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Revue des marques : numéro 70 - Avril 2010
 

Le design, créateur de liens avec les consommateurs

Premier contact de la marque avec les consommateurs, le design packaging dispose d'une palette d'intervention "multi canal", point de passage obligé pour une meilleure accessibilité

Entretien avec Sophie Romet, directrice générale de Dragon Rouge, et Louis Comolet, président de CLTG



Une des premières missions de la marque fut et demeure de rendre accessible au plus grand nombre les produits, particulièrement ceux dans l'univers des PGC. Certaines marques l'auraient-elles, aujourd'hui, oubliée ?

Sophie Romet
Sophie Romet

Sophie Romet :Ce n'est pas forcément la notion d'accessibilité qui a été oubliée en tant que telle,mais plutôt le concept de valeur ajoutée, mis à la portée du plus grand nombre - ce qui a été à l'origine du marketing - faire partager l'innovation par un public le plus large possible. Cette perte du sens premier de l'innovation s'est clairement illustrée, ces dernières années, par le lancement de nouveaux produits ou de références supplémentaires, vendus sans véritable valeur ajoutée tangible pour le consommateur. Une déception qu'il manifeste, aujourd'hui, à travers ses arbitrages et le refus de ce qu'il appelle, de façon très péjorative, les produits "qui sentent le marketing"...
Louis Comolet
Louis Comolet
Louis Comolet : Je ne pense pas que les marques aient oublié d'être accessibles, sauf pour le cas spécifique du critère prix, particulièrement sensible en cette période de turbulences économiques. Mais, de tout temps, une marque, un produit, mal positionné en terme de prix voit rapidement ses ventes décrocher. Dans un autre ordre d'idée, la pertinence du produit, c'est à- dire son utilité intrinsèque conditionne ses chances de survie. Toutes les marques, même les plus grandes, en ont fait l'expérience. Les aspects qui relèvent de la praticité viennent ensuite.Et puis il y a la gestion du paradoxe :rechercher une diffusion élevée des ventes ne passe pas forcément par le circuit classique de la grande distribution comme l'atteste le succès planétaire de Nespresso, fondé sur un business model bien spécifique.

Le concept d'accessibilité varie selon les périodes, les générations et les âges. Pour autant, existe-t-il, aujourd'hui des attentes communes à l'ensemble des consommateurs et restées sans réponse de la part des marques ?

S.R.:Bien sûr.Il y a et il y aura toujours de vraies attentes des consommateurs à résoudre demanière accessible, car le monde dans lequel nous vivons change très vite. Quand vous observez les tendances de fond qui préfigurent la consommation de demain, vous vous rendez compte que, sur bien des items, il reste des territoires à explorer. L.C. : A des degrés variables, chaque marque joue sa partition en infléchissant sa position sur un critère plutôt qu'un autre en fonction de son mix. Et l'on peut considérer que les grands principes d'accessibilité sont, aujourd'hui, globalement intégrés. Mise à part peut-être la taille des textes figurant au dos des emballages, toujours conçus pour des yeux de lynx ! Ce qui va changer,en revanche, sera davantage lié aux évolutions de notre société sur le plan sociologique et économique.On n'a pas fini de voir toutes les conséquences de l'importance de la question environnementale dans les comportements d'achat et pour lesquelles les marques sont loin d'avoir apporté toutes les réponses. En sachant que les solutions technologiques ne sont pas encore toutes là, et que l'arbitrage du consommateur se fera également sur le surcoût qui pourrait être engendré par ces nouvelles propositions.
Le packaging, enjeu majeur pour la marque, intègre trois dimensions fondamentales : le service en tant que facilitation d'usage, l'environnement avec l'impact environnemental et la recyclabilité, l'esthétique afin de ré-enchanter l'achat et procurer du plaisir...

Cela explique-t-il en partie la prise de distance des consommateurs vis-àvis des marques, entre autre, dans l'univers des produits de grande consommation (PGC) ?

S.R.:Cela en fait partie, bien sûr. Mais pas seulement. Derrière la remise en question des PGC, il y a l'ensemble d'un modèle à repenser. A commencer par le point de vente :on sait qu'il faut d'urgence redonner envie au consommateur d'aller dans un hyper ou un supermarché. Non seulement ces magasins ne sont plus attractifs, mais ils vont à l'encontre des attentes d'aujourd'hui fondées sur plus de proximité et d'humanité, bref une dimension moins industrielle. On sait aussi que le lieu ne correspond plus à la période : le désir de revenir à des courses en centre-ville plutôt qu'en périphérie vient compléter ce besoin de sortir de "l'écrasement" de la grande surface et de retrouver une dimension de proximité, relayée notamment par du service et une offre plus en adéquation avec les modes de vie d'aujourd'hui. Ensuite, il faut comprendre que les attentes des consommateurs vis-à-vis des marques ont énormément évolué ces dernières années, et encore plus depuis la crise. Les arbitrages ne sont plus les mêmes, et il n'y aura pas de retour en arrière. Ainsi, nous sommes passés de l'ère du rapport qualité-prix à celle du rapport bénéfice-prix. Enfin, il faut savoir entendre le consommateur qui veut qu'on s'adresse à lui, qu'on lui propose un produit ajusté à ses besoins, fussent-ils divers et non plus qu'on lui "colle" un schéma industriel, le même pour tous. C'est en cela que les marques sont aussi très challengées. Comment garder de l'accessibilité quand la notion même de "masse" dans la consommation comme dans la distribution, est dépassée ? L.C. : Aujourd'hui, on change de marque principalement après avoir testé une innovation (recette, nouveau produit…) que l'on aura perçue comme convaincante… sous réserve de son niveau de prix. L'autre cas de figure est lié au poids croissant des MDD et à leur niveau de qualité qui s'améliore. Un succès qui se construit principalement sur le différentiel prix par rapport aux marques nationales ou internationales. Les critères selon lesquels les consommateurs justifient leurs achats de produits de MDD peuvent varier - au-delà de la notion prix - en fonction de la façon dont ils "s'investissent" dans la catégorie de produit concernée. Pour l'un, le yaourt est le complice incontournable du petit-déjeuner et, comme c'est un gourmet au palais très sensible au goût, il considère que sa marque nationale est non négociable. Pour l'autre, la consommation du yaourt repose davantage sur des critères d'équilibre alimentaire et pour qui le plaisir gustatif reste secondaire. Il aura tendance à considérer le produit sous un angle "fonctionnel" et se sentant moins impliqué dans cet acte d'achat, il privilégiera le produit moins cher.

Dans quelles catégories de produits est-il devenu plus difficile de justifier la "prime de marque" tout en étant accessible ?

S. R. : Toutes les catégories où le consommateur se sent désimpliqué et où, par corollaire, les offres premiers prix et les marques distributeurs ont une place très importante, voire sont devenues des leaders. Or, ce qui est inquiétant, c'est que ce qui était valable pour des produits de corvée, à valeur très fonctionnelle, s'est aujourd'hui étendu à un certain nombre de secteurs de l'alimentaire, de plus en plus banalisés. Ce phénomène n'est pourtant pas inéluctable : il faut juste aller chercher et/ou retrouver de nouvellesmanières d'aborder ces catégories en creusant qualitativement les insights et en innovant (ce qui ne passe pas nécessairement par des lancements de produits). Par exemple, il y a des catégories ou des segments qui ont déjà su se réinventer : regardez le formidable travail de Francine dans le secteur de la farine ou celui de Carte Noire dans la catégorie des cafés en dosettes. L.C. : Il est difficile de justifier la prime de marque dans tout produit désinvesti psychologiquement. Ou lorsque la marque sous-investit son capital image. On le constate en analysant marché par marché le poids croissant des MDD… ou encore par leur absence qui est la plupart du temps due aux barrières technologiques des process de fabrication. Ainsi il est très complexe de fabriquer des barres chocolatées ou des chewing-gums avec des standards de qualité comparables aux grands acteurs internationaux du marché.

Il faut redonner aux marques de vrais points de vue et de la différence ; apporter de la valeur autant fonctionnelle qu'émotionnelle. Le packaging est un outil évident de cette reconquête.

Quels sont les insights incontournables en termes de design/packaging (praticité, produit pondéreux, suremballage, recyclabilité, lecture facile, ergonomie, cycle de vie…) dont les marques doivent tenir compte pour pouvoir dire aux consommateurs "je vous ai compris !"

S. R. : Le packaging devient un enjeumajeur pour la marque, pas seulement par sa capacité à créer de l'impact, de l'attractivité, et à faire vendre,mais, bien au-delà à donner du sens "tangible" à lamarque :informer bien sûr,mais surtout incarner de façon synthétique le parti-pris de lamarque, son point de vue sur la catégorie. Et cela passe par une alliance de trois dimensions fondamentales. Celle du service, tout d'abord, où tout doit concourir à apporterune vraie facilitation de l'usage et une valeur ajoutée substantielle pour épouser le mode de vie du consommateur : ergonomie, nomadisme, hygiène… donc un travail en profondeur sur les formes, les matières, et la fonction, loin des standards industriels imposés qui font que tous les packagings se ressemblent…Celle de l'environnement, ensuite, dans son sens le plus large, avec une prise en compte de l'impact environnemental du packaging et sa recyclabilité :sur ce point, tout reste à faire pour passer de l'ère du sur-emballage "qui ne sert à rien" à un univers où les étiquettes sont pelables… Celle de l'esthétique, enfin car on l'a oublié,mais le packaging, c'est aussi le moyen de ré-enchanter l'achat et de se faire plaisir :ce qui passe autant par un travail sur la polysensorialité (formes, matières) que sur le graphisme et notamment savoir prioriser les messages et cesser de vouloir transformer le facing d'un packaging en dos informatif ; se doter d'un vrai style de marque, en s'appuyant sur des savoir-faire : une typographie, cela se dessine… une photographie, c'est d'abord le choix d'un style visuel… une couleur, c'est un actif "propriétaire" de la marque… L.C. : Tous les insights cités sont importants, mais c'est très variable selon le produit considéré, et l'on pourrait ajouter à ces critères le format qui prédéfinit aussi une forme de consommation,dose unitaire pourmonofoyer oumaxi-pack familiaux… Aujourd'hui, les différents formats proposés par une même marque ne sont pas tous référencés dans le point de vente habituel du consommateur. Ce qui peut rejaillir indirectement en négatif sur l'image de la marque, même si elle n'est pas responsable de cette situation.

A l'heure du marketing collaboratif, le consommateur peut-il être "actif", être une force de proposition pour concevoir, ou aider à concevoir, comme dans le cadre de la publicité, le packaging de la marque ?

S. R. : Le packaging peut être collaboratif au sens où sa conception doit être directement imprégnée de la compréhension des manières d'être et de vivre des consommateurs, notamment à travers des études d'observation du consommateur et une compréhension de ses "insights". En revanche, le consommateur n'est ni un innovateur, ni un créateur : à nous d'imaginer les idées, mais aussi et surtout de les transformer dans une esthétique qui le fasse rêver. Pour cela, il faut s'appuyer sur ce qui fait toute la magie de ce métier, de l'art du calligraphe à l'oeil du photographe, il y a toute une palette de talents à mettre en oeuvre pour s'exprimer…non, un packaging ne se réduit pas à un .jpg ! L.C. : Ni force de proposition ni acteur ! Sauf par hasard ! Mais le hasard n'est pas un mode de fonctionnement pour une entreprise. Il faut savoir en profiter, éventuellement le guetter et savoir repérer la bonne idée qui passe, mais sans aller au-delà.Il y a bien évidement de nombreuses limites dans les tests consommateurs. Tout le monde a été confronté, un jour, à une infirmation de résultats de prétests les plus solides par des ventes en contradiction avec ces éléments "prédictifs". La création ou l'innovation est une affaire de professionnels qui se situent des deux cotés de la barrière. Je dirais que le premier acte de création commence la plupart du temps chez l'annonceur qui porte une idée, un produit. Cela ne veut pas dire que les consommateurs n'ont pas d'idée mais de ne pas oublier que faire appel à eux pour trouver la onne idée relève du grand aléatoire. Leurs inputs seront en revanche précieux pour nous rappeler au simple bon sens.

La marque ne peut être "accessible" aux consommateurs que si ces derniers le sont aussi pour elle ! Or, à l'homogénéisation et l'uniformisation des modes de vie qui ont singularisé les Trente glorieuses, succède un temps marqué par l'éclatement des modèles socioculturels et la disparition de Mme Michu. Comment le design/packaging peut-il relever ce défi ?

S. R. : C'est le grand défi auxquels sont confrontés les marketeurs d'aujourd'hui mais aussi une opportunité pour redonner du sens à un métier qui s'est, hélas, paupérisé… Il faut décortiquer le consommateur autrement que par cible socioculturelle ; redonner aux marques de vrais points de vue et de la différence ; apporter de la valeur autant fonctionnelle qu'émotionnelle. Le packaging est un outil évident de cette reconquête : il est une émanation intime de la marque, son premier point de rencontre, et le plus accessible, avec le consommateur.De la cosmétique à l'alimentaire, le packaging doit être le moyen de sortir du tout industriel pour signifier de l'attention au consommateur, et la prise en compte de sa réalité, si complexe soit-elle. La encore, le modèle de masse doit être revu et corrigé pour apporter des réponses moins standardisées : plus de formats, une variété de matériaux, des recherches de service spécifiques, pour la forme physique, mais aussi des mini-séries graphiques qui contribueront à raconter une marque, des gammes développées autour de véritables architectures… les idées nemanquent pas ! L.C. : Le design est un formidable moyen de segmentation. C'est lié à deux facteurs. D'une part, sa palette d'intervention est multi canal et, à ce titre, il met en oeuvre des outils dont la puissance et la précision sont bien réels : la couleur - essayez de commercialiser un emballage de yaourt noir ! - … une étude a démontré que la couleur influait directement sur la perception du goût du produit, en revanche les cafés même décaféinés n'ont jamais connus de succès avec toutes les tentatives d'emballage bleuciel ! - la forme, la typographie, la mise en page, etc… autant de moyens de préciser son message pour mieux cibler et parler à ses consommateurs. D'autre part, de par sa nature, le pack est intimement lié au produit, il en est insécable sur le plan symbolique. Et son décodage par le consommateur n'opère pas comme avec un message publicitaire. Sans être publiphobe, la nature d'un message publicitaire fonctionne, pour une part, en distanciation : il implique, par sa forme, sa vocation et sa fonction purement incitatives. L'emballage, au contraire,d'une mise en distance, fonctionne comme un créateur de lien avec le consommateur. Ne serait ce que parce qu'il le renseigne, lui rend service par ses aspects pratiques, lui assureune qualité sanitaire reconnue… Avec le design, il est possible de s'adresser aux nouvelles madames Michu ! L'accessibilité peut-elle, pour certaines attentes, privilégier l'usage de l'objet à sa possession (le Velib' par exemple) ? S. R. : En effet, on voit bien émerger un nouveau modèle de consommation où la possession n'est plus indispensable, ou, sinon, limitée dans le temps : revendre, utiliser des produits de seconde main sont déjà des incontournables de l'univers du textile ou de l'ameublement. Il en est évidemment autrement des produits périssables, qu'ils soient cosmétiques ou alimentaires. Et puis, ne l'oublions pas, il y a des packagings que l'on aime garder, et regarder : car bien souvent, c'est le flacon qui fait l'ivresse ! L.C. : Oui, mais ce n'est pas un phénomène nouveau. Historiquement et toujours pour le même motif principal : le sentiment d'avoir une part de son capital investi, immobilisé et qui se dévalorise inexorablement. Mais la non-possession n'interdit pas la consommation. Prenez l'exemple de la voiture : depuis de nombreuses années, la location - qui est un produit de service - est un substitut efficace face à l'achat.On ne loue le véhicule que pour des circonstances particulières : vacances,week-end… Pour aller dans le même sens, le marché a ensuite inventé la LLD (location longue durée) ou LOA (location avec option d'achat). Mais on quitte, ici, le terrain des produits de grande consommation et on se tourne vers des solutions de services qui ne fonctionnent pas du tout sur le même registre et avec des niveaux de prix – entre autres paramètres – qui ont un impact non négligeables sur les comportements.

La forme, la typographie, la mise en page, etc… autant de moyens de préciser son message pour mieux cibler et "parler" à ses consommateurs.
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