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Revue des marques : numéro 74 - Avril 2011
 

Le langage au service de la valeur ajoutée

Le langage, qu'il soit d'entreprise ou de marque, appelle désormais confiance, clarté et vérité. Il revient à chaque entreprise de définir sa charte sémantique à partir de ses fondamentaux.

Entretien avec Jeanne Bordeau*, fondatrice de l'Institut de la Qualité de l'Expression



Le langage au service de la valeur ajoutée

Pourquoi le web annonce-t-il une nouvelle ère du langage ?

Jeanne Bordeau : Depuis la fin des années 1990, j'annonce que le lien avec l'expression va changer. Avec le web, on par- lera et on écrira davantage et ce, contrairement aux idées alors reçues, annonçant la fin de l'ère papier ; mais la qua- lité exigée du langage nous conduira à moins écrire pour mieux écrire. Le web brise les frontières, libère la parole, crée plus d'échanges et provoque une mixité de l'oral et de l'écrit. Le monde de la communication change. La relation que les consom'acteurs vont entretenir avec les entreprises et les marques sera moins artificielle, moins empreinte d'autorité, moins hautaine. L'heure est à la convivialité, au rapport sain avec les consommateurs et le public interne. Par le biais des réseaux sociaux, l'entreprise, personne morale qui réunit des équipes, un savoir-faire, s'exprime en dehors de toute tyrannie de la marque qui fondait son discours sur la séduction en ignorant le travail des hommes. C'est la fin du décalage entre la vie "de" et "dans" l'entreprise et l'image de la marque. Le moment de vérité et de clarté ne doit pas pour autant être synonyme de transparence excessive comme dans le cas de Wikileaks. L'entreprise ne doit pas tout dire, il y a obligatoirement en son sein une boite noire mais elle doit parler bien et juste.

Le langage au service de la valeur ajoutée

Qu'est-ce que le web change dans le langage des entreprises et des marques ?

J .B. : En raison de l'immédiateté des échanges, les entreprises vont être amenées à réfléchir sur la cohérence de leur discours émanant des différents services, communication, ressources humaines, finance, développement durable... aussi bien à destination des publics externes qu'internes. La polyphonie ne doit pas devenir cacophonie.

En quoi le langage des entreprises et des marques diffèrent-ils?

J .B. : Ils diffèrent car l'entreprise est une personne morale, liée à ses hommes, ses équipes, avec un langage institutionnel, un langage d'autorité renforcé par le concept de développement durable, un concept qui exige une attitude pensée et respectueuse avec tous les partenaires et qui impose un discours rationnel. Pour autant la thématique du socialement responsable demeure peu exposée comme en témoignent la recherche de sens, de lien, de plus en plus exprimée par les salariés sur le web. La marque, elle, parle au marché. C'est une des expressions sensibles de l'entreprise orientée vers l'extérieur, avec un discours de séduction, de crédibilité, de fiabilité. Le langage d'entreprise permet de porter un regard d'anticipation sur des engagements éthiques et aide à exercer une action citoyenne. Le langage de marque se nourrit d'un marché, des réactions des clients et des prospects. Reste que l'entreprise et la marque doivent se rejoindre dans un discours juste, fondé sur la clarté. Ce nouveau langage va produire des nouveaux registres de discours dont celui de la narration, une mise en récit avec un ordonnancement du langage qui manque cruellement aujourd'hui, à l'heure où le powerpoint continue de morceler l'information ! La justesse du langage va devenir un capital déterminant, un nouvel avantage comparatif.

Qu'entendez-vous par "charte sémantique" ?

J .B. : La charte sémantique, nom déposé par l'Institut à l'Inpi en 2004, est à la circulation du langage ce que le code de la route est à la circulation automobile. Chaque entreprise doit définir à partir de ses fondamentaux, ses propres codes de langage, ses propres mots, ses propres tournures sémantiques et les déployer dans des chartes éditoriales, des guides, un intranet, des outils vidéo... Au cœur de la charte, la matrice définit ce que l'on dit, comment on le dit et de quel point de vue. C'est le "connais-toi toi-même", discours d'auteur donc d'autorité. La charte sémantique doit définir la posture (autorité, pédagogique, conviviale, conquérante...), le choix des messages et un choix symbolique, le type de style. Un langage juste exacerbe la capacité d'expression stratégique.

Le langage au service de la valeur ajoutée

Nous ne sommes qu'au début de l'écriture et image et le style, le contenu, dépendront

Le web impose-t-il une nouvelle forme d'écriture qui peut changer selon les cibles (actionnaires, consommateurs, journalistes, pouvoirs publics...) ?

J .B. : Nous ne sommes qu'au début de l'écriture du web. Nous aurons demain texte, son et image et le style, le contenu, dépendront des attentes des différents publics. Il faudra toujours associer argumentation et clarté et tourner le dos au style déclaratif. Cela va enrichir le champ de la langue et il y aura demain des directions des messages au sein des entreprises avec des nouveaux métiers autour de l'écrit, linguistes, rédacteurs, au sein des entreprises.

La création et la diffusion des messages, confiées, jadis aux agences, peuvent-elles en partie revenir au sein des entreprises ?

J .B. : Oui, une partie de la rédaction des messages va revenir à des rédacteurs en interne. Jadis les secrétaires des PDG connaissaient la culture de l'entreprise au travers des mots du président. Demain, l'entreprise ouvrira ses portes aux philosophes dotés d'une culture économique, nouveaux directeurs des messages.

Qu'est-ce que le planning stratégique en langage ?

J .B. : Le planning stratégique s'interroge sur la manière d'appliquer les règles de la charte sémantique et sa mise en œuvre en fonction des émetteurs et des récepteurs.

Le consommateur peut-il être co-producteur du discours de marque ?

J .B. : Oui, car nous entrons dans l'ère de la marque conversationnelle qui ne doit plus négliger le sensible, l'émotionnel. Le consommateur s'exprime plus librement dans les réseaux sociaux, il est davantage impliqué dans le storytelling, il répond et il "co-écrit".

Les réseaux sociaux imposent-ils aux dirigeants et aux collaborateurs un langage spécifique ?

J .B. : Oui, bien sûr, et cela va monter en puissance. On est à l'aube d'une révolution car la parole explose et déferle ...

La multiplicité des canaux engendre la multiplication des messages de la marque. Comment conjurer le risque de cacophonie, ou de dissonance ?

J .B. : La charte sémantique évite l'accident. De la même manière que la charte graphique définit une certaine posture de la marque, la distingue, la singularise, de même la charte sémantique fait émerger le particulier.

Quels sont les défis de demain pour la marque sur le web ?

J .B. : Une marque trop bavarde perdra en crédibilité. Il faut impérativement mettre de la qualité, de la créativité et de la cohérence dans le web. Le danger réside dans le mélange des genres, infotainment, advertainment, webseries, storytelling, brand content... Les nouvelles frontières de la communication sont ouvertes et le langage est déstabilisé. On est passé de 500 000 à 800 000 mots dans le vocabulaire professionnel. Néanmoins, les mots ont-ils pour autant un sens commun et partagé par chaque communauté ? Et bien non ! De nouveaux codes sont à refonder.

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