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Revue des marques : numéro 80 - octobre 2012
 

Noms de domaine, libéralisation du nommage

Le marché des noms de domaine est appelé à passer de la pénurie à l'explosion grâce à la création de nouvelles racines.

Christophe Lelieur


Christophe Lelieur
Christophe Lelieur*
Les noms de domaine sont devenus, du fait d'une ressource limitée, des enjeux importants pour les titulaires de marque.
Aux phénomènes de cybersquatting qui trouvent leurs solutions dans les procédures d'arbitrage, notamment devant l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), se sont ajoutées des problématiques liées à la disponibilité des noms de domaine.

Parfois, les entreprises décident du choix d'un nom de produit ou de service en fonction de la disponibilité du nom de domaine correspondant, surtout pour le .com qui concentre toutes les attentions. Tout le système de nommage de l'Internet repose sur un serveur racine, géré par l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), qui a la maîtrise du serveur racine "original", lequel a été dupliqué et est hébergé, pour des raisons de sécurité, sur de nombreux serveurs dans le monde.
L'ICANN désigne les bénéficiaires des délégations pour la gestion des registres de premier niveau (Verisign Inc. pour le .com et le .net, l'Afnic pour le .fr) lesquels inscrivent sur les registres les demandes d'enregistrement des noms de second niveau (google.com, facebook.com, etc.). Les délégataires, en charge de la tenue des registres de noms de domaine, procèdent directement à l'offre commerciale pour l'enregistrement des noms de domaine de second niveau ou contractent à leur tour avec des bureaux d'enregistrement (Registrars) pour la vente des noms de domaine. Les utilisateurs de l'Internet ont pour l'instant le choix entre 23 racines de premier niveau non-géographiques (.arpa, .com, .edu, .gov, .mil, .net, .org, .int, .aero, .biz, .coop, .info, .museum, .name, .pro, .cat, .jobs, .mobi, .travel, .tel, .asia, .post, .xxx) et près de 300 racines de premier niveau géographiques (.eu, .us, .fr, .de, .ch, .it, etc.).
Normalement, les prix des noms de domaine sont de l'ordre de quelques dizaines d'euros, mais du fait de l'offre limitée, s'est constitué un marché des noms de domaine de seconde main, pour lesquels les prix peuvent atteindre plusieurs millions (9,5 millions de dollars US pour porn.com en 2007, 10 millions de dollars US pour fund.com en 2009, 13 millions de dollars US pour sex.com en 2010 et 30 millions de dollars pour privatejet.com au début de l'année 2012).
 

Nouvelles racines

Compte tenu de la relative pénurie qui a pu être constatée (il n'y a, par exemple, plus aucun nom de domaine de trois caractères disponible sur le registre des .com), de l'explosion du nombre d'internautes (deux milliards de personnes dans le monde) et de l'accroissement des services accessibles sur internet, l'ICANN a mis en oeuvre une procédure originale visant à permettre la création de nouvelles racines de nom de domaine de premier niveau, par toute personne disposant des ressources financières suffisantes (185.000 dollars US rien que pour l'examen de la demande) et de l'expertise technique requise. Les demandes devaient être complétées auprès de l'ICANN avant le 30 mai 2012.
Cette expérience originale de création de nouvelles racines de noms de domaine, laissée à l'initiative des acteurs de l'Internet, a été préférée au système utilisé jusqu'alors qui n'avait rencontré qu'un succès limité (voir les .mobi, .travel, .tel, .asia ou .post lancés au cours des années 2005, 2006, 2007 et 2009). En effet, sur les 215 millions de noms de domaine déposés dans le monde, 100 millions sont des .com, ce qui atteste du succès de cette racine mais aussi de son encombrement. Cette libéralisation du système de nommage, permettant à des entreprises, à des communautés d'utilisateurs ou à des collectivités territoriales de créer et de gérer leur propre racine de premier niveau de nom de domaine, semble être d'ores et déjà un succès compte tenu du nombre important de demandes (1930) publiées par l'ICANN le 13 juin 2012.
Le marché des noms de domaine devrait donc être profondément bouleversé en 2013 avec l'apparition de plus de mille quatre cents nouvelles extensions.

Cette nouvelle possibilité a suscité un réel engouement chez deux importants acteurs du net, avec par exemple une centaine de demandes et plus de 70 pour Google et Amazon respectivement.
Au nom de la société Charleston road registry inc., apparentée à la société Google, on relève trois demandes en caractères chinois et japonais et 97 demandes en caractères latin (.ads, .and, .android, .are, .baby, .blog, .boo, .cal, .car, .channel, .chrome, .corp, .cpa, .dad, .day, .dclk, .dds, .diy, .docs, .dog, .dot, .earth, .eat, .esq, .est, .family, .film, .fly, .foo, .fun, .fyi, .gbiz, .gle, .gmail, .gmbh, .goo, .goog, .google, .guge, .hangout, .here, .home, .how, .inc, .ing, .kid, .live, .llc, .llp, .lol, .love, .mba, .med, .mom, .moto, .mov, .new, .nexus, .page, .pet, .phd, .plus, .prod, .prof, .rsvp, .site, .soy, .srl,.team, .tech, .tour, .tube, .vip, .web, .youtube, .zip).
Chez Amazon, on relève 11 demandes en caractères chinois ou japonais et 65 demandes en caractères latin (.amazon, .audible, .author, .aws, .bot, .box, .call, .circle, .coupon, .deal, .fast, .fire, .got, .group, .hot, .imdb, .jot, .joy, .kids, .kindle, .like, .mobile, .moi, .news, .now, .pay, .pin, .prime, .read, .room, .safe, .save, .secure, .silk, .smile, .song, .tunes, .tushu, .video, .wanggou, .yamaxun, .yun, .zappos, .zero).

Google et Amazon ont déposé des demandes concurrentes sur 21 noms de premier niveau (.app, .book, .buy, .cloud, .dev, .drive, .free, .game, .mail, .map, .movie, .music, .play, .search, .shop, .show, .spot, .store, .talk, .wow, .you). Si chaque société persiste dans sa demande, les noms seront attribués au plus offrant à la suite d'un processus d'enchères, sauf en cas de demande émise par une communauté, laquelle serait alors prioritaire. Il convient de noter l'absence de certains acteurs importants de l'Internet, tels que Twitter ou Facebook, qui n'ont pas jugé utile d'avoir à leur disposition le .twitter ou le .facebook, soit pour leur usage, soit pour la vente du droit d'usage aux utilisateurs ; Apple, quant à lui, n'a fait qu'une demande pour le .apple.
Parmi les déposants ayant décidé d'investir massivement, on relève deux sociétés constituées par des investisseurs (Donuts Inc. et Top Level Domain Holdings) avec respectivement 300 et 90 demandes. En ce qui concerne les opérateurs de télécommunication mobile français, on note l'absence de Free et de Bouygues, par contre SFR et Orange ont eux décidé d'investir sur cette nouvelle possibilité de nommage avec leur nom.

Les personnes délégataires de ces nouveaux noms de domaine de premier niveau seront libres de conserver ceux-ci pour leur usage ou d'en assurer la commercialisation aux conditions qu'elles détermineront. Par exemple, la société Californienne de sécurité internet Artemis a fait une demande pour le .secure dans le but d'en faire une catégorie de noms de domaine sécurisés. Tous les utilisateurs de noms de domaine en .secure devront adopter des mesures rigoureuses de sécurité. Il convient de noter que le .secure fait également l'objet d'une demande concurrente de la part d'Amazon. En dehors des sociétés commerciales, certaines collectivités territoriales ou communautés ont également déposé des demandes. En ce qui concerne les noms géographiques, nous avons relevé .abudhabi, .africa, .alsace, .amsterdam, .aquitaine, .barcelona, .bayern, .berlin, .boston, .brussels, .budapest, .capetown, .catalonia, .cologne, .doha, .dubai, .durban, .hamburg, .helsinki, .istanbul, .koeln, .kyoto, .london, .madrid, .melbourne, .miami, .moscow, .nagoya, .nyc, .okinawa, .osaka, .paris, .quebec, .rio, .roma, .stockholm, .swiss, .sydney, .tokyo, .vegas, .wien, .yokohama.
Les demandes communautaires sont relativement réduites et concernent notamment le .bzh, .catholic, .corsica, .gay, .halal et .islam.

Procédures arbitrales

Le lancement de ces nouveaux noms de domaine s'accompagne de procédures assurant la protection des droits des titulaires de signes distinctifs antérieurs. Le premier mécanisme est l'instauration d'une "Trademark clearing house", base de données universelle des droits de marque existants. Cette dernière sera renseignée, sur la base du volontariat par les titulaires de marques enregistrées, dans le double but, d'informer les demandeurs de noms de domaine, de l'existence d'un droit antérieur, et d'informer les titulaires de marques, ayant renseigné la "Trademark clearing house", de l'existence d'une demande de nom de domaine potentiellement en conflit avec leur droit antérieur. Les titulaires de marques antérieures bénéficieront d'une période réservée (sunrise period) pour l'enregistrement de leur marque dans chaque nouvelle extension.

Enfin, il existe trois procédures arbitrales de résolution des litiges :

• l'URS, pour Uniform Rapid Suspension System, permettant aux titulaires de droit de marque de bloquer les demandes de noms de domaine de second niveau qui porteraient atteinte à leurs droits dans les conditions suivantes : nom de domaine identique ou créant une confusion, absence d'intérêt légitime et mauvaise foi du demandeur du nom de domaine ;
• la Trademark PDDRP, pour Trademark post-delegation dispute resolution procedure, permettant à un titulaire de marque de bloquer les registres qui porteraient atteinte à ses droits ;
• et la RRDRP, pour Registry Restrictions dispute resolution procedure, permettant de bloquer les registres délégués à un représentant d'une communauté et qui porteraient atteinte aux droits d'une institution.

Cette explosion des possibilités de nommage sur Internet a nécessité d'importants investissements de la part des futurs délégataires de ces extensions (l'ICANN a encaissé plus de 350 millions de dollars pour les frais de dossier et continuera à percevoir de la part de ces mêmes délégataires près de 5 millions de dollars par an pour les frais de fonctionnement). Ceux-ci ont certainement des projets pour rentabiliser cet investissement, soit par la revente de noms de domaine de second niveau, notamment pour les noms géographiques avec la possibilité d'avoir demain des adresses de site internet sur le modèle hotel.paris, soit pour le lancement de nouveaux services notamment avec le .cloud ou le .bank. On peut s'interroger sur les demandes faites par les titulaires de marques de cosmétiques ou de voitures dont il est difficile de prévoir l'usage qu'ils comptent faire de cette nouvelle possibilité de nommage au-delà d'une simple intention de bloquer la racine internet identique à leur marque.

Ces nouvelles extensions obligent les titulaires de marque à une plus grande vigilance dans la protection et la défense de leurs signes distinctifs. Il leur appartient, en premier lieu, de renseigner la "Trademark clearing house" sur l'existence de leurs droits. Mais il leur faudra également choisir la stratégie de réservation de noms de domaine qui leur semble la plus adaptée au cours des périodes d'enregistrement prioritaires (sunrise periods) qui leurs seront réservées lors du lancement de chaque nouvelle extension. Il leur faudra aussi mettre en place une veille adaptée pour pouvoir exercer, en temps utile, les procédures d'arbitrage ou contentieuses requises, en fonction des atteintes qu'ils pourraient constater.

Notes

(*) Avocat au barreau de Paris

Notes

(1)
(2)
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