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Revue des marques : numéro 78 - avril 2012
 

L'utile, source de croissance

L'ère du superflu est révolue. Les consommateurs tournent le dos aux marques qui proposent de fausses innovations. Dès lors, la communication doit se mettre à l'écoute des gens.

entretien avec Vincent Leclabart


Le mot "croissance" n'est-il pas, aujourd'hui, entaché de suspicion ? Doit-on lui préférer le mot "développement" ?

Vincent Leclabart
Vincent Leclabart
président du groupe Australie
Vincent Leclabart : Le mot croissance semble devenu un "gros mot" aux yeux de certains acteurs engagés sur le plan politique qui plaident pour une décroissance qui va de pair avec la démondialisation. Nous aurions perdu le sens des choses, leurs valeurs, la croissance conduit au malheur, laisse sur le chemin des gens exclus. Le monde serait fini et à force de l'exploiter, nous allons l'appauvrir. Du côté des responsables d'entreprises, des patrons de marques, la croissance demeure un mot acceptable et un objectif en soi. Soulignons que l'être humain déteste revenir en arrière et aime relever des défis.
L'antagonisme est donc flagrant entre l'idéologie de la décroissance et la réalité qui donne au mot croissance tout son sens. Lui préférer le terme "développement", c'est mettre l'accent sur la dimension qualitative, plus valorisante. Pour autant, l'un ne va pas sans l'autre comme l'illustrent des marques comme Chanel, Hermès, Vuitton qui ont su marier les deux.

Faire croître une marque, aujourd'hui, est-ce plus difficile qu'hier ?

Vincent Leclabart : Oui, car les clients sont devenus des experts. Pour séduire des consommateurs devenus, pour certains, infidèles, les entreprises doivent mieux répondre à leurs attentes. Soulignons que l'univers industriel et commercial est devenu très professionnel depuis les quatre dernières décennies. Au début des années 1970, la rigueur n'était pas de mise, on pouvait vendre n'importe quoi. Aujourd'hui, ce temps est révolu. Le citoyen-consommateur veut du sens, de la sincérité, de la considération. A tous les niveaux du management, la qualité moyenne s'est améliorée. Pour autant, une aversion au risque s'est parallèlement développée, corrélée à l'amélioration du professionnalisme. Dans un contexte de crise, les états-majors, soumis à la pression financière, veulent dégager des profits et ne souhaitent donc pas prendre le risque d'échouer. On ne veut donc pas prendre le risque de réussir. Ceux qui prendront les chemins de traverse réussiront. Exemple frappant dans l'univers des agences publicitaires : l'essor de Fred & Farid qui promet à la fois le frisson et la sécurité.

Existe-t-il des secteurs "saturés" ?

Vincent Leclabart : Je ne crois pas. Les secteurs sont plus on moins compétitifs, plus ou moins encombrés de marques, certaines meurent, d'autres renaissent. Il est vrai que certains univers ont un ticket d'entrée plus important comme, par exemple, le marché des téléviseurs, quand d'autres, comme l'alimentation, où les marchés de niches existent car, ici, les goûts sont très variés et le marché n'est pas mondial. Coca-Cola n'empêche pas la naissance de sodas locaux, Michel & Augustin ont trouvé leur voie. Ils sont dans un marché d'offre et non de demande.

Où se trouve, aujourd'hui, le centre de gravité de la consommation, moteur de la croissance ?

Vincent Leclabart : La consommation a toujours pour moteur l'envie, comme l'atteste, par exemple, les ventes spectaculaires d'IPad. Vendre du rêve, c'est vendre un demain meilleur qu'hier. C'est le rôle de la publicité que de répondre au souhait de l'être humain d'aller toujours vers le meilleur, soit en achetant tel ou tel produit, soit en modifiant son comportement, soit en acceptant une vérité nouvelle. On consommera donc davantage bio, on achètera des produits fabriqués sans exploiter les enfants, on achètera des produits plus indispensables que d'autres, autant de nouveaux critères, de nouveaux enjeux qui témoignent d'une certaine satiété de consommer car le superflu n'est plus nécessaire. Ce qui a changé, c'est que face à la quantité foisonnante de propositions, la notion de statut et l'image de soi a changé, on peut mélanger les genres, être raisonnable ici, et se faire plaisir ailleurs. Les castes de consommateurs ont disparu et, avec elles, la cohérence en termes d'achat. Le centre de gravité est donc difficile à définir car tout part de l'individu qui change en fonction des idées, des moments. Cela explique le fait que nous soyons, aujourd'hui, dans un marketing d'offre. Sur le plan publicitaire, parler à tout le monde devient de plus en plus difficile et inefficace, nous avons des tribus, ici, des individus, là-bas. Nous devons considérer les consommateurs un par un et les suivre avec des outils et des discours différents, selon leurs moments de consommation. L'ère des masses fondée sur la ménagère de moins de 50 ans, et celle des séniors… est révolue.

Comment concilier la croissance qui demande un peu de stabilité avec l'infidélité des consommateurs ?

Vincent Leclabart : L'infidélité des consommateurs n'exprime pas une défiance vis-à-vis des marques mais une autonomie de consommation. Les consommateurs ne punissent pas les marques et si l'on veut resserrer les liens, il faut tisser des relations plus individuelles. Jadis, on a pensé que la marque pouvait rassembler beaucoup de gens autour de quelques valeurs. Or les consommateurs s'en moquent, ils ont envie que les produits qu'on leur propose correspondent à une réelle attente, un usage.

Pas de croissance sans culture de l'innovation, donc du risque… Avons-nous cette culture en France ?

Vincent Leclabart : Non, la culture de la croissance est inexistante en France, surtout au sein de ceux qui ont fait des grandes écoles classiques. La culture de l'innovation ne passe pas par l'éducation. Ceux qui prennent des risques n'ont, de manière générale, pas de formation très poussée, ils n'ont donc pas de règles préétablies, ils ne sont pas formatés. Ils osent et n'ont pas peur de l'échec. Ils chassent de leur esprit le mot "impossible".

De la "brand equity" à la "human equity" : l'être humain, un nouveau levier de croissance ?

Vincent Leclabart : Oui, bien sûr. L'exemple de McDonald's est, à cet égard, singulier. Longtemps symbole de la "mal bouffe", la marque a su changer son image en proposant, non seulement des nouvelles recettes, des guides nutritionnels mais aussi en développant des campagnes de recrutement de jeunes, souvent issus de la diversité. La marque intègre dorénavant les préoccupations de ses clients, de ses salariés.

Le court-termisme n'est-il pas préjudiciable à une croissance pertinente, une croissance "raisonnée" versus une consommation "raisonnée" ?

Vincent Leclabart : Le court-termisme témoigne d'un manque de sérénité, de confiance. L'avidité s'oppose à toute croissance durable. Le monde virtuel, aux mains de la finance, échappe au commun des mortels. L'argent est devenu une entité abstraite, sans réalité, sans poids, sans morale. Ce n'est pas ainsi que l'on crée de la valeur.

L'ère du "brand stretching" est-elle derrière nous ?

Vincent Leclabart : Ce fut une grande mode. Celle où les consommateurs achetaient toujours plus, du moment que le logo de la marque apparaissait, une véritable "course à l'échalote". Trop de choix ne tuent pas seulement l'envie mais aussi le discernement. Aujourd'hui, la question centrale est celle de la légitimité et du champ de compétence. Aussi cette ère semble aujourd'hui derrière nous. Il ne s'agit plus de chercher comment inciter les Français à dépenser mais de trouver quoi leur offrir pour qu'ils soient satisfaits de leur consommation.

Tous les ans depuis 2004, vous réalisez l'étude "Publicité et société". Quelles sont, depuis sa première édition, les grandes tendances, les ruptures ?

Vincent Leclabart : L'étude souligne une lente prise de distance des gens vis-à-vis de la publicité. La relation aux marques fait émerger une rupture : elles continuent à avoir une belle cote mais les gens deviennent de plus en plus critiques à leur égard. Les consommateurs ne veulent plus acheter des marques qui n'innovent plus. Aussi doivent-elles plus que jamais créer du lien avec les consommateurs, faire des propositions authentiques et tenir compte du fait que bon nombre de gens vivent aujourd'hui hors du circuit de consommation, sur le bord du chemin. Les marques qui continuent de vivre dans le monde de Oui Oui font fausse route.

Vendre des salades sans en raconter

Dans votre livre "Vendre des salades sans en raconter", vous annoncez l'ère de la postpublicité. Qu'en est-il ?

Vincent Leclabart : Nous sommes entrés dans l'ère de la consommation raisonnée.
D'objets de consommation, nous sommes devenus des sujets. La futilité cède le pas à l'utilité. Le consommateur est aujourd'hui plus difficile à surprendre.
Mais grâce à la technologie, on peut créer une relation nouvelle avec lui en le faisant participer (le bottom up).
La création de clubs en fonction des centres d'intérêts grâce à internet et les réseaux sociaux participe de la mise en relation de la marque avec ses consommateurs qui peuvent ainsi s'exprimer.
La communication, d'injonctive, est devenue interactive, participative.
 
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