Entretien avec François Guillon, président de l'Iremas, professeur à l'Institut Polytechnique LaSalle Beauvais, responsable de la chaire de marketing alimentaire et éthique.
François Guillon : La cacophonie alimentaire consiste en la coexistence de discours sur l'alimentation qui provoquent une dissonance cognitive, au sens où l'entendait Léon Festinger, chercheur américain en psychologie sociale et inventeur de ce terme. La cacophonie est présente dans un périmètre large, par exemple en matière de plaisir organoleptique quand des produits concurrents mettent en avant leurs attributs spécifiques. Et ce périmètre englobe surtout la cacophonie nutritionnelle qui en est devenue la figure de proue, dans les domaines scientifique et médiatique notamment.
François Guillon : Elles sont des acteurs participant à la cacophonie, mais pas forcément aussi majeurs que certains le prétendent. On les critique souvent, mais leur discours est peut-être moins cacophonique qu'il n'y paraît. Ceci étant, même s'il faut en effet relativiser leur rôle, il est vrai que les marques y sont forcément liées, car elles le portent de manière intrinsèque, dans leur processus de différenciation stratégique et marketing.
François Guillon : La nutrition est l'un des attributs des marques alimentaires, au même titre que le plaisir, la praticité ou le développement durable. Certaines organisations de consommateurs ou certains représentants des pouvoirs publics voudraient qu'elles arrêtent de parler de nutrition mais on ne peut guère leur demander de taire un de leurs attributs. Il est légitime qu'elles cherchent à le mettre en avant... et délicat de déterminer ce qui serait licite ou illicite.
1 - Présenter un fonds scientifique pertinent et suffisant.
2 - Faciliter l'accès à ce fonds scientifique.
3 - Présenter une information complète et globale sur le produit ou sur la problématique alimentation-santé pour en exposer toutes les facettes (positives comme négatives).
4 - Quand un expert intervient dans le programme de communication, son intervention doit se cantonner à son domaine de compétence.
5 - La parole de l'expert doit porter sur une catégorie d'aliments, un aliment «générique» ou une thématique nutrition-santé, mais pas sur une marque ni un produit spécifique.
6 - Préciser la nature de la relation entre l'expert et la structure agroalimentaire donneuse d'ordre à l'occasion de la mission de communication.
7 - Valoriser les compétences internes de l'entreprise ou de la collective
en toute transparence.
François Guillon : Il est vrai que chaque produit revendique un effet spécifique dans des champs d'allégation différents. Mais il serait très contraignant de leur imposer de dire aussi tout ce qu'il ne fait pas. Il s'agirait plutôt d'inviter le consommateur à compléter son alimentation afin de situer le produit dans un panier équilibré. Certaines marques l'ont fait et, parmi les premières, Fleury Michon qui a proposé un menu complet sur l'étiquetage de ses plats cuisinés. Cependant, il y a une limite à cette exigence, c'est la saturation de l'information sur les emballages. De plus, est-ce d'abord le rôle des marques - dont l'objet est de vendre des produits - ou celui des autres parties prenantes ?
François Guillon : Elles parviennent finalement à vivre avec cette cacophonie. Les plus fortes en tout cas réussissent à émerger au-dessus de ce phénomène, grâce à leur puissance et à leur présence sur une longue durée. Et le fait qu'elles parviennent à émerger de la cacophonie leur confère, en quelque sorte, une légitimation supplémentaire.
François Guillon : Le livre blanc ne cherche pas à réduire la cacophonie mais à fournir des voies pour réduire la vulnérabilité à son égard. Cette vulnérabilité varie suivant les personnes, leur degré d'éducation, leurs référentiels culturels en matière alimentaire. Les réactions à ce livre blanc ont été très positives. Le constat a été approuvé de façon quasi-unanime. De même, notre première recommandation sur le développement des compétences culinaires a suscité un écho important. En revanche, notre deuxième recommandation sur la maîtrise de l'information scientifique a reçu moins d'assentiment : c'est probablement le signe qu'il s'agit là d'un point sensible sur lequel il faudra aller plus loin. Les scientifiques ne maîtrisent pas leur communication et participent ainsi à la cacophonie, et cela est encouragé par la mécanique des publications, sociologiquement liée au développement de la carrière des chercheurs.
François Guillon : Les médias sont en mesure de dire ce qu'ils veulent, c'est ontologique, tandis que le discours des marques est réglementé. Et contrairement aux associations de consommateurs dont on sait au nom de qui elles s'expriment, les médias ne représentent personne. Nous nous proposons donc de leur fournir une plateforme de ressources pour leur offrir des sortes d'aiguillages quand elles veulent en savoir plus sur une problématique. Nous sommes en train d'y travailler avec des journalistes afin de créer - vraisemblablement dans le courant de cette année - un club spécifique pour cela. Par ailleurs, nous venons de proposer sept règles pour rétablir la confiance entre les marques et les professions de santé.
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