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Revue des marques : numéro 79 - juillet 2012
 

Marques et femmes, ni oxymore, ni pléonasme

Les secteurs vestimentaires et cosmétiques ne sont plus les seuls univers de création de marques de la part des femmes. Celles-ci créent dorénavant des marques dans des secteurs autrefois accaparés par les hommes comme la high-tech et l'e-commerce.

par Nathalie Dreyfus


Nathalie Dreyfus
Nathalie Dreyfus*
Le 25 avril, l'USPTO organisait un symposium de deux jours sur l'entreprenariat au féminin.
Un peu plus tôt, Delixus, Inc. mandaté par le National Women's Business Council rendait un rapport d'une centaine de pages intitulé "Propriété Intellectuelle et femmes entrepreneurs" (1). Ce rapport met en lumière, que sur la période 1980-2010, un tiers des déposants de marques était des déposantes. Pourtant, la doctrine et les commentateurs ne sont pas prolixes lorsqu'il s'agit de parler des marques au féminin. D'ailleurs, les premières critiques qui ont émergé vis-à-vis des marques provenaient des femmes elles-mêmes si l'on pense à Naomi Klein et à son appel incantatoire au "No logo" (2).

Il est hasardeux de traiter de l'interrelation entre femme et marque. Les marques et les femmes ce peut être les marques créées par les femmes, ou les marques pour les femmes ou encore les marques portant sur des noms de femmes, ou les marques à connotation féminine, si tant est qu'il en existe. Ce peut être encore les femmes qui défendent les marques, sur le plan juridique ou qui en font la promotion par la communication.
Cependant, définir le sexe d'une marque c'est un peu comme déterminer le sexe d'un yaourt, c'est un exercice délicat et qui laisse place à l'interprétation, si ce n'est à l'imagination. Nous allons tenter de retracer les intersections entre ces deux concepts que sont les marques et les femmes.
 

Historique des marques déposées par les femmes

Les premières marques façonnées par les femmes remontent à la Première Guerre mondiale. Gabrielle Chanel, Jeanne Lanvin, Madeleine Vionnet sont les figures de proue de cette époque et ont l'audace de créer leur marque dans une période de crise.
La fin de la Seconde Guerre mondiale est synonyme d'émancipation pour les femmes, le monde des marques s'en ressent d'autant. Simone Perèle confectionne une gamme de lingerie dans un atelier parisien, créé à une époque où se popularisent soutiens-gorges et bas nylons. En axant sa communication sur la valorisation du corps des femmes, elle s'impose dans l'hexagone et gagne en reconnaissance. Outre-Manche, Mary Quant raccourcit les jupes et impose la pop culture jusque dans ses créations vestimentaires.

Les années 1980-90 voient poindre de jeunes entrepreneuses intrépides comme Loumia et Shama Hiridjee, fondatrices de la marque Princesse Tam Tam, tant adulée par les femmes, en passant par la marque de cosmétiques Nuxe rachetée par Aliza Jabès mais créée par un pharmacien français dès 1957. Ces années, tournant dans l'entreprenariat au féminin, furent la preuve que des marques de femmes pour les femmes pouvaient prospérer. L'an 2000 fut l'occasion pour les entrepreneuses de se lancer dans des marques tournées vers l'e-commerce et le monde de l'Internet, voire du conseil et de la finance, sphères réservées auparavant au sexe fort. Orianne Garcia crée Caramail fer de lance des webmails en France et est toujours animée aujourd'hui par l'esprit entrepreneurial qu'elle a développé alors. Anne-Sophie Pastel-Dubanton, crée aufeminin.com avec son mari, qui deviendra le premier groupe de magazines interactifs féminins sur le net en Europe. En 2010, la sphère de l'Internet n'a pas ostracisé les femmes, bien au contraire, qu'on pense à la créatrice de la société d'archivage numérique MyArchiveBox, Anne-Béatrice Sonnier, ou à Nabéla Aïssaoul et sa Conciergerie Juridique ainsi que Céline Lazhortes et Leetchi, la société spécialisée dans la création de cagnottes en ligne, nul doute que les femmes ont su investir la Toile.

Le rapport du National Women's Business Council

Lorsqu'on parle des interrelations entre les femmes entrepreneurs et les marques, on voit poindre le concept de "gender gap", ou de fossé des genres qui voudrait que les femmes soient moins enclines à déposer des marques que leurs homologues masculins. Cet article propose de mettre en lumière que les femmes, loin d'enregistrer des marques stéréotypées qui se cantonneraient au secteur vestimentaire et cosmétique, créent dorénavant des marques dans des secteurs autrefois accaparés par les hommes comme la high-tech et l'e-commerce. Grâce aux incubateurs des grandes écoles, les femmes d'affaires d'aujourd'hui créent des marques qui sortent des sentiers battus et reflètent leur émancipation. Des créations de cabinets de conseil en passant par la communication et les nouvelles technologies, tous les secteurs semblent investis par le sexe faible. De marques que nous qualifierions de segmentarisées (industrie vestimentaire, cosmétique), les femmes ont conquis l'industrie high-tech et l'Internet en son entier. Aux Etats-Unis, le Conseil économique national des femmes (3) a rendu un rapport en février 2012 qui prouve qu'il n'existerait pas un quelconque plafond de verre qui empêcherait les femmes d'enregistrer des marques. Il n'existerait pas de gender-bias dans le dépôt et l'enregistrement des marques. Il est difficile de donner une définition française de ce concept. Un gender-bias n'est pas une discrimination sexiste, c'est un préjugé qui est ancré culturellement.

Si la marque "femme" en elle-même a fait l'objet de vives controverses, certains soulevant son caractère générique et descriptif, les relations entre marques et femmes ne sont pas si corrosives qu'il n'y paraît. Le rapport rendu par le NWBC souligne que le nombre de marques délivrées aux femmes n'a cessé d'augmenter ces trente dernières années. Le rapport souligne également que les femmes déposent plus de marques que de brevets. Ainsi, pour l'année 2010, quand seulement 18 % des brevets enregistrés l'ont été par des femmes, 33 % des marques ont été délivrés à des femmes. Alors qu'en 1985, seul un quart des marques enregistrées était délivrées à des femmes, ce chiffre est passé à un tiers en 2010. Un rapport effectué entre le nombre de marques enregistrées et le nombre de marques non enregistrées entre hommes et femmes n'a pas montré de résultats significatifs. L'étude chiffrée des enregistrements de marques est comme un agent réfléchissant de la pénétration grandissante des femmes entrepreneurs sur le marché. Les cinq secteurs industriels qui ont le vent en poupe pour l'enregistrement de marques par les femmes sont : la communication et les affaires ; l'industrie du vêtement ; l'éducation et le divertissement ; les services divers : services scientifiques et technologiques ; papeterie et autres.

La montée en puissance du secteur industriel que sont les services technologiques et scientifiques revêt un intérêt particulier. Cependant, le rapport soulève qu'il serait opportun d'évaluer les raisons de cette tendance en se fondant sur des données démographiques ou ayant trait aux ressources humaines. Le nombre de marques enregistrées par des femmes a augmenté sur la période 1980 à 2010. La question reste entière de savoir si cette augmentation est liée à des raisons démographiques, est le résultat d'une politique d'embauche, d'une augmentation du nombre d'années d'études, ou tout simplement d'une inclination plus grande de la part des femmes à protéger leurs droits de propriété intellectuelle. Le rapport souligne que ces constats laissent la porte ouverte à d'autres recherches sur la question. Alors qu'une étude récente réalisée par Nomen (4) s'est intéressée à la question de savoir s'il existait des marques de gauche et des marques de droite (5) dans un contexte teinté d'élection présidentielle, il est regrettable qu'aucune étude n'ait été réalisée à ce jour en France, qui userait du prisme des "gender studies" pour dresser des conjonctures sur les marques de femmes et les marques d'hommes.

Notes

(*) Conseil en Propriété Industrielle, membre de la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle
(1) "Intellectual Property and Women Entrepreneurs", quantitative analysis, Delixus, Inc. février 2012, 102 p.
(2) "No logo : la tyrannie des marques", Naomi Klein, 2001 ; Babel n°545.
(3) National Women's Business Council (NWBC).
(4) Etude réalisée en ligne du 16 au 20 mars 2012 auprès d'un échantillon représentatif de 963 français âgés de 18 ans et plus.
(5) "Marques "de droite" et marques "de gauche" : le classement des Français", Les Echos, Valérie Leboucq, 12 avril 2012.
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