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Revue des marques : numéro 78 - avril 2012
 

La marque ingrédient un invité de marque

Dans la chaîne de valeur de la marque, il est un acteur de l'innovation et de la croissance, déterminant mais encore ignoré : la marque ingrédient. L'heure est à sa mise en lumière comme l'atteste le BtoBtoC.

par Philippe Malaval et Christophe Bénaroya


Philippe-Malaval
Philippe Malaval

Christophe Bénaroya
Christophe Bénaroya
Historiquement, les marques des fournisseurs n'étaient pas visibles ou en tout cas non-identifiables dans le produit fini ou le service rendu au client final.
Puis certains industriels ont osé investir sur leurs marques, même si celles-ci s'adressaient en premier lieu à leurs clients industriels. Lycra, Intel, Gore-Tex, Tetra Pak ont ainsi joué le rôle de pionniers. Les entreprises ont été en avance sur la recherche académique.
Ce n'est que récemment que le concept de "marque ingrédient" s'est développé, et fait aujourd'hui l'objet de travaux d'une poignée de chercheurs, en comparaison du grand nombre de ceux qui travaillent encore sur la marque grand public. Ce concept peut s'appliquer tout au long de la chaîne de la valeur, et n'en est qu'à ses débuts. Au sein des marques BtoB, les marques-ingrédients sont celles qui se retrouvent dans le produit ou le service final. Elles peuvent correspondre à différents objectifs et cibler des publics très différents.
La marque connaît actuellement des situations très contrastées en fonction des catégories de produits et des pays concernés. Dans les pays émergents, les taux de croissance restent élevés et l'engouement demeure entier pour toutes les marques de forte notoriété.
Dans le contexte occidental, la marque enregistre de sérieuses difficultés, soit en raison de la déferlante des marques distributeurs, soit en raison de la remise en cause de leur légitimité...

Savoir ce qu'il y a derrière le produit ou le service qu'on achète

Acheter un produit s'accompagne de plus en plus du double questionnement : "de quoi est-il fait et comment a-t-il été produit ?". Les craintes sont généralement en rapport avec la catégorie de produits concernée et peuvent être liées à la santé, par exemple dans l'agro-alimentaire ou l'habillement, à la performance et à la résistance dans l'informatique ou l'automobile, au respect des normes environnementales et sociales dans tous les domaines, mais en particulier dans ceux à forte valeur ajoutée. La mégisserie Richard produit des peaux d'agneau, haut de gamme, destinées à la maroquinerie de luxe. Si son logotype "BR 1852" ou tout au moins "Peaux de Millau" apparaissait d'une quelconque manière "gravé" sur le cuir intérieur ou imprimé sur l'étiquette informative, cette marque augmenterait encore plus la valeur perçue du sac Gucci ou Vuitton, si ce fournisseur avait développé une politique de marque, en donnant du corps à sa propre image.

Alors même que ces articles haut de gamme sont réellement créés à partir de fournitures produites en France (Ateliers respectant l'environnement et caractérisés par des conditions de travail très correctes), nul ne le sait dans la clientèle finale, et ne s'en préoccupe d'ailleurs pas, tant que le sujet n'est pas évoqué explicitement.
Le doute est alors de mise sur l'éventuelle provenance de l'article ou de l'une de ses composantes d'une province chinoise...
Marques B to B
Le premier objectif de la marque ingrédient consiste ainsi à rassurer sur la qualité d'un bien final, justifiant la technologie ou l'authenticité des sous-ensembles qui le composent :
par technologie, il peut s'agir d'apporter une promesse de qualité de son (Dolby), de membrane respirante pour équipement sportif (Gore-Tex), de vitesse d'exécution de micro-processeur (Intel), de qualité optique (Varilux ou Crizal d'Essilor)…
par authenticité, il peut s'agir d'une promesse d'origine garantie, soit d'un terroir dans le cas des appellations d'origine contrôlée (AOC) (Lentilles du Puy, Sel de Guérande, …), soit d'une matière première précise (Woolmark), soit d'une entreprise donnée (Roquefort Papillon).

Derrière la quête d'authenticité, se cache pour le consommateur l'envie d'exprimer sa préférence pour l'achat d'un produit d'une entreprise socialement responsable. Il s'agit ainsi de vérifier que par son achat le consommateur contribue à l'emploi, dans son univers économique, et respectueux des normes sociales et environnementales.

Sortir le sous-traitant de l'anonymat, pour exister dans la chaîne de la valeur

La marque BtoBtoC
La marque BtoBtoC cible le consommateur final et
cherche à rendre encore plus légitime la marque
de son client en renforçant le bénéfice client
Dans la filière automobile, le cas le plus courant est celui d'un intégrateur, le constructeur auto, dominant clairement la relation fournisseur-client. Le simple vocabulaire explique le rapport de forces : le "donneur d'ordre" diffuse un appel d'offres à partir duquel il sélectionne un sous-traitant pour chaque sous-ensemble (ou lot). Au départ, les sous-traitants n'ont ainsi aucune visibilité par rapport au consommateur final. À part des catégories de produits, elles-mêmes particulièrement visibles comme les pneus (Michelin), les vitres (Saint-Gobain, PPG…), les équipements de navigation (GPS Tom-Tom, son hi-fi Bose…), la plupart des autres fabricants comme ceux des sièges n'existent pas dans l'esprit du public. Ils sont de fait plus facilement remis en cause par leurs donneurs d'ordre. Les entreprises françaises BtoB sont souvent en retard par rapport à leurs homologues allemands ou nord-américains en termes de visibilité. L'absence de notoriété grand public de Faurécia, un des leaders mondiaux du siège automobile par rapport à la notoriété top of mind de l'allemand Recaro (de l'automobile aux loges VIP des stades de football) illustre bien cet écart. Ainsi muni d'une puissante marque ingrédient, le fournisseur est devenu co-traitant, rééquilibrant en partie le rapport de forces industriel. Après des années de discrétion, une multinationale comme Valeo développe aujourd'hui sa stratégie "Valeo Added", affirmant ainsi qu'elle ne fournit plus seulement des équipements de distribution électrique pour l'automobile, mais bien de la valeur ajoutée à ses clients constructeurs pour le bénéfice de l'utilisateur final.

Rendre visible l'invisible pour le destinataire final

Areva
Dans le cas de certaines fournitures comme l'électricité, l'énergie, les systèmes d'information, le fournisseur ne peut identifier le destinataire final. Au contraire, trois autres cas existent qui permettent de faire levier sur l'utilisateur final pour pouvoir influencer plus efficacement les prescripteurs qui participent à la décision d'achat (1). Le Business to Business to Consumer (Bto- BtoC) correspond à la transaction entre un fournisseur et une marque cliente qui destine le bien fini au consommateur final. Le consommateur en est généralement propriétaire, qu'il s'agisse d'un véhicule, d'un ordinateur, d'un vêtement ou d'un aliment.
Dans ce contexte, il s'agira pour la marque fournisseur de montrer aux responsables marketing et commerciaux de l'entreprise cliente que l'intégration de tel composant ou équipement est attendue favorablement par leurs propres clients finals. Il peut y avoir une synergie entre l'image de la marque fournisseur et celle de la marque intégrateur, à l'instar du co-branding vertical Lycra-Le Bourget (marque invitée/marque hôte).
Alstom
Dans le cas du business to business to user (BtoBtoU), l'utilisateur final n'est ici pas propriétaire du bien utilisé contrairement au cas précédent qu'il s'agisse d'un équipement de transport en commun (TGV, métro, tramway, avion), d'un hôpital, d'un théâtre, d'une salle de spectacle mais également les équipements de fourniture d'eau et d'énergie. C'est dans ce domaine que le branding est le plus récent avec des marques actives de plusieurs multinationales françaises comme Areva, Alstom, Vinci… On parlera de BtoAtoU lorsque l'organisation cliente relève des marchés publics (Administration), collectivités locales ou État, et le "U" correspond alors à l'usager, citoyenélecteur par ailleurs.
En informant les usagers de l'identité du fournisseur de l'équipement ou de la prestation de service, il devient dès lors possible de communiquer en amont pour faciliter une décision publique d'investissement.
La marque ingrédient utilisée dans ce domaine autorise ainsi le déploiement d'une stratégie de lobbying, mais également des opérations de mécénat ou de sponsoring au cours d'événements sportifs ou culturels. Après avoir investi sur une marque ingrédient puissante, il devient dès lors plus facile de communiquer avec les différentes cibles que sont les prescripteurs (journalistes, cabinets d'ingénierie) mais également les représentants des pouvoirs publics (hauts fonctionnaires et élus).

Le BtoBtoE ou Business to Business to Employee (employés) est illustré par les fournisseurs d'équipements de protection individuelle comme Sperian ou les fournisseurs de restauration collective comme Sodexo ou Avenance. Lorsque Sodexo gagne le marché d'une usine Peugeot, les prestations sont destinées aux employés de Peugeot. Une politique de marque ingrédient pertinente permet d'élargir le positionnement : dans ce cas, Sodexo fournisseur de restauration alimentaire devient progressivement un partenaire de la vie quotidienne des salariés, prenant également en compte une alimentation respectant les différentes communautés, l'entretien et l'hygiène vestimentaire, la sécurité mais également le respect des différents rites religieux et communautaires. La marque ingrédient apporte alors une facilitation de fonctionnement en termes de gestion des ressources humaines à son entreprise cliente. C'est ainsi que la marque de type BtoBtoE permet d'être appuyée de l'intérieur par le responsable du comité hygiène sécurité ou par un responsable de business unit local.

Les marques ingrédients : un nouvel avenir pour les marques ?

Sperian
La marque BtoBtoE cible les employés
de l'entreprise cliente et joue le rôle de facilitateur
en gestion des ressources humaines
La marque ingrédient est en plein essor (2) comme en témoignent les trois indicateurs que sont le nombre de nouvelles marques créées et déposées, le nombre de nouveaux jobs marketing dans les entreprises concernées et l'augmentation des budgets de communication. La marque ingrédient peut en effet se retrouver tout au long de la chaîne de la valeur : potentiellement Thales Avionics est une marque ingrédient pour Airbus en tant que fournisseur des écrans vidéo (Inflight entertainment : loisirs à bord), mais à l'autre bout de la chaîne, Airbus commence à développer lui-même une stratégie de marque ingrédient vis-à-vis de la compagnie aérienne, pour la prestation réalisée auprès du passager final. C'est une nouvelle ère de développement qui s'ouvre ainsi à la marque. Pour l'instant, les équipementiers et fournisseurs américains et allemands ont pris une longueur d'avance, comme en témoigne le simple énoncé des marques : Microban, Alcantara, BASF, Nutrasweet, Dolby, Invista avec Cordura, Coolmax, Lycra, Gore avec Gore-Tex, WindStopper, DuPont avec Teflon, Nomex, Corian, Kevlar, Schott et Zeiss dans le verre, Swarovski, Recaro, Bosch, ABS,Bose, Blaupunkt dans l'automobile, 3M avec Scotchguard, Scotchlite Thinsulate, mais également le suédois TetraPak, le japonais Shimano dans le cycle.
Chaque jour de nouvelles marques ingrédients gagnent en notoriété, et représentent un formidable relai de croissance, aux entreprises européennes d'investir maintenant au sein de la chaine de valeur, pour répondre aux nouvelles attentes plus exigeantes des consommateurs.

Notes

(1) Pour plus de précisions sur ces différentes approches se reporter aux ouvrages "Marques BtoB" et "Marketing BtoB", de Philippe Malaval et Christophe Bénaroya parus récemment chez Pearson.
(2) La parution récente de "Ingredient branding" de Philip Kotler et Waldemar Pförtsch chez Springer en est une autre manifestation.
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