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Revue des marques : numéro 83 - juillet 2013
 

L'entreprise, pilier régénérateur des valeurs

S'il n'appartient pas à l'entreprise de se substituer à l'État providence, du moins doit-elle se forger une posture éthique.

entretien avec Jean-Baptiste Danet - PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN LAMBERT


Jean Baptiste Danet
Jean-Baptiste Danet
Directeur général du groupe Dragon Rouge

Votre livre Business is beautiful, l'art de cultiver la différence (1) définit cinq valeurs ou atouts : intégrité, curiosité, élégance, savoir-faire et prospérité. Quel sens donnez-vous à chacun d'entre eux ?

Jean-Baptiste Danet : L'idée de départ du livre fut de remettre la créativité au coeur du dynamisme entrepreneurial. Ces dernières années ont démontré une tendance à juger les entreprises à la seule aune des comptes de résultats, en oubliant ou en ne valorisant pas assez les entrepreneurs qui les ont créées et l'idée du business lui-même. La multiplication des classements de marques ne rend pas véritablement compte de l'action des hommes et des valeurs qu'ils portent. Notre livre se veut ainsi le miroir de quelques épopées entrepreneuriales du xxe siècle, desquelles ressortent certaines valeurs clés. L'intégrité exprime la volonté de l'entrepreneur d'aller à l'objectif qu'il s'est fixé. La curiosité est le point de passage obligé de l'innovation et de la créativité, elle ouvre la porte de l'audace et de l'optimisme. L'élégance traduit une manière d'agir pour le bien du business et souligne la contribution positive de l'entreprise au monde dans lequel elle se développe. Le savoir-faire rappelle une chose essentielle : la main de l'homme, son rôle dans le façonnage du business, sa signature qui vient singulariser son oeuvre. Enfin, la prospérité permet à l'entreprise de laisser une trace, de prêter attention aux collaborateurs et de hiérarchiser ce qui prime. Grâce à la combinaison de ces cinq valeurs universelles, le business devient beau, business is beautiful. Un art de cultiver la différence.
 

Comment ces cinq valeurs répondent-elles aux sept enjeux (2) de la norme internationale ISO 26000, plus connue sous l'acronyme RSE ?

J.-B. D. : À aucun moment notre livre n'a été construit en tenant compte de la RSE. Pour autant, certains mots sont communs, comme ceux de responsabilité ou d'engagement, ainsi que la problématique selon laquelle l'entreprise doit jouer dorénavant un rôle différent dans la société et doit contribuer à son avenir. Il n'y a pas de dissonance. Cependant, la manière et les conséquences diffèrent : la RSE impose des contraintes sur le business, quand notre fil rouge, dans ce livre, est plutôt de souligner l'importance de l'engagement et de la responsabilité individuelle. Les exemples que nous exposons sont ceux d'hommes qui ont créé leur entreprise sur ces cinq valeurs.

Au regard des nouveaux enjeux sociétaux que l'entreprise ne peut pas ignorer, la science du management serait-elle aujourd'hui caduque ?

J.-B. D. : Il est difficile de parler de science pour le management, en revanche, des fondamentaux s'apprennent au travers de cursus, mais aussi par la maturation des acteurs qui observent le monde. Elle n'est pas caduque, mais en perpétuelle évolution en raison de la transformation de l'environnement économique et de certaines valeurs plus importantes aujourd'hui qu'hier. La question essentielle, à court terme, est celle de la rareté des talents, et cela impactera directement la qualité du management et de la créativité au sens large.

Certains estiment que la marque-entreprise doit limiter son action dans la société à son univers commercial (école de Milton Friedman) quand d'autres souhaitent qu'elle se mette au service de l'intérêt général. N'est-ce pas la preuve de la faillite de l'action publique ? La fin de l'État providence conduit-elle les entreprises à jouer un rôle plus large dans la société ?

J.-B. D. : Oui, et c'est, au reste, indirectement un des thèmes du livre. On distingue néanmoins les trois mots, business, entreprise et marque, car l'idée de la création d'un business précède la création d'entreprise, et l'entreprise précède la naissance de la marque. Le rôle de l'entreprise dépasse de loin son contact avec les consommateurs, car elle est au coeur de la société, elle est même, ou doit être, le pilier régénérateur des valeurs d'hier perdues. La marque a un rôle plus direct, plus impactant, commercial et crée de la préférence. Au fond, il n'appartient pas à l'entreprise de se substituer à l'État providence

Y a-t-il une limite à l'engagement de l'entreprise-marque ?

J.-B. D. : Ni l'entreprise ni la marque n'ont de rôle moral au sens propre, ne veulent, ou plutôt ne peuvent pas indiquer la voie à suivre. En revanche, on peut considérer qu'elles ont un rôle sur l'éthique, déterminant pour que toute entreprise ait une posture.

En quoi la RSE peut-elle être créatrice de valeurs ?

J.-B. D. : En raison de ses nombreuses contraintes, je ne lui prête aucune ou peu de création de valeurs. La RSE ne fait pas appel aux qualités de l'entrepreneur, elle entend davantage protéger les publics des entreprises et des entrepreneurs. Protéger et empêcher de faire, sans faire appel à la responsabilité individuelle, n'est a priori pas créateur de valeur.

Comment cultiver l'imagination et l'audace quand le principe de précaution peut freiner les ardeurs ?

J.-B. D. : Partons du principe qu'il est impossible de vivre dans un monde sans croissance. Alors les contraintes imposées par le principe de précaution sont destructrices de valeur. Cette question se pose avec une grande acuité en France, sur la capacité et la volonté de créer des business pérennes.

Que nous apprend le concept d'éco-imagination de General Electric, exemple que vous citez dans votre livre ?

J.-B. D. : Tout d'abord que dans des entreprises de la taille de General Electric, des idées radicalement novatrices peuvent germer. L'entreprise bouge et son schéma de pensée n'est pas figé. Une idée, issue de l'interne, peut devenir génératrice de revenus, mais aussi d'influences, bien au-delà de toute frontière. Alors l'entreprise, au travers de la création de grandes idées, joue un rôle sociétal majeur.

Les valeurs de responsabilité, d'engagement, peuvent-elles s'enseigner ?

J.-B. D. : La responsabilité peut s'enseigner, comme le démontre l'enseignement du design dans le monde anglo-saxon, très tourné vers sa contribution dans la société. C'est une valeur structurante, qui s'enseigne au travers d'exemples, de réussites ou d'échecs. Si l'engagement en tant que tel ne s'enseigne pas, il est attaché à un cursus, un parcours.

Vous dénoncez le bullshit qui « a fait son nid dans la plupart des entreprises modernes ». Comment conjurer « mensonges », « sornettes », fairwashing ou greenwashing ?

J.-B. D. : Les « programmes » insistent sur le changement, sur la recherche de nouveauté, trop souvent sans réfléchir aux conséquences. À court terme, cela crée de nouvelles contraintes qui s'appliquent à tous. Les impacts sur l'idée originale de la création d'un business se font sentir plus tard. Les « programmes » insistent sur le changement, sur la recherche de nouveauté, trop souvent sans réfléchir aux conséquences. À court terme, cela crée de nouvelles contraintes qui s'appliquent à tous. Les impacts sur l'idée originale de la création d'un business se font sentir plus tard.

Vous citez Jacques-Antoine Granjon, créateur de vente-privee.com à 28 ans, Jeremy Moon, fondateur d'Icebreaker à 24 ans. L'engagement est-il un phénomène de génération ?

J.-B. D. : Chaque génération apporte son lot d'entrepreneurs engagés. Ces quinze dernières années sont peut-être plus frappantes, puisqu'on a assisté à la naissance d'entreprises créées par de jeunes entrepreneurs qui ont radicalement transformé les modes de vie... Il n'y a pas de nouvelles générations de business sans engagement.

Vous écrivez : « ce n'est pas en se focalisant sur les bénéfices que l'on peut assurer la pérennité d'une entreprise et sa rentabilité. La façon la plus sûre d'y parvenir est de s'intéresser aux “facteurs moteurs sous-jacents” de l'entreprise ». Ne faudrait-il pas, un jour, supprimer la publication des comptes trimestriels, semestriels ?

J.-B. D. : Non, car la transparence, l'intégrité, la vérité de l'information sont essentielles. Mais il est vrai que le temps de la finance diffère de celui de l'entreprise, d'un côté le court terme sur les résultats, de l'autre le long terme et la prospérité.

Le modèle coopératif, comme le montre le cas de Rabobank, permet-il à une entreprise de devenir plus facilement « éthique » ?

J.-B. D. : C'est un modèle construit sur une vision ; il permet de faire remonter des flux d'idées de gens au contact avec la réalité.

Les entreprises dites « éthiques » sont-elles plus performantes, au regard des indicateurs financiers traditionnels, que les entreprises « classiques » ? Peut-on dire la même chose des entreprises « familiales » ?

J.-B. D. : La question posée dans le livre demeure. Objectivement, sur le long terme, la qualité du travail, la confiance, la fierté d'appartenance sont des leviers de création de valeur. L'entreprise familiale maîtrise son temps, son évolution, son destin. Son tempo est celui de la famille-actionnaire.

L'entreprise ne peut plus penser seule son impact sur l'environnement, mais en interaction avec tous ses partenaires, de ses fournisseurs aux consommateurs, communautés…. Le beautiful business peut-il faire naître une nouvelle forme d'entreprise, à l'image de la société américaine Threadless, fondée sur le crowdsourcing ou communauté ?

J.-B. D. : L'implication de tous les acteurs crée une synergie qui rend l'ensemble plus cohérent, plus fiable, plus pérenne. Cette nouvelle idée fonctionne, car elle est appliquée avec détermination et contribue au mieux-être de chacun.

Le beautiful business peut-il avoir sa version chinoise ?

J.-B. D. : Oui, pour le livre. Nous avons eu, cependant, excepté avec KTC, beaucoup de difficultés à trouver des entreprises chinoises qui souhaitaient ou acceptaient d'aborder ces thèmes ; la Chine entre dans une période de transformation culturelle majeure. Une génération quitte l'industrie et la fabrication pour l'univers des services. L'ancien modèle du made in China s'efface, un autre sort des limbes, construit sur de nouvelles valeurs.

 

Notes

(1) Auteurs : Jean-Baptiste Danet, Nick Liddell, Lynne Dobney, Dorothy MacKenzie, Tony Allen, LID Publishing.
(2) Gouvernance de l'organisation, droits de l'homme, relations et conditions de travail, environnement, loyauté des pratiques, questions relatives aux consommateurs, communautés et développement local.
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