Hormis les professionnels, dont l'activité est liée aux vecteurs de communication, l'introduction, à titre défensif, des supports de communication dans le dépôt de la marque est non seulement contraire à la règle de spécialité de la marque, mais s'avère de surcroît inefficace, éphémère, voire risquée. Inefficace, car aucune protection additionnelle n'est, selon la jurisprudence actuelle, accordée à la marque en cas de contrefaçon sur les seuls vecteurs de communication (3). Ephémère, dans la mesure où tout enregistrement de marque étant soumis à une obligation d'exploitation au terme d'une période de cinq ans, le déposant risque de se heurter in fine à la déchéance de ses droits pour défaut d'exploitation de ces supports, ce qui aboutira irrémédiablement à un rétablissement du périmètre naturel de protection de sa marque. Risquée, en raison des contentieux artificiels que peut engendrer la désignation de tels supports lorsque ceux-ci ne constituent pas l'activité principale du déposant. En effet, nombreux sont les litiges qui portent sur cette seule extension de la marque (dossiers précontentieux, procédures d'opposition, voire actions judiciaires), alors que les parties en conflit ne sont, en réalité, nullement en état de concurrence.
Jusqu'alors, une fraction de la jurisprudence, reprise d'ailleurs par la Cour de cassation, retenait le principe, pour apprécier le bien-fondé du grief de contrefaçon, que les supports de communication s'apparentaient à des produits ou services à part entière, nonobstant la nature des produits ou services auxquels ils se rapportaient (4). Cette approche maximaliste est de plus en plus combattue par la jurisprudence française et communautaire, notamment pour ce qui est de l'usage illicite des marques sur internet. En France, lors de l'apparition des conflits entre marques et noms de domaine, la jurisprudence avait, à l'origine, consacré le principe que les noms de domaine relevaient indistinctement des "services de communication par réseaux informatiques" et qu'il appartenait donc aux titulaires de marques de les protéger, en tant que tels, dans leurs dépôts afin de prévenir toute réservation par des tiers de noms de domaine identiques ou semblables à leurs marques. La Cour de cassation mit un terme à ces errements jurisprudentiels, en réaffirmant le principe de spécialité attaché aux marques, selon lequel doit être prise en considération l'activité du site internet lié au nom de domaine, et non pas le nom de domaine en lui-même (5).
Ainsi, la notion d'usage du signe en tant que marque se présente comme la garantie cardinale du respect de la règle de la spécialité, en ce qu'elle permet de déterminer les produits ou services avec lesquels la comparaison doit être effectuée. Dans le même esprit, la Cour de justice de l'Union européenne, dans le cadre de questions préjudicielles, a apporté récemment son propre éclairage sur cet épineux problème à propos de litiges portant sur les liens commerciaux "adwords" de la société Google (6). Ces affaires se référaient à l'utilisation de mots-clés, dans le cadre de services de référencement sur Internet, de signes identiques ou similaires à des marques, sans que leurs propriétaires n'aient donné leur consentement. Les réservataires de ces mots-clés ont été invariablement condamnés au titre de la contrefaçon lorsqu'ils en faisaient usage pour des annonces de produits ou services identiques ou similaires à ceux couverts par les marques jugées contrefaites. S'agissant de la société Google, la Cour a considéré que sa responsabilité ne pouvait être recherchée au titre de la contrefaçon, dans la mesure où elle ne faisait pas personnellement usage de ces mots-clés à titre de marque. Il apparaît donc clairement que la contrefaçon ne peut être poursuivie contre les moteurs de recherches d'internet, du seul chef de fourniture de supports de communication, seule la nature des produits ou services auxquels ces mots-clés renvoient étant susceptible de donner lieu à d'éventuelles condamnations. En conclusion, il s'infère de la jurisprudence actuelle, tant française que communautaire (même si certaines décisions discordantes subsistent) que l'extension de l'étendue de protection d'une marque, à des fins de prévention, par l'ajout des supports de communication nécessaire à sa promotion, est non seulement juridiquement inopérante mais, à terme, illusoire.
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