"Les organisations et les méthodes du marketing n'ont pas véritablement évolué depuis les années 1980", déplore Philippe Jaegy. Selon lui, les techniques habituelles seraient devenues insuffisamment fines et concentrées sur des promotions soutenues par des messages essentiellement rationnels. "Les entreprises qui réussissent ont procédé autrement", note Philippe Jaegy."Elles ont su se doter d'un contenu émotionnel très fort et veiller à ce que la valeur ajoutée de leurs produits soient bien réelle. Leurs marques sont créatrices de désir et pas de dépendance…" Et de citer Coca-Cola, McDonald's, Apple, Ikea, Adidas, Nespresso, Red Bull, American Apparel…
Quels sont les piliers qui permettent à ces marques d'éviter l'éloignement des consommateurs? Outre une valeur ajoutée du produit "réelle, explicable et comprise", "leur motivation de base est en résonance avec les aspirations des consommateurs, telles que la santé, l'immortalité ou la jeunesse, alors que certaines sont nées au XIXe siècle". Sur ces fondements, "leur approche marketing est justement dosée, avec une utilisation plus pointue des médias et, toujours, en sachant s'adapter au local". Ces succès montrent, en creux, d'où proviennent les difficultés des autres.
Premier problème: la surcapacité. "On assiste à une explosion des dépôts de marques dans le monde, pouvant conduire à une sur dose chez le consommateur", estime Philippe Jaegy. Pourtant, nombre de grands groupes ont réduit leur portefeuille de façon drastique: "Ces rationalisations ont été accomplies afin de chasser la complexité, pour des raisons seulement financière. S'il y a, en effet, une mauvaise complexité, il faut bien, pour exister, jouer sur la différenciation." En témoigne la réussite de marques de niche dans un ultrafrais sinistré, Petit Basque, Malo ou Mamie Nova, "qui s'en sortent très bien". En résumé: "Oui à la rationalisation pour les marques faibles, sans aspérités, mais non pour celles qui apportent de vraies réponses, même si ce sont des marques secondaires et si cela engendre une complexité difficile à gérer, en conjuguant réponses mondiales et locales. Avec cette nouvelle lecture, il n'est pas certain que l'on verrait aujourd'hui des cessions de pépites comme Vigor ou Mont-Blanc à des fonds d'investissement!" Dans un marché mondialisé, le véritable défi des marques réside bien dans ce double niveau, dont la perception doit être de plus en plus fine: "Nous ne sommes plus toujours dans le 20-80 mais dans le 25-65,25 % de consommateurs pour 65 % du chiffre d'affaires."
Le second problème, dans ce cas, est le risque d'alourdissement de la gestion des marques. "Cette complexité peut entraîner une hausse des coûts, à moins que l'entreprise ne devienne plus agile, estime Philippe Jaegy. C'est impossible avec les outils d'aujourd'hui et suppose un véritable développement des organisations en réseau: même pour le plus brillant des chefs de produit, la science infuse, ça n'existe pas. Il doit s'ouvrir, s'appuyer sur des experts… son métier va changer."
La dictature des notions de blockbuster,de top of mind et de notoriété, phares d'une approche demass-market, se trouve concurrencée par la blogosphère et le développement d'autres débouchés que les GMS. "Le consommateur doit être considéré comme un contributeur dans le processus marketing. Comment y répondre avec les mêmes organisations? Les entreprises étaient bien structurées pour les premières, pas pour les secondes." Et cela fait, l'outil industriel devra suivre: "Il va falloir réapprendre à produire des petites séries, c'est là le vrai défi", prévoit Philippe Jaegy. Ce qui repose la question de la sous-traitance à façon. "La lecture classique du chiffre d'affaires minimal ne peut plus constituer la seule clé d'analyse. L'important, c'est le bas du compte de résultat et le retour sur capitaux employés."
Si un tiers de la valeur d'une entreprise repose sur les marques, leur fragilisation est un danger. Pour l'instant, les marchés à forte croissance ne nécessitent pas de modèles aussi complexes… à condition d'avoir la puissance d'investissement suffisante. Sinon, "s'attaquer à l'Amérique ou à l'Asie n'a aucun sens: il s'agit de viser les métropoles, voire, pour les plus grandes, les zones de chalandise, ce qui ne requiert pas le même ticket d'entrée". Mais un retour de la finesse stratégique. Et de citer le cas de Nespresso, "le plus beau succès de ce début de siècle, un modèle complètement à part dont la moitié de la croissance provient du seul bouche à- oreille, c'est-à-dire de clients fidélisés". Autre exemple novateur, en termes de marketing: Diageo a lancé Ciroc, une marque de vodka, en partenariat avec le rappeur américain Sean Combs (alias Puff Daddy), avec lequel le plus grand groupe de spiritueux du monde a constitué un joint-venture à 50-50. "Les remises en question commencent – on en observe chez Procter & Gamble ou Danone –, les circuits se multiplient. Il faut bien toucher le consommateur là où il est", conclut Philippe Jaegy.
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