S. R. : Toutes les catégories où le consommateur se sent désimpliqué et où, par corollaire, les offres premiers prix et les marques distributeurs ont une place très importante, voire sont devenues des leaders. Or, ce qui est inquiétant, c'est que ce qui était valable pour des produits de corvée, à valeur très fonctionnelle, s'est aujourd'hui étendu à un certain nombre de secteurs de l'alimentaire, de plus en plus banalisés. Ce phénomène n'est pourtant pas inéluctable : il faut juste aller chercher et/ou retrouver de nouvellesmanières d'aborder ces catégories en creusant qualitativement les insights et en innovant (ce qui ne passe pas nécessairement par des lancements de produits). Par exemple, il y a des catégories ou des segments qui ont déjà su se réinventer : regardez le formidable travail de Francine dans le secteur de la farine ou celui de Carte Noire dans la catégorie des cafés en dosettes. L.C. : Il est difficile de justifier la prime de marque dans tout produit désinvesti psychologiquement. Ou lorsque la marque sous-investit son capital image. On le constate en analysant marché par marché le poids croissant des MDD… ou encore par leur absence qui est la plupart du temps due aux barrières technologiques des process de fabrication. Ainsi il est très complexe de fabriquer des barres chocolatées ou des chewing-gums avec des standards de qualité comparables aux grands acteurs internationaux du marché.
S. R. : Le packaging devient un enjeumajeur pour la marque, pas seulement par sa capacité à créer de l'impact, de l'attractivité, et à faire vendre,mais, bien au-delà à donner du sens "tangible" à lamarque :informer bien sûr,mais surtout incarner de façon synthétique le parti-pris de lamarque, son point de vue sur la catégorie. Et cela passe par une alliance de trois dimensions fondamentales. Celle du service, tout d'abord, où tout doit concourir à apporterune vraie facilitation de l'usage et une valeur ajoutée substantielle pour épouser le mode de vie du consommateur : ergonomie, nomadisme, hygiène… donc un travail en profondeur sur les formes, les matières, et la fonction, loin des standards industriels imposés qui font que tous les packagings se ressemblent…Celle de l'environnement, ensuite, dans son sens le plus large, avec une prise en compte de l'impact environnemental du packaging et sa recyclabilité :sur ce point, tout reste à faire pour passer de l'ère du sur-emballage "qui ne sert à rien" à un univers où les étiquettes sont pelables… Celle de l'esthétique, enfin car on l'a oublié,mais le packaging, c'est aussi le moyen de ré-enchanter l'achat et de se faire plaisir :ce qui passe autant par un travail sur la polysensorialité (formes, matières) que sur le graphisme et notamment savoir prioriser les messages et cesser de vouloir transformer le facing d'un packaging en dos informatif ; se doter d'un vrai style de marque, en s'appuyant sur des savoir-faire : une typographie, cela se dessine… une photographie, c'est d'abord le choix d'un style visuel… une couleur, c'est un actif "propriétaire" de la marque… L.C. : Tous les insights cités sont importants, mais c'est très variable selon le produit considéré, et l'on pourrait ajouter à ces critères le format qui prédéfinit aussi une forme de consommation,dose unitaire pourmonofoyer oumaxi-pack familiaux… Aujourd'hui, les différents formats proposés par une même marque ne sont pas tous référencés dans le point de vente habituel du consommateur. Ce qui peut rejaillir indirectement en négatif sur l'image de la marque, même si elle n'est pas responsable de cette situation.
S. R. : Le packaging peut être collaboratif au sens où sa conception doit être directement imprégnée de la compréhension des manières d'être et de vivre des consommateurs, notamment à travers des études d'observation du consommateur et une compréhension de ses "insights". En revanche, le consommateur n'est ni un innovateur, ni un créateur : à nous d'imaginer les idées, mais aussi et surtout de les transformer dans une esthétique qui le fasse rêver. Pour cela, il faut s'appuyer sur ce qui fait toute la magie de ce métier, de l'art du calligraphe à l'oeil du photographe, il y a toute une palette de talents à mettre en oeuvre pour s'exprimer…non, un packaging ne se réduit pas à un .jpg ! L.C. : Ni force de proposition ni acteur ! Sauf par hasard ! Mais le hasard n'est pas un mode de fonctionnement pour une entreprise. Il faut savoir en profiter, éventuellement le guetter et savoir repérer la bonne idée qui passe, mais sans aller au-delà.Il y a bien évidement de nombreuses limites dans les tests consommateurs. Tout le monde a été confronté, un jour, à une infirmation de résultats de prétests les plus solides par des ventes en contradiction avec ces éléments "prédictifs". La création ou l'innovation est une affaire de professionnels qui se situent des deux cotés de la barrière. Je dirais que le premier acte de création commence la plupart du temps chez l'annonceur qui porte une idée, un produit. Cela ne veut pas dire que les consommateurs n'ont pas d'idée mais de ne pas oublier que faire appel à eux pour trouver la onne idée relève du grand aléatoire. Leurs inputs seront en revanche précieux pour nous rappeler au simple bon sens.
S. R. : C'est le grand défi auxquels sont confrontés les marketeurs d'aujourd'hui mais aussi une opportunité pour redonner du sens à un métier qui s'est, hélas, paupérisé… Il faut décortiquer le consommateur autrement que par cible socioculturelle ; redonner aux marques de vrais points de vue et de la différence ; apporter de la valeur autant fonctionnelle qu'émotionnelle. Le packaging est un outil évident de cette reconquête : il est une émanation intime de la marque, son premier point de rencontre, et le plus accessible, avec le consommateur.De la cosmétique à l'alimentaire, le packaging doit être le moyen de sortir du tout industriel pour signifier de l'attention au consommateur, et la prise en compte de sa réalité, si complexe soit-elle. La encore, le modèle de masse doit être revu et corrigé pour apporter des réponses moins standardisées : plus de formats, une variété de matériaux, des recherches de service spécifiques, pour la forme physique, mais aussi des mini-séries graphiques qui contribueront à raconter une marque, des gammes développées autour de véritables architectures… les idées nemanquent pas ! L.C. : Le design est un formidable moyen de segmentation. C'est lié à deux facteurs. D'une part, sa palette d'intervention est multi canal et, à ce titre, il met en oeuvre des outils dont la puissance et la précision sont bien réels : la couleur - essayez de commercialiser un emballage de yaourt noir ! - … une étude a démontré que la couleur influait directement sur la perception du goût du produit, en revanche les cafés même décaféinés n'ont jamais connus de succès avec toutes les tentatives d'emballage bleuciel ! - la forme, la typographie, la mise en page, etc… autant de moyens de préciser son message pour mieux cibler et parler à ses consommateurs. D'autre part, de par sa nature, le pack est intimement lié au produit, il en est insécable sur le plan symbolique. Et son décodage par le consommateur n'opère pas comme avec un message publicitaire. Sans être publiphobe, la nature d'un message publicitaire fonctionne, pour une part, en distanciation : il implique, par sa forme, sa vocation et sa fonction purement incitatives. L'emballage, au contraire,d'une mise en distance, fonctionne comme un créateur de lien avec le consommateur. Ne serait ce que parce qu'il le renseigne, lui rend service par ses aspects pratiques, lui assureune qualité sanitaire reconnue… Avec le design, il est possible de s'adresser aux nouvelles madames Michu ! L'accessibilité peut-elle, pour certaines attentes, privilégier l'usage de l'objet à sa possession (le Velib' par exemple) ? S. R. : En effet, on voit bien émerger un nouveau modèle de consommation où la possession n'est plus indispensable, ou, sinon, limitée dans le temps : revendre, utiliser des produits de seconde main sont déjà des incontournables de l'univers du textile ou de l'ameublement. Il en est évidemment autrement des produits périssables, qu'ils soient cosmétiques ou alimentaires. Et puis, ne l'oublions pas, il y a des packagings que l'on aime garder, et regarder : car bien souvent, c'est le flacon qui fait l'ivresse ! L.C. : Oui, mais ce n'est pas un phénomène nouveau. Historiquement et toujours pour le même motif principal : le sentiment d'avoir une part de son capital investi, immobilisé et qui se dévalorise inexorablement. Mais la non-possession n'interdit pas la consommation. Prenez l'exemple de la voiture : depuis de nombreuses années, la location - qui est un produit de service - est un substitut efficace face à l'achat.On ne loue le véhicule que pour des circonstances particulières : vacances,week-end… Pour aller dans le même sens, le marché a ensuite inventé la LLD (location longue durée) ou LOA (location avec option d'achat). Mais on quitte, ici, le terrain des produits de grande consommation et on se tourne vers des solutions de services qui ne fonctionnent pas du tout sur le même registre et avec des niveaux de prix – entre autres paramètres – qui ont un impact non négligeables sur les comportements.
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