses thématiques.
 

Est-il pertinent de prétendre proposer une offre alimentaire spécifique à l’enfant ?

Frédéric Vey : Déjà, de quel enfant parle-t-on ? Dans le monde du marketing, on pense spontanément aux 3-12 ans. Mais, dans les familles, on y intègre naturellement les adolescents. Statutairement, il ne s’agit pas d’une cible homogène. Il vaudrait mieux parler des enfants, avec différents stades : avant la scolarisation d’abord, puis après l’entrée à l’école, qui marque le début de nombreux changements face à l’alimentation avec le début de l’autonomie, et, enfin, l’entrée en sixième qui constitue encore une autre période. Pour simplifier, je dirais que le coeur de cible se situe dans la tranche des 5-9 ans.
 

Dit autrement, y a-t-il alors des goûts enfantins ?

F. V. : C’est en tout cas ce que vise le marketing en concevant des produits qui puissent répondre aux attentes des enfants… mais ce n’est pas toujours le cas. Dans certaines catégories, en fromages notamment, il y a un consensus relatif pour des produits peu forts qui connaissent d’ailleurs un succès indéniable. En ce sens, on peut estimer qu’il existe des produits dédiés, avec des goûts et des textures adaptés, qui correspondent par exemple à une réalité en termes de mastication.
 

Pourtant, les mères semblent la cible prioritaire de ce type d’offres…

F. V. : Sur ce sujet, la réflexion varie considérablement suivant les moments de consommation. Pour le petit-déjeuner, la première contrainte, c’est le temps. Les mamans veulent avant tout que leur enfant ne parte pas à l’école le ventre vide. Ce dernier devient donc alors fortement prescripteur ; son pouvoir important justifie le succès des produits de petit-déjeuner pour enfants. L’enfant dispose d’un levier fort par sa capacité de sanction qui correspond à la culpabilité ressentie par la mère si elle n’est pas parvenue à sustenter son rejeton, d’autant qu’il s’agit d’un repas qui peut être pris individuellement. Le goûter entre également dans ce mécanisme, même s’il affronte des contraintes différentes. Il revêt un statut de récompense, notamment pour les mères actives, qui encourage à accéder aux demandes des enfants. En revanche, le rôle prescripteur de l’enfant est beaucoup plus modeste sur le déjeuner et le dîner. Les parents passent un temps relativement réduit à les préparer, surtout en semaine. L’impératif de la gestion du temps les oblige à limiter la démultiplication des menus. Peu vont concocter un plat pour chacun des membres de la famille suivant ses besoins : il va donc s’agir de trouver un goût consensuel qui puisse contenter toute la maison. Et ce tout particulièrement dans la composante salée du repas. Dans ce contexte, imaginer une offre spéciale pour les enfants, même pour favoriser leur consommation de légumes ou de poissons, reste un travail difficile.
 

Faut-il forcément concevoir des marques spécifiques pour ce marché ?

F. V. : Pas forcément. Même s’il existe des marques clairement positionnées sur les enfants, d’autres sont tout à fait légitimes sur ce territoire. Par exemple, Findus développe une offre adaptée aux enfants avec Croustibat. Inversement, nombre d’adultes consomment du Haribo ! Il s’agit d’une question plus globale de légitimité des marques. Souvent, on aboutit très raisonnablement à une marque ombrelle complétée par une signature enfant.
 

Quels sont les marchés de prédilection pour ce type d’offres ?

Grow
Les fromages, des marques de Bel
par exemple, sont l’une des plus belles réussites
d’un marketing adapté aux enfants.
F. V. : Ils n’ont guère changé. Il s’agit toujours avant tout d’une question d’instants de consommation. Le phénomène semble s’accentuer au petit-déjeuner, où l’offre enfant paraît totalement justifiée. Et il en va de même du goûter ainsi que, plus ponctuellement, des anniversaires : même si certains se l’approprient, ce phénomène n’est pas si récent. Il fait partie de la récompense, comme McDonald’s l’a compris depuis longtemps.
 

Y a-t-il un potentiel de développement pour ce marché, notamment sur le coeur du repas encore peu investi ?

F. V. : La réalité économique oblige à des arbitrages en matière de coûts. Nos enquêtes montrent clairement une augmentation de la sensibilité au prix. Cela favorise les conditionnements familiaux. Certes, il y a toujours des achats plaisir pour valoriser l’enfant et sa mère. Mais, pour ce qui concerne le coeur de repas, la fenêtre de tir est relativement limitée. Les contraintes économiques – jouant sur le prix – et les contraintes sociales – obligeant à la praticité – limitent de telles offres à des marchés de niches, limitées, pour intéressantes qu’elles soient. Certes, elles peuvent permettre de recruter de jeunes consommateurs, notamment – encore une fois – pour faciliter la consommation de légumes et de poissons. Mais il n’y pas vraiment de consommation individuelle dans ce domaine. Les enfants déjeunent à l’école, dans neuf cas sur dix, et le soir dînent en famille, quoiqu’on dise sur la déstructuration des repas. En fait, l’autonomie alimentaire reste le plus souvent limitée au petit-déjeuner.
 

L’atout nutritionnel ne pourrait-il pas être mis en avant ?

croustiba-findus
F. V. : Il s’agit avant tout d’un élément de déculpabilisation pour les mamans… mais il reste aujourd’hui supplanté par la volonté d’acheter moins cher. C’est une réalité économique qu’on observe concrètement, en dehors du babyfood ou éventuellement des grands-parents. Il y a bien sûr des variations socio-économiques, mais les mères recherchent avant tout un discours simple sur l’équilibre et la variété plus qu’un message nutritionnel.
 

Quelle serait la bonne procédure pour un lancement de produit enfant ?

F. V. : Premièrement, il faut s’adresser autant à l’enfant qu’à sa mère, sans dissocier ce tandem. Si le produit est sanctionné par l’enfant, il ne sera pas racheté : en l’occurrence, l’enfant devient proscripteur ! Deuxièmement, l’enfant n’est pas dupe : il saura mettre en avant les éléments qui « feront mouche » auprès de ses parents. Sa perception du produit est donc essentielle. Troisièmement, il faut s’assurer que la mère puisse s’approprier le produit : il ne doit pas être un gadget, mais répondre à un vrai besoin. Reste une question, primordiale en alimentaire : si le produit plaît, à quelle fréquence va-t-il être acheté ? Il doit, en effet, s’inscrire dans une certaine quotidienneté.
 

La ludicité, inhérente à ce type d’offre, est-elle un préalable ?

F. V. : Il ne suffit pas de créer un produit à l’effigie d’un animal sympathique ou de l’affubler d’un design souriant. La ludicité est bien sûr importante, mais surtout si elle s’inscrit dans la gestuelle propre au produit.
 

Vous semblez inciter à la prudence face à ce marché sur lequel vous intervenez pourtant souvent pour vos clients…

F. V. : Il y a toujours des places à prendre ; certains le prouvent. Mais la thématique doit être appréhendée dans le contexte socio-économique de la famille, notamment face aux contraintes de prix et de temps.
 
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