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Revue des marques : numéro 76 - octobre 2011
 

Signes distinctifs pour vins distingués : Les marques au secours des Vins d'Auteurs

Les Indications Géographiques et les brevets ne sont donc d'aucun secours pour les Vins d'Auteurs. Les marques pourraient, au contraire, apporter à ces vins originaux une protection à leur goût.

Dominique Kempf *


Quelques vignerons de talent impriment à leur production une personnalité et une originalité telles que leurs vins peuvent être qualifiés de "Vins d'Auteurs".
Qu'il s'agisse de brevets, de marques ou d'indications géographiques, les droits de propriété industrielle sont des outils précieux pour le secteur vitivinicole. Pourtant, certaines rigidités administratives privent certains Vins d'Auteurs du bénéfice des Appellations d'Origine. Dès lors, il convient de s'interroger sur les solutions qu'offre la propriété industrielle à ces vins en termes de valorisation et de protection. A l'heure des vendanges, dégustons ensemble cette brève ballade oenologique et juridique.

Les déclassés des AOC

Les Vins d'Auteurs se situent souvent en marge des Appellations d'Origine Contrôlées (AOC), que le droit Communautaire qualifie aujourd'hui d'Appellation d'Origine Protégée (AOP). Il peut s'agir d'un choix du vigneron ou d'une mise à l'écart lors des dégustations d'agrément. Dans la première hypothèse, le Vigneron Auteur choisit d'écarter le bénéfice de l'Appellation d'Origine pour se dégager des contraintes du cahier des charges qu'il est nécessaire de respecter pour bénéficier du précieux sésame. Cela lui permet notamment d'expérimenter tous les cépages qu'il souhaite sur son terroir. Aimé Guibert a ainsi planté des cépages bibliques sur son Domaine de Daumas Gassac. Dans la seconde hypothèse, d'autres Vignerons Auteurs sollicitent une AOC qui leur est pourtant refusée. Pour obtenir cette mention valorisante, outre le fait de respecter un cahier des charges, les vins doivent obtenir un agrément attestant de la conformité de leurs qualités organoleptiques (i.e. perçues lors d'une dégustation) aux critères de l'Appellation. Ces vins n'ont à rougir d'aucun défaut qualitatif. Il leur est cependant reproché d'être atypiques. Les vins de Marcel Richaud se sont ainsi vus refuser cet agrément, à plusieurs reprises.

Vin mention AOC
Vin mention AOC
Ces exemples mettent en évidence les limites de ces dégustations. Il est décevant que les Jurys de Dégustation refusent l'agrément à des vins de qualité respectant leur terroir. Il leur est également reproché de contribuer à une homogénéisation des vins d'Appellation en favorisant les techniques au détriment du terroir. Il est enfin regrettable que de telles dégustations, pour lesquelles il n'existe presque pas de critères objectifs, revêtent la valeur d'actes administratifs non susceptibles de recours. Toutefois, même sans Appellation d'Origine, ces Vins d'Auteurs connaissent un succès commercial notable, dans une catégorie de prix élevé. Cela les prive tout de même d'un outil de valorisation et de protection appréciable. Il peut alors être utile de rechercher les solutions adéquates de propriété industrielle, suivant ainsi les recommandations de Jean-François Gautier dans "La Civilisation du vin". Selon lui, il "faut espérer que les producteurs sauront partout préserver l'originalité de leur vin, et la défendre sous une forme juridique appropriée".

La difficile quête d'une protection juridique des Vins d'Auteurs

Depuis plus d'un siècle, le marché vitivinicole recourt à la Propriété Industrielle afin de contribuer à la reconnaissance des vins de qualité. Les Indications Géographiques (IG) auxquelles appartiennent les Appellations d'Origine, constituent un système original permettant de garantir au consommateur l'origine du vin qu'il acquière. Il permet la préservation des aspects naturels et humains du terroir mais n'est pas exempt de déficiences, comme ceci vient d'être évoqué. Dans un autre registre, de nombreux brevets sont déposés, chaque année, dans le domaine vitivinicole. Ainsi, en 2009, 180 demandes de brevets relatives à ce domaine technique ont été déposées à l'INPI, comme le rappelait récemment Jocelyne Cayron, directrice du Master 2 de "Droit vitivinicole et des produits de qualité". Les brevets ne sont cependant pas adaptés à la protection des Vins d'Auteurs car ils visent la protection d'inventions. Or, les vignerons auteurs n'entendent pas réserver des techniques, dont ils ne sont en général pas les inventeurs. En effet, la protection recherchée pour les Vins d'Auteurs vise le résultat final, et non son mode d'élaboration.

Les marques au secours de Vins d'Auteurs

La marque est définie comme un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale. Il s'agit d'un droit de Propriété Industrielle communément utilisé dans le secteur vitivinicole pour réserver le nom d'une cuvée (l'Ebrescade de Marcel Richaud), d'un domaine viticole (l'Anglore d'Eric Pfifferling), d'une maison de négoce (la maison Chapoutier), ou encore d'une série de produits (les Vins d'Auteurs sélectionnés par François Briclot, titulaire de la marque éponyme). Les marques sont des droits de Propriété Industrielle souples qui conviendraient à ces vignerons Auteurs ayant parfois quelques difficultés à se conformer aux règles supplétives du Droit vitivinicole. De plus, les marques proposent une protection durable. En effet, la marque est indéfiniment renouvelable. Le dépôt d'une marque collective ou de certification pourrait offrir une visibilité aux Vins d'Auteurs et apporter quelques garanties au consommateur. Il faudrait alors que le règlement d'usage prévu soit assez flexible pour appréhender des vins très spécifiques. Cette nouvelle marque pourrait également bénéficier, dans une certaine mesure, de la renommée préexistante de ces vins d'excellence.

La validité des marques obéit à diverses conditions. Le signe formant la marque doit être à la fois distinctif, disponible, non déceptif et licite. La distinctivité de la marque "Vins d'Auteurs" semble ne pas poser de problème. Le mot "vin" renvoie à l'objet appréhendé par la marque, et son association au mot "auteur" permet d'en assurer la singularité. La disponibilité de l'expression "Vins d'Auteurs" en matière de Marque est plus délicate. Cette expression a fait l'objet de plusieurs dépôts à l'INPI reprenant les termes "vin" et "auteur". Cependant, ces dépôts de marques ne désignent pas tous les mêmes classes de produits.
D'autre part, aucun jugement n'a pour l'instant invalidé de telles marques. En outre, pour être valide, une marque ne doit pas être descriptive. Il pourrait être considéré descriptif d'employer la dénomination "Vins d'Auteurs" pour protéger … des Vins d'Auteurs. Mais là également, aucun jugement n'a tranché ce point. Afin qu'une telle marque ne soit pas déceptive, il faut de surcroît que les vins qui en bénéficient revêtent certaines particularités identifiables par le consommateur moyen et garanties par le règlement d'usage. Enfin, il est utile de rappeler que la marque "Vins d'Auteurs" ne doit pas être contraire à l'ordre public et aux bonnes moeurs.

Certaines des marques "Vins d'Auteurs" semblent répondre aux exigences légales et pourraient ainsi apporter à ces Vins d'Auteurs la protection nécessaire à leur valorisation. Reste encore à espérer que le législateur renouvelle son appui aux marques domaniales car, comme le souligne Guillaume Marchais : "les marques viticoles sont à l'image de nos vins : diversifiée, concernant l'ensemble des régions, donnant parfois la légère ivresse d'avoir bien compris la problématique, pour mieux s'apercevoir que les tribunaux peuvent eux aussi se montrer changeants".

Notes

Tous mes plus chaleureux remerciements à Magali Jelila, du master 2 "Droit Vitivinicole et des produits de qualité" de l'Université du vin de Suze-la-Rousse, sans laquelle ni la dégustation, ni les méandres de la protection de ces Vins d'Auteurs n'auraient croisées ma route d'Ingénieur Brevets si peu oenologue.
(*) Conseil en Propriété Industrielle, membre de la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle
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