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Revue des marques : numéro 67 - Juillet 2009
 

Le plaisir par l'ouïe

Comme l'identité visuelle, l'identité sonore se professionnalise. Elle devient un support stratégique, qui s'inscrit dans la logique de marque. A condition d'être émotionnelle mais aussi fonctionnelle.

Propos recueillis par Jean WATIN-AUGOUARD.


Le plaisir par l'ouïe
Michaël Boumendil, fondateur de
SixièmeSon.
Quelle est la différence entre la Valse n° 2 de Chostakovitch et la musique de la SNCF ? La Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak et la musique des Aéroports de Paris ? A première audition,aucune. C'est de la musique. Pourtant, Chostakovitch, Dvorak et tant d'autres compositeurs classiques mais aussi modernes (qu'on pense aux chansons de Charles Trenet ou de Françoise Hardy...) sont empruntés par des marques, alors que la deuxième catégorie relève de la création pure. Chostakovitch devient synonyme de CNP ; Dvorak peut être associé aussi bien à l'Audi A4, à Speedy où L'Eléphant(1). En écrivant la Flûte enchantée, Mozart pensait-il au riz Taureau Ailé ? La SNCF, Aéroports de Paris, France Culture, Axa, Petit Bateau... se singularisent, elles, par leur identité sonore, un concept créé par Sixième Son, il y a quinze ans. « La musique a toujours servi de support de communication », rappelle Michaël Boumendil, président et fondateur de l'agence(2). « Le chant religieux emporte l'adhésion des foules, fédère les âmes pour transcender.Qu'est-ce qu'un hymne national, si ce n'est une identité sonore qui ne dit pas son nom? »

Les trois âges de la musique de marque

C'est dans les années 1930 que la musique entre dans l'histoire de la communication desmarques avec la réclame à la radio, le Poste parisien, Radio Luxembourg, Radio Cité et les disques publicitaires(3). « La musique a alors une double fonction : rendre la marque sympathique et faire qu'on s'en souvienne », explique Michaël Boumendil. Cette fonction perdure à l'identique jusqu'aux années 1960. La musique liée à la réclame change de registre à l'ère de la publicité : « On entre dans le format du jingle, cellule courte dont l'objectif est l'impact.» Comme celui de Darty ou de Dim, l'indicatif sonore devient récurrent et identitaire. « On suit la même évolution dans la maturation du design graphique, le blason devient logo, tout devient bien normé », rappelle Michaël Boumendil. Le registre de la musique, classique ou non, n'est pas le même. Les Quatre Saisons de Vivaldi, la Lettre à Elise et bien d'autres musiques sont utilisées en téléphonie. Reste que le jingle a rapidement montré ses limites, car « l'impact ne fait pas tout et surtout il ne fait pas le sens, il ne crée pas la différence et ne sert pas durablement la marque ». L'identité sonore, troisième âge, doit, au même titre que l'identité visuelle, devenir un acte fondateur de la marque. Ses fonctions ? « Identifier,différencier et valoriser la marque », résume Michaël Boumendil. Pour autant, on observe depuis quelque temps un « gaspillage » sonore car on oublie, selon lui, de répondre à deux questions clés : «quelle doit être la place de la musique et à quoi peut-elle servir dans l'expérience du client ? » Contrairement aux idées reçues, la musique n'est pas que du divertissement, de la simple émotion, « la musique est un langage, donc un message ; il ne faut pas confondre quantitatif et qualitatif ». Autre malentendu observé par Michaël Boumendil : « L'ère de l'ultra consommation musicale n'est pas un appel à plus de musique mais à mieux de musique, une musique bien choisie. » Car rien n'est neutre dans la musique. Pour preuve la récente campagne Audica sur l'air de Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux du grand orchestre de Ray Ventura.

Cinq penchants à éviter

Michaël Boumendil distingue cinq penchants dangereux dans l'exploitation de la musique au service de la marque. Avec l'exploitation monolithique, comme la CNP avec la deuxième valse de Chostakovitch, lamarque s'enferme dans une image sonore intangible qui n'évolue pas en fonction de ses prises de parole ou de ses besoins. Parfois cela marche, le plus souvent cela enferme la marque dans un discours passéiste, nostalgique : « C'est tout le temps la même musique, or la marque ne peut pas raconter la même chose en toute circonstance, car elle fait vivre des expériences différentes à ses clients en fonction des rencontres. » La marque schizophrène, elle, a plusieurs identités sonores selon qu'elle s'adresse au corporate ou à la vente, selon les cibles. La marque populiste choisit une belle musique qui plaît aux gens, interchangeable donc dénuée de sens, « sans aucune légitimité par rapport au territoire de la marque ». C'est Century 21 exploitant Mercy de Marvin Gaye,ou Fram reprenant un tube des années 1980 de Spandau Ballet True, qui au mieux reste incompréhensible, au pire ringardise lourdement la marque. La marque « maison de disques » suit la logique de la compilation et estime, comme Air France ou Louis Vuitton, avoir trouvé le bon ton sur le plan musical.Enfin, il y a la marque qui veut la musique la plus consensuelle, à l'instar de La Poste. A ne pas prendre de risque du tout, elle finit par créer une forme de pollution sonore tant son identité sonore est dénuée de valeur. Dans ces musiques consensuelles appliquées aux marques, il y a commeun complexe.«Désolé, je ne fais que passer », semble-t-elle nous dire.

Cinq règles d'or

Pourtant, l'identité sonore est un besoin évident. La question devient donc : Que faire pour créer une identité sonore pertinente ? En respectant, selon Michaël Boumendil, cinq règles d'or. La musique est un langage avecune valeur ajoutée fonctionnelle et émotionnelle.« Fonctionnelle car la marque délivre un service, un produit, aussi la musique en tant que langage doit faire comprendre quelque chose aux gens. » Exemple : la musique sur un téléphone a naturellement pour fonction de faire patienter les gens, mais au-delà il s'agit de ne pas leur donner le sentiment qu'on les a oubliés. La deuxième valeur ajoutée est également émotionnelle : « Quelle émotion la musique doit-elle donner ? La sécurité, le bien être... ? » Deuxième règle : la marque doit définir son territoire et ses limites sur le planmusical, échapper à la confusion, inventer sa zone de protection et ses codes, créer une nouvelle posture de marque. Elle ne doit pas, troisième règle, oublier son métier et sa philosophie : « Un contenu trop émotionnel, purement aspirationnel, n'a pas de trace, de légitimité au regard de la marque. On ne doit pas oublier le métier, ce que fait la marque. Ecrire une musique pour Dior, par exemple, c'est d'abord se plonger dans l'histoire de la marque et de son créateur, c'est aussi bien prendre lamesure de son territoire aujourd'hui. » Quatrième règle : il faut tirer profit de la dimension narrative de la musique, créer une histoire musicale, car toute prise de parole doit être musicalement scénarisée. Enfin, il convient de ne jamais oublier l'expérience du client, en créant de la valeur dans tout point de contact, publicité, téléphonie, multimédia....
Bien sûr, ces règles nécessitent une certaine maturité de la part de la marque, une vision et une véritable ambition. Au même titre que dans le design graphique, une identité sonore pertinente installe durablement lamarque surun territoire légitime et crée un lien tangible avec ses publics.
La SNCF est dans ce domaine l'un desmeilleurs exemples. Elle a recours à un son différent selon la situation du client, mais l'ensemble des sons forme un tout cohérent. Comme l'identité visuelle, l'identité sonore évolue : « Cinq ans après le lancement de son identité sonore, nous avons fait entrer la SNCF dans la deuxième génération, car de la même manière qu'une marque n'est pas figée, ses outils ne le sont pas non plus. En moyenne, un petit relift d'une identité sonore est opéré tous les quatre ou cinq ans », souligne Michaël Boumendil.

Quelle musique ?

Le plaisir par l'ouïe

Pour Sixième Son,
l'ère de l'ultra-consommation musicale
appelle les marques à une exigence
particulière dans le domaine sonore.
Comment crée-t-on une musique ? Peut-on faire un parallèle avec le processus d'élaboration d'une identité visuelle ? Côté visuel, l'identité généralement se structure autour d'un nom, d'une police de caractère, d'une forme et de couleurs. Le créateur graphique cherche l'alchimie entre ces quatre éléments, le bon équilibre enmatière de sens et d'impact. « La musique, elle, est faite de dimension mélodique, harmonique, c'est un parti prisde sonorité, un parti pris rythmique, la musique est un arrangement harmonieux de sons.Chacune de ces dimensions porte des différences de sens et d'impact », explique Michaël Boumendil. Une mélodiepeut être ouverte ou fermée, conclusive ou non, complexe; une harmonie peut être simple ou enrichie, avec une ou plusieurs tonalités ou atonale ; les sonorités peuvent être classiques ou non, électroniques, acoustiques...«Tous ces choix forment le vocabulaire musical. Il nous revient de trouver la bonne grammaire, les éléments qui constituent l'histoire la plus précise de la marque. La musique a une puissance narrative d'autant plus forte qu'elle se déroule dans le temps. La marque doit en profiter. »

Et s'il fallait convaincre les sceptiques, la question des droits devrait les aider à trancher. Les droits de propriété intellectuelle ont un coût largement moins élevé, et la gestion de ces droits est bien plus simple avec une création. « On n'achète pas de la musique,on bâtit un patrimoine », conclut Michäel Boumendil.Coca-Cola l'a bien compris qui vient de confier à l'agence l'identité musicale de sa nouvelle campagne internationale,Hapiness Factory 3.
La musique est faite de dimension mélodique, harmonique, c'est un parti pris de sonorité, un parti pris rythmique, la musique est un arrangement harmonieux de sons.

Notes

(1) « Trésors de la pub, les plus grands airs classiques utilisés en publicité depuis vingt ans », RCA, 2003.
(2) Sixième Son, car sixième sens dans le son ; l'agence entend aborder le son demanière différente.
(3) « De la réclame à la publicité, chansons et annonces publicitaires », RyM Musique, 2000.
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