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Revue des marques : numéro 76 - octobre 2011
 

Les marques de l'agro-alimentaire et Slow Food : une rencontre impossible ?

Alliance de la consommation responsable et du goût retrouvé, Slow Food semble aux antipodes de l'univers des marques. Pour autant, la demande de transparence des consommateurs conduit les marques à mieux re-souligner leur fonction originelle : être le garant de la qualité.

Pascale Brevet


Pascale Brevet
Pascale Brevet
Circuits courts, alimentation locale, respect des saisons, agriculture paysanne : tels sont les modèles défendus par l'association Slow Food. Un message à deux dimen-sions, environnementale et sociale, auquel Slow Food donne une ampleur et un volume grâce à une troisième dimension : le goût, le plaisir et la reconnexion aux sens. C'est toute l'originalité de l'association créée en 1989 par Carlo Petrini. Convaincus que "manger est un acte agricole" (1), un acte dont les conséquences vont bien au delà de l'assiette, ses 100 000 membres présents dans 160 pays n'entendent pas non plus renoncer aux plaisirs de la table. Slow Food, c'est l'alliance du goût et de la consommation responsable. Une vision résumée dans le fameux "bon, propre et juste" du mouvement. Tout semble opposer Slow Food et les marques de l'agro-alimentaire. L'un parle d'artisanat, les autres d'industrie. D'un côté, l'accent est mis sur les hommes et les femmes qui produisent ce que nous mangeons ; de l'autre, la marque amène la nécessaire dimension émotionnelle à des produits issus d'une production industrielle sur laquelle il est impossible de mettre un visage. Une relation humaine contre une relation homme/marque. La valeur du produit et du travail qui le façonne contre la valeur de la marque.

Deux mondes

Dans un monde de plus en plus complexe et incertain, la marque promet de réduire le risque. La marque rassure. Elle devient un écran entre le consommateur et la façon dont les aliments qu'il ingère sont produits. Ecran souvent nécessaire, comme le souligne l'écrivain et journaliste américain Michael Pollan quand il écrit dans The Omnivore's Dilemna que la viande industrielle n'aurait probablement pas connu un tel essor si les murs des abattoirs industriels avaient été en verre. Slow Food, à l'inverse, encourage une attitude curieuse, à la fois gourmande et responsable, vis-à-vis de l'alimentation. Abandonner la passivité pour redevenir acteur de son alimentation en s'intéressant à la façon dont sont produits les aliments que l'on mange, par qui et où ? Cette reconnexion à la nature, aux saisons et à la biodiversité célèbre la différence et s'accompagne d'un goût retrouvé à prendre le temps, choisir ses ingrédients et cuisiner. La marque, elle, doit être garante de la permanence du goût de ses produits et de leur disponibilité quelles que soient les saisons, et promet praticité et rapidité.
Si l'on voit mal où ces deux philosophies peuvent se rejoindre, il n'en demeure pas moins que les marques ont des choses à apprendre de Slow Food. OGM, HFCS (high fructose corn syrup), huile de palme, foisonnement de messages nutritionnels et de conclusions d'études médicales : les consommateurs sont confrontés à toujours plus d'informations complexes et de situations anxiogènes. Si la marque est le "visage" qui vend le produit au consommateur, pourquoi n'assumerait-elle pas aussi le rôle qu'a un producteur vendant ses légumes sur un marché, à savoir transparence et information, voire éducation ?

Nouveau paradigme

Aujourd'hui, le consommateur ne voit pas les marques comme une source d'information fiable en matière d'alimentation. En quête de données sur les risques sanitaires ou une alimentation saine, ils font d'abord confiance à des institutions de diverses formes (professionnels de santé, associations de consommateurs, services de contrôle) et des personnes physiques bien identifiées (agriculteurs et pêcheurs, petits commerçants, famille et amis). L'industrie agroalimentaire arrive dans les deux cas en 12e position (2). Les marques qui sauront amener de la transparence, au-delà des contraintes légales telles que liste d'ingrédients ou DLC, mais bien plutôt sur l'origine des ingrédients utilisés ou encore leur mode de fabrication, auront un avantage concurrentiel par rapport aux autres. Leur sincérité sera mise à l'épreuve par des consommateurs de plus en plus critiques et une information de plus en plus accessible. On se souvient du cas Vichy en 2005 et de la sanction immédiate infligée par les internautes au Journal de ma Peau. Information et sincérité sont les nécessaires ingrédients pour qu'une marque tisse une relation de confiance durable avec ses consommateurs. Elle devient alors un véritable partenaire.
Un partenaire qui de surcroît prend part, comme ses consommateurs, aux défis environnementaux actuels. Le secteur alimentaire est responsable de 31 % des émissions de gaz à effet de serre en Europe (3). Le contenu de notre assiette voyage en moyenne 3.000 kms avant d'arriver sur notre table. L'agriculture industrielle laisse dans son sillage pollution, perte de biodiversité et modification des paysages. Or les marques sont des acteurs de poids de l'alimentaire : les produits manufacturés représentent plus de 75 % des ventes mondiales de ce secteur (4). L'urgence d'adopter un développement durable n'est plus à démontrer. Mais celui-ci passe par un changement profond de nos habitudes, qu'elles soient de consommation ou de production, et une implication de chacun. La sensibilisation à ces problématiques par les pouvoirs publics et les médias font de cet aspect un critère de plus en plus important dans les décisions d'achat. Et il n'est pas déraisonnable de penser que les consommateurs valoriseront l'engagement d'une marque à leurs côtés face à ces défis : le lien citoyen, nouvelle forme durable de consumer bonding ?

Enfin, un changement dans les modes de fonctionnement d'une marque, même si mineur à l'échelle de la vision idéale prônée par Slow Food, a un impact important du fait de la diffusion de la marque. Quand Walmart propose des fruits et légumes bio, c'est autant de production agricole obtenue sans utilisation de produits phytosanitaires. Si une marque de plats cuisinés donne plus d'importance dans son assortiment à l'offre végétarienne, elle contribue à accompagner ses consommateurs vers un régime moins carné et donc plus respectueux de l'environnement. Il y a là un défi de taille. Il s'agit d'un véritable changement de paradigme : de critères économiques seuls vers un modèle alliant viabilité économique et responsabilités environnementale et sociale. Ce paradigme s'accompagne d'une nouvelle forme d'innovation. Mais plutôt qu'un nouveau parfum de yaourt, une nouvelle taille de bonbon chocolaté ou un nouveau packaging, il s'agit d'inventer une autre manière de travailler. Une manière qui donnerait naissance, à défaut de produits "bons, propres et justes" tels que définis par Slow Food, à des aliments plus respectueux de l'environnement, de ses écosystèmes et des personnes qui les produisent.

Notes

(*) Consultante indépendante marketing et communication.
(1) Comme l'écrit l'agriculteur et écrivain américain Wendell Berry.
(2) Source : Baromètre de la perception de l'alimentation, réalisé par le Crédoc pour le Ministère de l'Agriculture et de la Pêche (2009)
(3) Source : EIPRO (2006)
(4) Source : Euromonitor (2003)
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