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Revue des marques : numéro 84 - octobre 2013
 

Marques et sécurité juridique

Contrairement à son image rigide et austère, le droit est une matière mouvante et la propriété industrielle une matière vivante, en constante évolution. Où est la sécurité pour le titulaire de marque face à ces changements ?

Armelle Chrétien-Bié *


Armelle Chrétien-Bié
Armelle Chrétien-Bié
Le cadre législatif s'adapte au fil du temps à la modernité, à la pratique qui met en exergue les défauts ou les manques de la loi, aux nécessités d'harmonisation communautaire.
Une marque est un droit acquis sur un signe, appliqué à des produits et services spécifiés pour un territoire donné.

Évolutions quant à l'appréciation du caractère enregistrable à titre de marque d'un signe

Chaque office de propriété industrielle étudie les dépôts qui lui sont soumis au regard du public local. Ainsi, traditionnellement, le consommateur français est-il considéré comme étant peu instruit en anglais, langue dont il posséderait un vocabulaire relativement basique. Il comprend green comme évoquant la couleur verte (Inpi 15-12-2006), easy comme signifiant " aisé ", boat comme signifiant " bateau " (Inpi 08-10-2003), fun évoque l'amusement (Inpi 01-01-2004), clean signifierait " propre " (Inpi 04-08-2004), et kid ou boy désignent tous deux une personne jeune (respectivement " gamin " et " garçon ") (Inpi 26-07-2005). En revanche, cette relative ignorance de la langue de Shakespeare aboutit à l'enregistrement en France d'un certain nombre de termes anglais : Slim-Fast pour des produits alimentaires à faible teneur calorique (1991), Best Travel pour des services de voyage (2004), Sweet Cake pour des pâtisseries (2005) ou Avoine Crisp pour des céréales prêtes à la consommation (2008). Ceci pose inévitablement des problèmes d'opposabilité de ces marques dans le temps. Slim-Fast était toujours considérée comme une marque valable en 2005, même si l'Inpi reconnaissait la même année : " ainsi que tendent à le démontrer les documents fournis par la société opposante suite au projet de décision, le terme Slim est susceptible d'évoquer le terme français MINCEUR pour le consommateur des produits en cause " (1).
La marque Rent a Car, enregistrée en France en 1998 pour des services de location de véhicules, fut prononcée à l'envi par le public français [RAN]-[TA]-[KAR]. Une décision de l'Inpi d'octobre 2006 indiquait ainsi : " Considérant que la marque antérieure Rent a Car apparaît [...] distinctive au regard des produits et services en cause ; qu'en effet, Rent a Car constitue une expression anglaise dont il n'est nullement établi que le consommateur français d'attention et de culture moyennes perçoive le sens exact ". (2) En revanche, une opposition invoquant en 2013 la même marque verbale à l'encontre de la demande d'enregistrement Rent a Car s'est vue rejetée aux motifs suivants : " il résulte d'une comparaison globale et objective des signes que les deux signes ont en commun les séquences Rent, a et Car ; que toutefois, la séquence Rentalcars du signe contesté composée des éléments Rental Cars, largement compris en France comme signifiant “ voitures de location ” est dépourvue de caractère distinctif au regard des services du signe contesté [...] en ce qu'il fait directement référence à l'objet de ces services : des voitures de location ; que la présence de ces éléments dans le signe contesté même s'ils présentent les ressemblances précitées avec la marque antérieure n'est donc pas de nature à créer un risque de confusion " (3). Par conséquent, Rent a Car est encore une marque valable en France, mais l'étendue de sa protection se trouve fortement limitée de nos jours, même vis-à-vis de marques très proches. Le public européen est naturellement plus anglophone et il existe de fortes différences d'appréciation entre l'OHMI et l'Inpi. Ce dernier tend cependant à rattraper son retard en élevant petit à petit le niveau de compréhension du consommateur français en langue anglaise. Bien qu'ayant enregistré en 2012 Speak English Center pour des services d'éducation et de formation, de même que Skin & Sun pour des gels et huiles de bronzage, en 2013, l'Inpi met la barre plus haut en rejetant Skin Lift pour des crèmes cosmétiques et en considérant que Suitecare déposé pour des logiciels, n'était pas enregistrable : " La dénomination déposée “ Suitecare ” est composée du terme “ suite ” et du terme anglais “ care ”, qui signifie soins. L'ensemble ainsi formé sera compris comme une suite de soins et s'entend de soins de suite ou de réadaptation dispensés dans le cadre d'un traitement ou d'une surveillance médicale [...] ".
 

Les évolutions sur les libellés de produits et services

Slim fast
Pour aider les déposants de marque à choisir les produits et services à revendiquer dans leur dépôt, une classification officielle a été élaborée (4), comprenant trentequatre classes de produits et onze classes de services, avec des libellés " standard ".
Cette classification tente de ranger tous les produits et services existants et à venir dans des catégories générales : les produits chimiques en classe 1, les instruments de musique en classe 15, et les services de restauration et d'hébergement en classe 43… il en résulte inévitablement des classes " fourre-tout ".
Cette classification n'est utilisée qu'à des fins administratives, ce qui signifie que deux produits listés dans la même classe ne seront pas pour autant considérés en jurisprudence comme identiques ou similaires. Ainsi, la classe 9 regroupe à la fois les machines à calculer et les extincteurs, qui sont pourtant des produits de nature très différente. Dans un but de simplification, il est possible de reprendre les termes exacts de la classification sans adopter de formulation personnalisée. Il convient cependant de bien s'assurer que ce libellé général couvrira les produits et services pour lesquels la marque sera réellement utilisée. À cet égard, l'OHMI a déclaré 5 que le fait d'opter pour le libellé général emporte protection pour l'ensemble des produits ou services pouvant être inclus dans ladite classe. D'autres offices, comme l'Inpi, considéraient au contraire, que tout produit ou service non expressément listé n'était pas couvert. Ainsi, l'Office français le rappelle : " Le libellé de chaque classe n'est pas obligatoirement à reprendre tel quel et il est conseillé de choisir parmi les produits et services proposés ceux qui vous concernent directement. Cet aperçu n'est pas non plus exhaustif et vous pouvez, si vous le souhaitez, mentionner d'autres produits et services. " Prenons par exemple la classe 3 de la classification de Nice, qui vise les " préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices ".
Le cirage et l'encens n'y sont pas expressément mentionnés, mais entrent cependant dans cette classe. Or, si l'on s'en tient à ce libellé standard, aux yeux de l'Inpi, ces deux produits ne seront pas protégés. Pour éviter toute méprise sur la portée de sa marque ainsi que les aléas de l'interprétation, il est donc préférable de lister les produits et services exacts pour lesquels la marque sera effectivement exploitée.
 

Les évolutions du territoire

L'Union européenne, elle aussi, évolue : de quinze États membres en 1996 à la naissance de la marque communautaire, elle s'est aujourd'hui agrandie à vingt-huit, depuis l'adhésion de la Croatie, le 1er juillet dernier. La marque communautaire s'est automatiquement élargie à chaque adhésion. Or, le titulaire d'une marque communautaire enregistrée depuis plus de cinq ans peut se voir attaquer en déchéance de ses droits s'il ne peut prouver un usage sérieux de sa marque " dans la Communauté " (6).
La question est donc de savoir si cela implique un usage dans chaque pays de l'Union. Commodément, il a été convenu que " la condition de l'usage sérieux d'une marque communautaire exige que celle-ci soit utilisée sur une partie substantielle du territoire de la Communauté, ce qui peut correspondre au territoire d'un État membre ".
Les titulaires de marques communautaires qui n'exploiteraient leur marque qu'en France se trouvent donc rassurés. Aujourd'hui, les spécialistes conviennent qu'il n'est toutefois pas aisé de déterminer le territoire de référence, décidant pour l'heure qu'" il convient de faire abstraction des frontières du territoire des États membres " (7), tout étant en pratique, question de circonstances, le problème posé devant être résolu au cas par cas. Le législateur, tant national que communautaire, ainsi que les praticiens travaillent tous les jours à l'évolution du droit des marques afin de le rendre toujours plus accessible et intelligible, dans le but de garantir aux titulaires de marques une relative sécurité juridique. Comme tout domaine spécifique du droit, le droit des marques reste l'apanage des spécialistes.

Notes

* conseil en propriété industrielle mention « marques et modèles », membre de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle.
(1) Inpi, décision d'opposition du 26 juillet 2005
(2) Inpi, décision du 13 octobre 2006, statuant sur l'opposition OPP 06-0957
(3) Inpi, projet de décision devenu définitif le 17 mars 2013, OPP 12-2716
(4) La Classification internationale des produits et des services aux fins de l'enregistrement des marques, classification de Nice du 15 juin 1957.
(5) " Les 34 classes de produits et 11 classes de services comprennent la totalité des produits et services [...] l'utilisation de toutes les indications générales de l'intitulé de classe d'une classe particulière constitue une revendication à l'égard de tous les produits ou services relevant de cette classe particulière. " Communication nº 4/03 du président de l'OHMI du 16 juin 2003.
(6) Article 51 (1) (a) du règlement n° 207/2009 du conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire
(7) Décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 19 décembre 2012, Leno Merken BV /Hagelkruis Beheer BV C-149/11.
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