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Revue des Marques - numéro 64 - octobre 2008
 

Détournement de clientèle sur internet

Pour contrer l'action des cybersquatteurs et la spéculation sur les noms de domaine, de nouvelles ripostes existent. Les entreprises doivent mettre en place un système de veille efficace.

Détournement de clientèle sur internet

Depuis plusieurs années, le cybersquat1, le cyberjacking et le typosquat sont les principales atteintes aux marques par le biais des noms de domaine. Le cybersquat consiste à réserver un nom de domaine qui correspond à la marque d'un tiers, notoire de préférence. À ses débuts, les titulaires de marques, et leurs conseils, peu au fait de ces pratiques et pressés de récupérer des noms de domaine à tout prix, se contentaient de faiblement résister à ces réservations, et de payer le prix, élevé, demandé par le cybersquatteur.
Le cybersquat a eu de belles années. Puis l'Internet s'est organisé, et avec lui les procédures d'arbitrage, appliquant les principes UDRP2 (Uniform dispute resolution policy). Pour les titulaires de marques, notoires ou non, il est devenu plutôt facile d'obtenir la rétrocession d'un nom sur décision arbitrale.

Se diversifiant, les cybersquatteurs ont tenté de brouiller les pistes en réservant des noms de domaine mêlant deux ou plusieurs marques notoires, appartenant à des titulaires différents. Par exemple : airfranceklm.com. Les instances d'arbitrage n'ont cependant pas hésité longtemps avant d'accepter les demandes d'annulation sur action de l'une ou l'autre des marques cybersquattées. Les cybersquatteurs ont également inventé des noms de domaine encore plus explicites, associant le nom d'une marque aux mots anglais suck (guiness- beer-really-really-sucks.com, transféré par décision OMPI du 22/10/2000) ; fuck (fucksurcouf.com, transféré par décision OMPI du 26/1/2007),ou replica (replicatagheuer.com, transféré par décision OMPI du 9/12/2004), laissant peu de doute quant aux activités potentiellement développées sous ces vocables.

Faute de frappe…

Réservé aux marques notoires, le cyberjacking est du cybersquat qui emmène l'internaute sur un site pour lui vendre les produits du titulaire du nom de domaine, produits de catégorie semblable et généralement de prix et de qualité bien inférieurs aux produits originaux de la marque squattée, détournant ainsi le consommateur de son premier objectif. Toujours imaginatif, les petits malins de l'Internet ont créé le typosquatting, qui consiste à enregistrer comme nom de domaine un nom de marque frappé d'une faute de frappe : par exemple goggle ou gogole pour Google. C'est s'appuyer sur les erreurs fréquentes des internautes devant leur clavier. Or le nom de domaine goggle renvoie sur une page qui ressemble à s'y méprendre à la page d'accueil du moteur de recherche Google.
Ainsi, l'internaute distrait peut-il l'être jusqu'au bout, et utiliser sur goggle le moteur de recherche qui lui est proposé, sans s'apercevoir de sa méprise. On imagine les conséquences de l'achat d'un internaute qui, tapant de manière erronée le nom d'une marque fameuse, achète en réalité sur un site typosquatté des produits contrefaits. Reste que, sous l'action efficace des titulaires de marques et des acteurs de l'Internet (blocage par l'Afnic de réservations de noms de domaine en série par des sociétés spécifiques3), le cybersquat ne paie plus et les cybersquatteurs l'ont bien compris.

Parking… payant !

Les spéculateurs de la Toile n'ont toutefois pas renoncé à faire de l'argent. Ils se sont tournés vers les noms de domaine réservés en masse et donnant lieu à un site actif, élaboré à peu de frais. Les pages parking étaient nées. Il s'agit pour le titulaire du nom de domaine, en attendant de le revendre, d'avoir une page d'accueil qui regroupe un certain nombre de liens sponsorisés.
Le nom de domaine sert alors de plate-forme publicitaire. Le titulaire du site et l'hébergeur sont rémunérés à chaque clic d'un internaute sur un des liens parrainés. Au premier trimestre 2007, un clic rapportait en moyenne 1,46 dollar. En général les titulaires détiennent un nombre non négligeable de noms (plusieurs milliers), tous activés avec un domaine parking… Le trafic généré par ces pages est d'autant plus élevé que le nom est recherché :par exemple, s'il s'agit d'un nom cybersquatté (darty.de), typosquatté (gooogle.fr), ou d'un nom générique (meteo.com). Il est facile pour les titulaires de marques objets de ces pratiques d'obtenir le transfert du nom de domaine, en introduisant une plainte devant l'OMPI, dès lors que les liens sponsorisés emmènent l'internaute vers des sites développant des activités identiques ou similaires aux produits et services pour lesquelles la marque est protégée. En revanche, les arbitres ont indiqué à plusieurs reprises que le domaine parking n'était pas en soi une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine4,et peut constituer un moyen de subsistance pour le titulaire et son hébergeur en attendant la vente du nom. Il arrive même que le nom de domaine soit parké sans qu'il s'agisse d'une demande du titulaire, sur seule initiative de l'hébergeur. Dans ce cas, l'Icanna jugé que si les liens ont été choisis uniquement par l'hébergeur, le titulaire du nom de domaine ne peut être considéré comme de mauvaise foi.

La spéculation sur les noms de domaine est arrivée à son comble avec le domain tasting (“goûter à un nom de domaine”).

La spéculation sur les noms de domaine est arrivée à son comble avec le domain tasting (“goûter à un nom de domaine”). Quand quelqu'un souhaite réserver un nom générique (.com, .org, .net, etc.), il existe une période de cinq jours à compter de la réservation à l'issue de laquelle il peut décider de ne pas conserver le nom en question. Le droit de réservation initial (0,2 dollar) est restitué. Les spéculateurs ont mis en place un système de test du nom: ils l'activent immédiatement avec des pages parking, et mesurent la popularité du site pendant cinq jours (fréquentation, référencement organique…). Si le nom est assez rentable, il est conservé, sinon il est abandonné. En février 2007, 55,1 millions de noms de domaine ont été réservés. 51,5 millions ont été abandonnés (et remboursés) avant la fin du délai de cinq jours. Seulement 3,6 millions de noms ont finalement été conservés.

Dans le prolongement de cette pratique se rencontre le domain kiting : le nom est abandonné avant la fin des cinq jours puis de nouveau réservé pour cinq jours, puis abandonné, à l'infini. Las des pratiques toujours plus nombreuses et audacieuses des cybersquatteurs, de grandes marques5 ont créé la Coalition Against Domain Name Abuse (Cadna). Cette organisation à but non lucratif s'emploie à favoriser la prise de conscience et l'action pour arrêter la contrefaçon de marques sur Internet. Sa mission est de diminuer les cas de cybersquat, sous toutes ses formes, en mobilisant les décideurs nationaux et internationaux de la Toile. Alors, que peuvent faire les titulaires de marques ?

Agir en amont

Toute entreprise ou personne souhaitant réserver des noms de domaine devrait consulter Le Livre blanc sur la gestion des noms de domaine6 rédigé par Loïc Damilaville. Cet ouvrage présente l'essentiel de ce qu'il faut savoir en la matière. Il guide les entreprises et les particuliers dans le processus. D'abord, il est indispensable qu'existe dans chaque entreprise une stratégie de noms de domaine clairement définie : quels sont les besoins de l'entreprise en la matière, les marques concernées, les zones géographiques essentielles… Il faut évidemment effectuer un audit des noms de domaine déjà réservés au nom de l'entreprise et des entités du même groupe. À ce stade, il est très utile de comparer avec le portefeuille de marques. Ensuite, il convient de procéder aux ajustements nécessaires : abandons éventuels et réservations complémentaires. Il est également inévitable de déterminer qui dans l'entreprise sera chargé de la gestion des noms : service juridique ou service informatique ? Le rôle de chacun doit être clair, pour qu'il n'y ait ni erreur ni réservations non cohérentes avec la politique interne.

Il convient d'être méfiant lors des vérifications de disponibilité sur certains noms. Il arrive de plus en plus qu'un nom libre un jour ne le soit pas le lendemain. Il peut s'agir d'un hasard, mais il est plus probable que le site utilisé pour vérifier la disponibilité du nom de domaine appartienne ou soit relié d'une manière ou d'une autre à la société qui a fait la réservation, pendant que vous réfléchissiez encore. Mieux vaut choisir avec précision le site dont vous utiliserez la recherche Whois. De même, le service chargé des noms de domaine doit s'en tenir au plan établi, et ne pas se laisser tromper par les sociétés de toutes nationalités qui contactent les entreprises par courriel ou par téléphone, les avisant qu'un potentiel client souhaite réserver des noms de domaine correspondant comme par hasard à une ou à plusieurs de leurs marques, et qui bien entendu leur donneraient la primeur si elles décidaient de passer par eux pour effectuer ces réservations. Cette pratique frauduleuse, qui a pour seul but de rapporter de nouvelles réservations à ces sociétés, est appelé slamming. Les messages sont envoyés à l'attention du PDG, créant la confusion en interne et jetant le doute dans l'esprit des dirigeants quant à l'efficacité de leur protection en propriété industrielle et en noms de domaine. Les slammeurs laissent bien entendu un délai très court pour répondre “avant qu'il ne soit trop tard”. Pas de précipitation : le .org.tw non réservé à l'heure actuelle n'est peut être pas nécessaire à l'entreprise, et sera toujours disponible dans une ou trois semaines, le prétendu client fictif ayant finalement renoncé à son projet initial.

Être vigilant et réagir

Il n'est pas question de réserver toutes les déclinaisons possibles de noms de domaine correspondant aux marques de l'entreprise, dans toutes les extensions existantes dans le monde (avec sans cesse de nouvelles extensions). Une fois le portefeuille de noms établi, il faut, comme pour un portefeuille de marques, le défendre. Cela passe par la mise en place de surveillances : sur les noms de domaine, sur les mots clés achetés aux moteurs de recherche et sur le contenu des sites7. Cela passe aussi par la réaction aux atteintes et aux nouvelles réservations, au moyen de lettres de mise en demeure, de plaintes devant l'Icann, d'actions judiciaires. Les questions de propriété industrielle et d'Internet étant liées, les entreprises, dans leurs problématiques Internet, doivent avoir le réflexe de s'adresser à leur conseil habituel, qui saura les assister dans toutes ces démarches

Notes

1 - Cybersquat est le terme français officiel depuis un avis de la Commission générale de terminologie et de néologie publié au Journal officiel du 1eravril 2008, remplaçant le terme anglais cybersquatting.
2 - Principes directeurs concernant le règlement uniforme des litiges de noms de domaine, adoptés par l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann) le 26 août 1999.
3 - Depuis 2005, le conseil d'administration de l'Afnic a régulièrement délibéré, notamment sur le cas de la société KLTE Ltd, titulaire de 200 noms de domaine en .FR dont beaucoup étaient proches de marques notoires.
4 - “There is nothing per se illegitimate in using a domain parking service. However, linking a domain name to such a service with a trademark owner's name in mind and in the hope and expectation that Internet users searching for information about the business activities of the trademark owner will be directed to the parking service page, is a different matter. Such activity does not provide a legitimate interest in that domain name under the Policy” (OMPI-Affaire D2007-1143).
5 - American International Group, Inc., Bacardi & Company Limited, Compagnie Financière Richemont SA, Dell Inc., DIRECTV, Inc., Eli Lilly and Company, Hilton Hotels Corporation, HSBC Holdings plc, Marriott International, Inc., Verizon Communications Inc.,Wyndham Worldwide Corporation. Pour en savoir plus : www.Cadna.org.
6 - http://www.kreatys.com/pdf/LivreBlancNomsDomaines2007.pdf
7 - Par exemple www.novagraaf.fr/fr/website/homepage/des-approches-specifiques/ tmwebscan.
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