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Revue des marques : numéro 72 - Octobre 2010
 

Le savoir-faire et les marques 2 valeurs stratégiques de l'innovation

Protection juridique du savoir faire, tour d'horizon du droit.

par Mireille Kalogerakis


Mireille Kalogerakis
Le savoir-faire est une notion complexe à saisir au niveau juridique, régie par plusieurs définitions. Par exemple dans le domaine de la concurrence, cette notion est définie dans deux règlements : dans celui relatif aux accords de transfert de technologie(1) ainsi que dans le nouveau règlement concernant les accords verticaux (2). Des éléments communs ressortent de ces deux définitions : "un ensemble secret, substantiel et identifié d'informations pratiques non brevetées, résultant de l'expérience du fournisseur et testées par celui-ci". Dans les deux règlements, la différence porte sur la nature des informations substantielles à retenir. Ces informations correspondent en fait au domaine des accords qui relèvent soit du domaine technologique (3), soit du domaine commercial (4).

Différences essentielles entre marque et savoir-faire

En France, l'article 712- du CPI prévoit qu'une marque s'acquiert par l'enregistrement. Une marque doit donc être déposée auprès de l'INPI qui vérifie un certain nombre de conditions avant son enregistrement. Aucune disposition juridique ne définit clairement les conditions nécessaires pour assurer la protection juridique du savoir-faire. Le savoir-faire est défini à partir des trois notions suivantes : secrètes, substantielles et identifiées. Il estdonc recommandé de commencer par identifier les connaissances susceptibles d'avoir une valeur économique, pour ensuite les matérialiser autant que possible sur des supports physiques dont il conviendra enfin d'assurer le secret. Pour ce faire, l'entreprise devra d'abord limiter l'accès aux informations confidentielles (5) puis ensuite signer des accords de confidentialité.

Ensuite, le droit sur une marque permet de bénéficier d'une exclusivité d'usage dans la vie des affaires du signe revendiqué pour les produits et services enregistrés en application de l'article 713-1 à 713-3 du code de la propriété intellectuelle. La protection du savoir-faire ne permet pas de bénéficier de cette exclusivité d'usage. Certains éléments de savoir-faire associés à une marque peuvent tout de même permettre de maîtriser la distribution de produits marqués aux distributeurs agréés si les conditions favorisent le progrès économique et technique selon l'article 101 al.3 du TFUE(6). Au vu de cette disposition, la Commission a adopté des exemptions par catégories d'accord dont font partie les deux règlements d'exemption cités. En cas d'atteinte à une marque enregistrée, il est possible d'engager une action en contrefaçon auprès d'un juge qui a la compétence pour décider l'arrêt de l'usage de la marque par le contrefacteur. En cas de reprise du savoir-faire protégé, il n'est pas possible d'engager une telle action en contrefaçon, mais seulement une mise en cause de la responsabilité civile des auteurs dans la majorité des cas.

"Le savoir-faire est défini à partir des trois notions suivantes : secrètes, substantielles et identifiées."

Cas d'applications

Dans le cadre d'un contrat de franchise, un franchiseur met à disposition un savoir-faire ainsi qu'une enseigne correspondant souvent à une marque notoire en contrepartie d'engagements d'exclusivité et du paiement d'une redevance. De nombreux contentieux remettent en question la validité du contrat de franchise notamment sur la base de l'insuffisance du savoir-faire. Dans l'affaire Pronuptia, le caractère substantiel du savoir-faire a été reconnu car il aurait nécessité de longs efforts au franchisé s'il avait dû l'acquérir seul (7). Dans d'autres cas le juge peut estimer que le savoir-faire n'est pas suffisant et annule alors le contrat de franchise en question (8). Ces réseaux de franchise conditionnent l'agrément des candidats à des obligations complémentaires comme par exemple l'obligation de disposer d'un point de vente physique agencé selon des exigences du franchiseur. Cette pratique rejoint celle existant en matière de distribution sélective qui a fait l'objet de nombreux contentieux. L'étude de conditions ayant permis de valider cette forme de distribution dépasse cet article. Il sera observé que la distribution sélective pour des produits de luxe est compatible avec les règles de concurrence y compris celles qui viennent d'être renouvelées (9). L'évolution de la distribution a relancé le débat avec les sociétés n'exploitant pas de site physique mais seulement une boutique Internet. Par exemple, un contentieux a opposé un fabricant d'horlogerie disposant d'un réseau de distribution sélective à la société Bijourama (10).
Cette jurisprudence a reconnu valable l'obligation de disposer d'un point de vente physique. Cette condition n'a pas été remise en cause expressément par l'entrée en vigueur du nouveau règlement d'exemption (11) au 1er juin 2010. Cette exigence est prévue dans les lignes directrices exposées par la Commission le 19 mai 2010 (12) qui n'ont pas de valeur contraignante pour autant. Les enjeux de ces formes de distribution sont très importants. En 2008, la distribution sous forme de franchise a généré un chiffre d'affaires de 47 milliards d'euros (13). Les 75 maisons de luxe regroupées au sein du Comité Colbert, représentent 22 milliards d'euros (14). L'évolution des solutions juridiques permettent donc de préserver les intérêts légitimes des industries qui ont bâti leur renommée en conjuguant un savoir-faire d'excellence à des marques qui sont devenues notoires en différenciant leurs produits.

Notes

1 - Article 1er, Règlement CE n° 772/2004 de la Commission du 7 avril 2004, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords de transfert de technologie.
2 - Article 1er, Règlement UE n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010, concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'union Européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées.
3 - L'article 1er du Règlement CE n° 772/2004 concernant les accords de transfert de technologie cité définit ainsi le caractère substantiel qui est "ce qui est important et utile pour la production des produits contractuels, à savoir les produits qui sont produits à l'aide de la technologie concédée".
4 - L'article 1er du Règlement UE n° 330/2010 concernant les accords verticaux cité définit le caractère substantiel comme se référant "au savoir-faire qui est significatif et utile et à l'acheteur aux fins de l'utilisation, de la vente ou de la revente des biens ou des services contractuels".
5 - Pour un exemple de mesures, se reporter : Mireille Papaix-Kalogerakis, Jacques Fort, Pierre Gendraud, Les relations avec les tiers dans le management de projet, Mise à jour de l'ouvrage Conduite de Projet, édité par les Editions Weka (Juillet 2005).
6 - L'article 101 alinéa 3 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) remplace l'article 81 alinéa 3 du traité CE.
7 - Point 15, Affaire 161/84, affaire citée Pronuptia de Paris GmbH c/ Pronuptia de Paris Irmgard Schillgallis.
8 - Paris, 25 février 1992, D.1992, somm.391 ; 29 septembre 1992, D.1992, IR, p.227.
9 - Arrêt de la Cour du 10 juillet 1980, affaire SA Lancôme et Cosparfrance Nederland BV contre Etos BV et Albert Heyn Supermart BV, Affaire 99/79, Recueil de jurisprudence 1980 page 2511.
10 - Conseil de la Concurrence, décision n° 06-D-24 du 24 juillet 2006 relative à la distribution des montres commercialisées par Festina France, confirmée par CA Paris, 1ère ch., section H, 16 octobre 2007, Bijourama/Festina France, accessible sur le site Internet de Legalis : http://www.legalis.net
11 - Règlement UE n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010, concernant les catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées.
12 - Point 54, lignes directrices sur les restrictions verticales, JO n° C 130 du 19 mai 2010, p.20.
13 - Etude d'impact réalisée par la Fédération Française de la Franchise, accessible sur Site Internet, http://www.franchise-fff.com/
14 - Dossier de Presse 2010 du Comité Colbert, accessible à partir du site Internet du Comité Colbert, http://www.comitecolbert.com.
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