Les Français sont majoritairement préoccupés par des thématiques que l'on peut retrouver dans la consommation éthique : 37 % sont préoccupés par le chômage, 19 % par la dégradation de l'environnement. La préoccupation environnementale a fortement progressé jusqu'en 2009, elle diminue quand le chômage progresse réellement et devient le principal critère d'inquiétude. Cela laisse une marge d'évolution très positive pour la consommation engagée, même si certaines de ces préoccupations peuvent être davantage personnelles qu'altruistes. (figure 1)
La montée de la préoccupation environnementale est associée à une meilleure compréhension du développement durable. En 2010, 46 % des consommateurs déclarent savoir ce que signifie l'expression "Développement durable" contre 33 % en 2004. A la question "Si je vous dis consommation durable, à quoi pensezvous ?", la thématique de l'énergie et son économie est fortement citée. Les produits et services de consommation durables dominent le discours, que ce soit les voitures électriques, le chauffage, l'énergie solaire sont cités par 36 % des interviewés qui ont répondu à la question. Ce sont les plus âgés et les habitants des communes rurales qui sont les plus enclins à décrire la consommation durable par l'exemple. Acheter des produits verts "issus d'agriculture biologique, équitables, recyclables, ..." répond à la consommation durable pour 32 % des interviewés plutôt cadres. La protection de la planète devient une finalité de la consommation pour 10 % des interviewés qui citent le respect, la préservation. Mieux consommer est fortement associé à la consommation durable puisque 17 % des consommateurs citent les mots "éviter", "ne pas jeter", "qui dure longtemps", "acheter moins souvent". Dans cette classe de représentations, développer la seconde vie des objets est un moyen d'actions qui permet d'agir en faveur de la consommation durable. De façon plus anecdotique, 3 % des interviewés sont plus précis et citent les énergies propres de l'avenir qui protègeront les générations futures. La consommation locale qui permet de préserver l'emploi français, mais qui fait aussi référence à des produits de meilleure qualité est peu citée (seulement 2 % des réponses).(figure 2)
L'attention portée aux conditions de production comme remise en cause de la société de consommation est un trait distinctif des représentations de la consommation en temps de crise. Les enquêtes "Tendances de la consommation" (Crédoc) depuis les années 1990 jusqu'à aujourd'hui montrent que si le prix, les garanties d'hygiène et de sécurité ainsi que l'exigence de qualité occupent une place très importante dans l'esprit des consommateurs, les facteurs de consommation plus engagée sont largement présents : mise en valeur des attributs des produits liés à l'origine, aux modes de fabrication et de distribution. L'effet de la crise se ressent sur ces critères d'achat : les Français se focalisent sur le prix en 2008 et à partir de 2009, les critères les plus civiques augmentent. Le critère écologique affiche un maximum jamais atteint en 2009 puis diminue légèrement depuis.
La remontée de tous ces critères est associée à la progression de l'ensemble des motivations liées de manière plus générale à la recherche de sens dans la consommation. En 2011, tous ces critères chargés de sens augmentent fortement, après avoir baissé en 2010 : 68 % en 2011 et 64 % en 2010 (+ 4 points) avaient comme critère d'achat le fait que le fabricant soit soucieux des droits des salariés (ce critère est au plus haut depuis plus de 15 ans) ; 70 % en 2011 et 65 % en 2010 (+ 5 points) sont sensibles au fait que le fabricant soutienne une cause humanitaire. (figure 3)
Il s'agit de savoir si ces préoccupations se transforment en actions civiques, dans le cadre d'une consommation engagée. La consommation "engagée" consiste à user de son pouvoir économique pour sanctionner positivement ou négativement une entreprise ou un produit à des fins altruistes (solidaires). Cela comporte une dimension politique dans la mesure où le consommateur est de plus en plus conscient de posséder un "pouvoir par ses achats", de nature à provoquer des changements à l'échelle de la société. Il a l'impression de pouvoir maîtriser quelque chose dans un système d'échanges économiques, le marché, sur lequel il semblait n'avoir jusque-là aucune prise. A travers ses différentes manifestations et possibilités d'action, la consommation éthique et solidaire espère ainsi exercer une influence sur le fonctionnement du marché.
Développement du boycott
Le fait d'utiliser des outils et des leviers économiques pour faire valoir des revendications sociales et sociétales n'est pas nouvelle, si l'on se réfère aux campagnes de boycott menées aux Etats-Unis à partir des années 1950. Cependant, l'intervention de l'éthique et de l'engagement dans la décision d'achat est un phénomène récent, qui s'est surtout développé à partir des années 1990 (1). Dans nos enquêtes, la progression est de 7 % entre 2002 et 2010 : 33 % des consommateurs déclarent avoir déjà dans le passé boycotté un produit précis. Alors qu'en 2002, les principales raisons de boycott étaient sociales (l'entreprise licencie des salariés, le produit est fabriqué par des enfants), en 2011, la première raison est écologique : "l'entreprise épuise les ressources naturelles". Les engagements privilégiés par les Français sont de deux types : la volonté de défendre les salariés et une préoccupation plus écologique avec une ouverture d'esprit : la préservation de la planète. (figure 4)
Consommation de produits verts en relative baisse
La consommation durable ne doit pas être appréhendée comme uniquement liée aux choix individuels, mais comme dépendante d'une organisation sociale. La manière dont les consommateurs s'approprient ou non un produit ou un service est largement dépendante d'un contexte d'offre qui se développe. La consommation de produits verts s'est largement développée du côté des produits issus de l'agriculture biologique en raison d'un accroissement de l'offre et de la réduction des écarts de prix par rapport aux produits standards. En amont du processus de consommation, les fabricants, prestataires de services, détaillants ou gouvernements disposent d'un levier puissant d'orientation des comportements en limitant la possibilité d'acquérir des produits ou services ayant des impacts environnementaux excessivement négatifs. C'est le mécanisme du "choice editing". Historiquement, le consommateur vert n'a pas été un ressort décisif de l'innovation verte (2). Ce sont les fabricants, détaillants et organismes régulateurs qui ont pris pour le compte des consommateurs des décisions visant à éliminer les produits les moins respectueux de l'environnement. Cet objectif a été atteint en fixant des normes et par le biais de diverses mesures destinées à modifier le champ du choix. Un exemple récent est celui des ampoules à basse tension. Entre 2009 et 2011, seules les ampoules à économies d'énergie ont été plus fortement achetées, tous les autres produits verts sont en baisse. (figure 5)
Très forte préférence pour la consommation d'origine locale.
Les consommateurs privilégient de plus en plus l'achat de produits fabriqués en France, et de préférence par des producteurs régionaux. On note une forte progression de ceux qui sont prêts à payer plus de 5 % plus cher pour un produit d'origine France entre 2005 et 2010 (14 % contre 33 %). La première raison invoquée, très liée à la crise, est la préservation de l'emploi. C'est une forme de repli sur soi. Mais cette tendance est aussi portée par des préoccupations écologiques. Les Français se positionnent très nettement en faveur de l'achat de produits de saisons et locaux pour éviter des produits qui viennent de loin et qui contribuent aux émissions de CO2 à cause du transport. Ils sont, selon Eurobaromètre, 32 % à déclarer être favorables à ce type d'achat contre en moyenne seulement 18 % des Européens.
La principale critique formulée concernant la consommation solidaire est sa capacité à être instrumentalisée à des fins marketing, parallèlement à l'instrumentalisation par le capitalisme des contestations dont il fait l'objet. Dans le contexte actuel de mondialisation économique, la responsabilité sociale de l'entreprise est plus qu'un choix stratégique. Les entreprises concernées sont conscientes de l'intérêt qu'elles ont à prendre en compte les souhaits des consommateurs (éthiques, solidaires, écologiques) pour écouler leur production. Le contexte de la crise actuelle apparaît comme favorable à l'épanouissement du développement éthique et solidaire si l'on considère que les logiques financières à l'origine de cette crise ont prospéré en faisant peser sur la production et les travailleurs les contraintes leur permettant de s'assurer de meilleures marges de profit.
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