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Revue des marques : numéro 71 - Juillet 2010
 

Fidélité chaude ou froide ?

Que sait-on de la fidélité à la marque ? Peu de chose. Aussi retenons que la fidélité se mesure à l'aune de la promesse de la marque.

Par Benoît Heilbrunn, Sémiologue, professeur à l'ESCP-EAP



Benoit Heilbrunn
Parler de fidélisation impose à minima de savoir ce que recouvre exactement le vocable de fidélité à la marque. Que n'a-t-on d'ailleurs dit ou entendu à ce propos, sans pour autant répondre de façon claire à des questions lancinantes : pourquoi est-on fidèle à une marque ? La fidélité est-elle une attitude ou un comportement ? La fidélité se suscite-t-elle ou bien est-elle suscitée par un lien affectif à l'égard de la marque ?
Force est de constater que nous savons en définitive fort peu de choses sur la fidélité à la marque. Les nombreuses recherches ont en effet montré qu'il n'existe pas de graal en la matière, à savoir qu'on ne peut identifier un profil de consommateur qui serait fidèle aux marques quelle que soit la catégorie de produits. La fidélité est donc essentiellement liée à la catégorie de produits et dépend de la rencontre particulière d'un individu avec une marque. Le taux moyen de fidélité est d'ailleurs plus important pour les classes de produits à forte pénétration, du fait de l'augmentation sous-jacente des occasions de contact.
Par ailleurs, des variables comme l'âge, le sexe et les caractéristiques psychographiques (opinion, style de vie, attitude...) ou de revenu sont très peu prédictives de la fidélité. A la rigueur, il est possible de dire que des caractéristiques structurelles de vie peuvent expliquer la récurrence d'achat d'un panier de marque ; une famille nombreuse avec deux actifs aura par exemple tendance à racheter les mêmes marques de consommation courante pour une simple question de gain de temps.
De la sorte, une fréquence d'achat élevée d'un produit sera statistiquement associée à des scores de fidélité plus élevés, ce qui indique clairement que la fidélité est un comportement renforcé par la répétition.
La fidélité est essentiellement liée à la catégorie de produits et dépend de la rencontre particulière d'un individu avec une marque.

Monomarque ou polymarque

La plupart des études marketing ne proposant que des résultats contextuels, ne faudrait-il pas explorer d'autres pistes pour appréhender la fidélité ? Nous avons sans doute du mal à comprendre la fidélité à la marque dans la mesure où nous somme englués dans un cadre culturel monogame alors que la société marchande donne toutes les raisons à l'individu d'être polymarque. La fidélité pose problème au marketing ou plus exactement aux marques, puisqu'elle suggère une certaine répétition qui s'oppose avec la sorte de romantisme propre au consommateur moderne avide de nouvelles expériences et de nouveautés. En proposant des espaces de vente et des sites web qui ont tous les attraits marchands de l'Île de la tentation, comment pourrait-on attendre des consommateurs des logiques de fidélité exclusive ? La fidélité à la marque ne peut donc se comprendre qu'en envisageant différents scénarii au nombre desquels la fidélité exclusive, qui est en définitive très rare, alors que prédomine bien souvent la fidélité partagée ou panachage. Force est de constater qu'un consommateur est souvent multifidèle dans un univers de produits en achetant régulièrement plusieurs marques à l'intérieur d'un panier. Cette logique de panachage offre l'avantage de réduire le risque tout en offrant de la variété.

La fidélité des consommateurs à l'égard de la marque est largement conditionnée par la fidélité de la marque à l'égard d'elle-même.

Si le panachage de marques est la règle de conduite la plus générale, comment expliquer alors des comportements de monofidélité à l'égard d'une marque ? Lorsque nous sommes fidèles à une marque, n'avons-nous pas propension à la considérer comme Claude, "cette inconnue (…) épousée pour ses principes (alors qu') elle n'était ni la plus belle, ni la plus intelligente, ni la plus sensuelle de mes prétendantes, elle était beaucoup mieux : la plus acharnée à rester elle-même.(1)" Il faut se rendre à l'évidence, il en est souvent de nos relations aux marques comme de nos relations aux personnes : la fidélité est rarement fondée sur la passion. On peut alors distinguer deux versants opposés de la monofidélité : d'une part une fidélité active dénotant une forte empathie à l'égard de la marque - ce que recouvre la notion d'attachement à la marque - se manifestant par un ré-achat fréquent et exclusif fondé sur des motivations émotionnelles ; appelons-la fidélité chaude. Néanmoins, les travaux sur les comportements routiniers ont mis en évidence le fait que la fidélité à la marque est un construit comportemental qui n'implique pas forcément de pathos de la part du consommateur ; on peut alors envisager une fidélité passive liée à une forte inertie comportementale et ne renvoyant à aucune espèce d'affection de la part du consommateur ; appelons-la fidélité froide. Autrement dit un comportement monofidèle peut s'expliquer soit par une forme d'amour de la marque qui va pousser le consommateur à faire un report d'achat ou à changer de magasin s'il ne trouve pas sa marque en rayon, soit par une logique inverse, totalement fonctionnelle, fondée sur des raisons de practicité ou de rapport qualité prix. La fidélité exclusive à l'égard d'Evian n'a donc pas le même sens qu'un tel comportement à l'égard de Cristalline. Quelle serait alors la racine commune de ces deux types d'attitudes radicalement opposées explicatifs de la monofidélité ?
La racine étymologique ouvre une piste intéressante dans la mesure où "fidélité" dérive du latin fides, la foi ; la fidélité a donc rapport avec la croyance, mais plus encore, elle est liée aux notions de pacte et d'alliance. D'où cette idée importante qu'avait coutume de rappeler le regretté Jean-Marie Floch, à savoir qu'à partir du moment où la marque suppose un contrat implicite ou explicite avec ses consommateurs, la fidélité des consommateurs à l'égard de la marque est largement conditionnée par la fidélité de la marque à l'égard d'elle-même. La fidélité des consommateurs ne saurait donc résulter de techniques mercantiles de fidélisation mais dérive plus essentiellement d'une éthique de la marque visant à proposer et tenir des engagements dans le temps. La fidélité à la marque vient en définitive couronner la persévérance de la marque et sa capacité à respecter ses promesses malgré les aléas de la vie marchande.

Notes

1 - Jean-Michel Delacomptée : "Jalousies" - Calmann-Lévy - 2004 - page 43
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