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Revue des marques : numéro 81 - janvier 2013
 

Marques et engagement

Une nouvelle ère s'ouvre pour la marque qui doit impérativement attester qu'elle contribue à écrire de manière positive l'histoire de la société dans laquelle elle s'insère.

entretien avec David Garbous


Bon nombre de marques parlent aujourd'hui d'engagement. Ce mot n'est-il pas un peu galvaudé ? Quelle est votre définition ?

David Garbous
David Garbous
Directeur marketing Lesieur
David Garbous : Depuis quelques années, les consommateurs ont modifié leurs comportements de manière singulière et on peut, à cet égard, parler de mutation. Les années de croissance ininterrompues, surnommées "Trente Glorieuses", au cours desquelles les marques avaient un discours d'émetteurs sur les qualités de leurs produits, sont révolues. Une nouvelle ère s'ouvre qui se distingue par des consommateurs plus matures, échaudés, il est vrai, par bon nombre de scandales. L'écart entre le discours, la promesse ou l'image, parfois idéalisés et la réalité, souvent déceptive, devient insupportable, intolérable.
Les consommateurs ne s'en laissent plus conter, ils veulent en savoir plus sur l'origine des produits, ils veulent être rassurés. Aujourd'hui, les critères de choix ont changé en faveur non plus du seul produit mais de l'écosystème qui le porte, le justifie, le légitime, de l'amont à l'aval, de la matière à la finalité du produit.
On n'achète pas seulement Fleur de Colza, on achète Lesieur et son engagement en faveur du monde agricole, et de la société en général. La récente étude que l'Ademe a menée montre que 47 % des consommateurs intègrent les critères d'écosystème de marque dans leur choix contre 20 % "d'alter consommateurs", il y a cinq ans. Pour autant, une distorsion demeure entre la réalité de l'offre qui répondrait à cette demande et les attentes des consommateurs. Cela atteste du retard pris par les entreprises pour la combler.
Aujourd'hui, aux Etats-Unis, au-delà de l'engagement visible des marques, les consommateurs veulent des données chiffrées, des faits, des démonstrations. Ils veulent des pièces, des preuves à conviction. N'ayons pas peur ! Sachons saisir cette mutation comme une très grande opportunité pour enfin répondre aux angoisses des consommateurs. Les marques doivent redevenir leaders, dans le sens positif du terme, celui qui montre le chemin grâce à son engagement et à des vraies réponses. Si ce mot, peut, aujourd'hui être un peu galvaudé, il permet, selon moi, de replacer l'entreprise au-delà du simple produit, dans son écosystème, c'est aussi accepter de prendre des risques, expliquer ouvertement ce que l'entreprise fait de bien et de moins bien.
 

Quels sont les enjeux ?

Agriculteur francçais
David Garbous : C'est un enjeu de société qui porte, entre autre, sur le retissage des liens de confiance entre les consommateurs et les marques. L'heure est à la rupture, à la prise de conscience que l'écosystème de la marque crée une césure entre le monde d'hier et celui de demain. Un premier signe, avant coureur, nous avait été donné, en 2008, par la montée en puissance du hard discount. En 2011, cette vague se retire, le hard discount marque le pas, Lidl en sort, un nouveau monde se dessine où les consommateurs fondent leurs actes d'achat non plus tant en fonction du prix du produit qu'en fonction de ce qu'il leur apporte réellement. Nous sommes en présence d'un nouvel arbitrage du consommateur qui remet en question le modèle de consommation. Chaque acte d'achat appelle aujourd'hui à la réflexion : est-il on non utile pour moi ? Prenons garde aux changements radicaux, motivés parfois par des inquiétudes ou des choix volontaires, qui n'auraient pas été anticipés par les marques comme cette progression de consommation de pain au petit-déjeuner au détriment des céréales.
 

L'engagement est-il une affaire de génération ?

David Garbous : Oui, j'en suis convaincu. Si la génération des "quadra" n'a vécu ni guerre, ni révolution, elle est cependant née dans la crise. Ses libertés et ses choix ont été restreints. Cette génération est entrée dans la vie active la tête basse et elle arrive à un moment de sa vie professionnelle où un carrefour s'offre à elle : faire ou non évoluer les choses, construire un nouveau monde qui lui ressemble. Cette génération, aujourd'hui, aux commandes, ne peut rater le coche ! Ne pas faire, c'est renoncer ! L'heure est à la réflexion et à l'action ecosystémiques.

Ne revient-on pas au principe premier de la marque, attestation de l'engagement du créateur ? Georges Lesieur n'a-t-il pas été le premier à s'engager dans l'univers de l'huile en signant de son nom la première bouteille?

David Garbous : Oui, il y a urgence pour la marque de redevenir ce qu'elle fut : l'engagement du créateur mais aussi, aujourd'hui de tous les collaborateurs. C'est une question de survie pour les marques. Elles doivent donner à voir la réalité de ce qu'elles sont et ce qu'elles font. Si les industriels ne prennent pas conscience de l'urgence, les distributeurs, eux, prendront le train et plus rapidement car ils n'ont de contraintes industrielles que celles qu'ils imposent, dans leur cahier des charges, à leurs fournisseurs. S'ils sont les bienvenus dans cette nouvelle aventure, les industriels, pour leur part, ne doivent pas rester l'arme au pied au risque d'être devancés et de disparaître. Placer l'écosystème au coeur des enjeux de marque est, selon moi, une question de survie.

fleur de colza

Qu'est-ce qui, dans votre expérience, nourrit et porte votre réflexion sur l'engagement ?

David Garbous : Que ce soit chez Belin, Kronenbourg, hier, ou Lesieur, aujourd'hui, j'ai toujours travaillé dans l'univers alimentaire qui se singularise, en particulier, par une relation fusionnelle entre l'aliment et la vie. Devenu père, je me suis interrogé sur ce que j'allais laisser à mes enfants. Comment puis-je agir pour que le monde dans lequel ils vont vivre soit aussi agréable que le mien ? Je me suis donc documenté sur le développement durable et j'ai découvert la richesse de la problématique qui ne raisonne plus en silo mais en cycle… de vie ! La vie, créatrice de vie…le principe du cradle to cradle… Le concept d'écosystème ouvre des voies d'innovation très riches, comme repenser les liens avec les consommateurs, améliorer les processus, rendre l'entreprise plus vertueuse au sens économique et environnemental. Un temps, j'ai songé à créer ma propre entreprise mais j'ai préféré agir au sein d'une grosse structure, à une plus grande échelle, avec un impact plus important sur le plan du développement durable.

Le cas Fleur de Colza, un cas d'école ? Quelles sont les autres bonnes pratiques chez Lesieur ?

David Garbous : Avec Fleur de Colza, nous sommes allés au-delà de la simple marque en montrant que des agriculteurs s'engagent avec Lesieur pour fabriquer un produit de meilleure qualité, diminuer son impact sur l'environnement, sujet au combien sensible ! Chez l'industriel, Lesieur, les collaborateurs travaillent, eux-aussi, quotidiennement pour améliorer le processus de production. Fleur de Colza nous a permis de nous reconnecter avec l'origine, le savoir-faire, le process et nous partageons avec les agriculteurs une fierté justifiée et méritée. La marque prouve sa valeur ajoutée et témoigne de sa singularité. Par son engagement, elle crée davantage de confiance avec les consommateurs et de valeur ajoutée pour l'entreprise. Les agriculteurs, pour leur part, se sentent mieux reconnus par les consommateurs et ils n'hésitent pas à témoigner de leur engagement avec des stickers "je cultive Fleur de Colza" sur leur tracteur. Nous écrivons, ensemble, une histoire commune. Pour preuve, Fleur de Colza affichait une baisse de 9 % en volume avant sa mise en place de l'écosystème avec les agriculteurs. Elle vient de finir l'année à + 6 %, sur un produit très difficile à gérer car son achat ne repose pas sur l'impulsion. L'engagement n'a de pérennité que s'il génère de l'activité supplémentaire, de la croissance dans le temps. La différenciation est porteuse de croissance. L'intention, en soi, n'est rien, si elle ne débouche pas sur une croissance tangible, mesurable. Elle doit aussi susciter des vocations dans les autres produits de l'entreprise. Or, à ce jour, c'est le cas le plus avancé chez Lesieur.
Doit-on alors communiquer si les autres produits n'ont pas encore entrepris un tel engagement ? On peut prêter le flanc à la critique. Nous avons joué la carte de la transparence, de la vérité et de l'humilité en communiquant ouvertement là où on est bon et là où des progrès sont à faire. Le produit bon s'en trouve encore plus crédibilisé et cette démarche crée une dynamique de progrès en nous incitant à faire encore mieux. C'est ainsi que nous travaillons sur Lesieur Tournesol, deuxième marque du groupe en volume, en mentionnant l'origine française, la traçabilité des agriculteurs. Un programme qui nous engage sur une longue durée !

D'autres cas d'école en France ?

David Garbous : Citons trois industriels très avancés, LU et son programme Harmony(1), Danone et le yaourt nature, D'Aucy et la d'Aucyculture.

Le champ de l'engagement s'est élargi : de l'engagement de la marque à fabriquer un produit de qualité, hier, à l'engagement de la marque à contribuer à écrire l'Histoire de la Société, aujourd'hui. La marque peut-elle se substituer à la défaillance du politique ?

Lesieur
David Garbous : L'engagement de la marque est un des enjeux sociétaux majeurs. Et comme la nature a horreur du vide, elle se substitue à la défaillance du discours politique. La défiance des citoyens vis-à-vis du pouvoir politique les conduit, en tant que consommateurs, à se tourner vers d'autres repères comme, par exemple, les marques, repères du quotidien, repères accessibles. Cela justifie l'attente très forte de comprendre ce qui se passe derrière le produit. Il est temps de mettre fin à l'écart qui existe entre les signes de la marque et la réalité. Ainsi, quand nous avons repris l'activité mayonnaise en 2008, il était indiqué qu'elle était faite avec des oeufs frais. Cette mention, strictement réglementaire, signifie que les oeufs ont été utilisés très peu de temps après la ponte mais n'indique pas que les poules, contrairement à ce que l'on pouvait imaginer, étaient élevées non pas en plein air mais dans des batteries ! La réalité était à mille lieux de la belle histoire écrite sur le packaging. On ne peut plus tromper, trahir, le consommateur. La confiance s'effondre. Depuis le rachat, nous avons bien sûr retiré cette mention ! Le rôle du marketing est, aujourd'hui, de questionner les messages envoyés aux consommateurs au regard de la réalité.
 

L'engagement n'appelle-t-il pas une mobilisation des collaborateurs ?

David Garbous : C'est un travail collectif qui procure de la fierté ! On engage tous les collaborateurs sur le long terme en adoptant des positions plus ambitieuses, en déplaçant la ligne d'horizon, en fixant des repères, en clarifiant le chemin. Chacun doit y contribuer à son niveau. C'est très mobilisateur.

Lesieur

Faut-il sensibiliser à l'engagement les universités, grandes écoles… ?

David Garbous : J'en suis convaincu. Je suis récemment intervenu à HEC qui vient de créer un think tank sur le marketing durable. Il est vrai que le marketing n'est pas, à ce jour, formaté pour cet enjeu ! Il faut prêcher la valeur de l'exemple. Il faut donc porter la bonne parole à l'extérieur

La première obligation pour l'engagement n'est-elle pas d'être tenue dans le temps ?

David Garbous : C'est indispensable. C'est sur le long terme que nous fondons notre légitimité.

Notes

(1) Cf Revue des marques n° 71 et 77
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