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la revue des marques - n°63 - juillet 2008
 

Nouvelle réglementation : Allégations et profils nutritionnels

Profils nutritionnels : deux mots d'apparence anodine qui agitent beaucoup le monde de l'agroalimentaire en Europe et font depuis quelques années couler beaucoup d'encre

PAR VÉRONIQUE BRASCEO*


Pourquoi porter un tel intérêt aux profils nutritionnels ? C'est la perspective, et depuis peu la réalité, d'un texte réglementaire qui a réactivé un intérêt latent et jusqu'ici plutôt confiné aux sphères scientifiques.
Après plusieurs années de gestation, la Commission européenne a promulgué, fin 2006, une réglementation sur les allégations nutrition-santé portées par les aliments (CE 1924-2006). En parallèle de procédures précises déterminant les éléments scientifiques nécessaires pour justifier une allégation, ce texte stipule que l'accès aux allégations sera conditionné par le profil nutritionnel de l'aliment. Le législateur justifie cette mesure en estimant que "les denrées alimentaires dont la promotion est assurée au moyen d'allégations peuvent être perçues par les consommateurs comme présentant un avantage lié à la santé par rapport à des produits similaires."
"Les consommateurs, poursuit l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), d'après les considérants 10 et 11 du texte réglementaire, peuvent ainsi être amenés à opérer des choix qui influencent directement la quantité totale des différents nutriments ou autres substances qu'ils absorbent, d'une manière contraire aux avis scientifiques en la matière. Pour parer à cet effet indésirable potentiel, il convient d'imposer certaines restrictions en ce qui concerne les produits faisant l'objet de telles allégations. L'application de profils nutritionnels en tant que critère viserait à éviter une situation où des allégations masquent le statut nutritionnel global d'un aliment, ce qui pourrait induire les consommateurs en erreur lorsqu'ils s'efforcent de faire des choix sains dans le cadre d'une alimentation équilibrée." Les modalités selon lesquelles ces profils nutritionnels seront établis vont être fixées au plus tard en janvier 2009 par la Commission, qui s'appuiera sur l'avis scientifique de l'AESA. Celle-ci a déjà émis en janvier 2008 un texte de cadrage qui donne quelques orientations.

Les enjeux

Quel que soit le système retenu, il y a fort à parier que les conséquences de la mise en place des profils nutritionnels seront loin d'être négligeables. Il est très probable que le nombre de produits autorisés à porter une allégation diminuera, sans que l'on puisse prédire l'ampleur de cette diminution. Il est possible que le profil nutritionnel officiel déterminé pour un aliment soit utilisé à d'autres fins que le contrôle de l'accès aux allégations, même si la Commission et les industriels s'en défendent. On peut imaginer, c'est déjà le cas en Angleterre, que son profil nutritionnel régisse la possibilité qu'aurait un aliment de servir à des opérations de promotion ou de publicité auprès des enfants. De manière plus hypothétique, il n'est pas interdit de penser que les profils nutritionnels servent de base à une politique de taxation de vecteurs de nutriments dont les autorités de santé publique préféreraient voir diminuer la consommation…

Au-delà de ces éventualités réglementaires, on peut craindre des impacts indirects, mais peut-être déterminants à long terme. Qu'on le reconnaisse ou non, les chances sont grandes que l'application des profils nutritionnels ne conduise à une perception positive des aliments éligibles aux allégations, considérés comme de bons aliments, alors que les non-éligibles seraient perçus comme de mauvais aliments. Cette vision ne tient pas compte de la quantité consommée, ni de la fréquence de consommation, deux paramètres qu'aucun des systèmes de profil nutritionnel actuellement envisagés n'a jusqu'ici intégrés de manière satisfaisante. Les conséquences, sur les comportements alimentaires, d'une stigmatisation de certaines denrées sont difficiles à prévoir. D'autres enjeux plus enthousiasmants existent cependant : optimisation nutritionnelle des produits, notamment des plus élaborés, incitation à l'innovation et meilleure information du consommateur

Définir un profil nutritionnel

La définition du concept de profil nutritionnel n'est pas consensuelle. Nous nous limiterons ici à parler de systèmes permettant de positionner, de comparer ou de classifier les aliments en fonctions de critères nutritionnels.
L'objectif est de disposer d'une évaluation globale des caractéristiques d'un produit, et non d'un jugement limité à un nutriment donné et qui pourrait varier en fonction de celui ci. L'idée est de pouvoir définir l'intérêt nutritionnel d'un aliment qui serait par exemple à la fois riche en calcium et riche en matières grasses saturées, ou bien riche en fibres et riche en sel. Le principe est très intéressant, mais la construction d'un système pragmatique, rationnel et scientifiquement justifié s'avère très délicate. Au cours des deux ou trois dernières années sont apparus de nombreux systèmes visant à élaborer une évaluation globale des caractéristiques nutritionnelles d'un aliment. On en dénombre aujourd'hui une quarantaine, qui émanent d'autorités nationales telles que la FSA (Food SafetyAgency) en Angleterre ou l'Afssa en France, de scientifiques experts en nutrition et santé publique, de sociétés indépendantes ou d'industriels du secteur alimentaire qui se sont penchés sur la question pour en anticiper les enjeux. Ces systèmes se différencient par leurs options méthodologiques, qui aboutissent à des résultats assez sensiblement différents. Les questions clés liées à l'élaboration d'un système de profils nutritionnels ont été bientôt identifiées, mais les réponses sont encore loin d'être consensuelles. Il s'agit d'abord de choisir entre évaluer tous les aliments selon le même système, en une approche globale, et le faire en apportant des modifications parfois substantielles aux systèmes de profilage, en fonction de la catégorie d'aliments. Ainsi, tenir compte de la présence de fibres alimentaires pour juger de la qualité nutritionnelle de produits laitiers paraît peu pertinent, alors que ce critère est d'une importance majeure avec les produits céréaliers. Il semble donc, en première analyse, qu'une approche par catégories soit plus conforme à la réalité de l'alimentation. Elle se heurte toutefois à la délicate question de la définition des catégories. Il est facile de classer précisément 80 à 90%des aliments courants, mais il reste toujours une part non négligeable de produits dont l'affectation est difficile : une pizza "quatre fromages" peut s'apparenter à un produit laitier, une "quatre saisons" à des légumes transformés, une pizza dont la pâte est particulièrement épaisse à un produit céréalier…

Il est très probable que le nombre de produits autorisés à porter une allégation diminuera, sans que l'on puisse prédire l'ampleur de cette diminution

Une réflexion plus poussée, telle que celle menée par l'IFN (voir encadré p.75) montre que l'important est de s'assurer que les spécificités nutritionnelles des catégories de produits, essentielles à l'équilibre de l'alimentation, sont correctement reconnues et prises en compte par le système de profil nutritionnel qui sera choisi en 2009. L'avis récent de l'AESA semble aller dans ce sens. Il reconnaît que les aliments appartenant à certaines catégories devraient sans doute être évalués selon des critères spécifiques (tels que les fibres dans les produits céréaliers, ou les sucres dans les boissons et les confiseries).
Le second point concerne le choix des nutriments à retenir pour établir le profil d'un aliment. C'est un aspect délicat, puisque ce choix doit être à la fois gérable sur le plan pratique, ce qui suppose un nombre limité de nutriments, et susceptible de rendre compte au mieux de la qualité nutritionnelle du produit considéré, ce qui implique la prise en compte d'un nombre élevé de nutriments. Il faut par ailleurs disposer, pour chaque nutriment retenu, de données fiables sur les compositions et les recommandations d'apport officielles…

Les questions clés liées à l'élaboration d'un système de profils nutritionnels ont été identifiées, mais les réponses sont encore loin d'être consensuelles.

On peut choisir d'intégrer uniquement des nutriments dont il conviendrait de restreindre l'apport, aujourd'hui trop élevé en Europe, comme les lipides, notamment les lipides saturés, ou le sodium (sel). Mais on peut aussi considérer l'ajout dans le système de nutriments dont la consommation, insuffisante en Europe, devrait être encouragée, comme les fibres ou les acides gras polyinsaturés.
Le choix d'une définition par la négative (absence de nutriments à restreindre) ou par la positive pour prendre aussi en compte les nutriments favorables apportés par l'aliment reflète des conceptions très différentes de l'alimentation, perçue comme vecteur de risques ou comme vecteur de bénéfices. On voit bien ici la dimension presque idéologique des positions. Cela ne signifie pas pour autant qu'un système qui retiendrait à la fois des nutriments à restreindre et d'autres à favoriser serait moins sévère qu'un outil fondé sur la présence de nutriments à restreindre.
Une décision difficile concerne la définition de la quantité d'aliment sur laquelle porte l'évaluation. Celle-ci est en effet réalisée à partir de quantités de nutriments apportées par l'aliment, en comparaison avec des valeurs de référence : les apports recommandés. La quantité d'aliment considérée est bien sûr déterminante à cet égard. On peut évaluer les aliments sur une base pondérale, mais quelle pertinence nutritionnelle y a-t-il à comparer 100 grammes de pommes de terre et 100 grammes de beurre ? Préférer une base énergétique semble à peine plus intéressant : la comparaison de 100 kilocalories de laitue (710 grammes de salade) et de 100 kilo calorie d'huile végétale (11 grammes d'huile) ne correspond pas non plus aux conditions de consommation de ces produits. C'est bien sûr une évaluation par portion consommée qui serait la plus pertinente, mais comment aboutir à une définition réaliste, consensuelle, valable dans tous les pays de l'Union et juridiquement applicable de la portion de chaque aliment ? Sans compter que le même produit peut être consommé en quantités différentes selon les occasions, tel le lait, dont le nuage dans la tasse de thé d'une jeune femme n'a pas le même impact que le bol au petit déjeuner avant l'école…

Principe d'éligibilité

La dernière étape, dans la perspective de la réglementation européenne, consiste à fixer une ou des limites définissant si un aliment est ou non éligible pour porter une allégation. Cette limite pourra être déterminée nutriment par nutriment, avec une mécanique de seuil. Le fait d'être en deçà (pour un nutriment à favoriser) ou au-delà (pour un nutriment à restreindre) de ce seuil entraînerait une non-éligibilité aux allégations. Alternativement, la décision d'éligibilité peut être prise en fin de processus, après que l'ensemble des nutriments retenus ont été évalués par une note globale. C'est là le point le plus politique, voire le plus idéologique, puisqu'il revient à choisir de réserver les allégations aux aliments les plus intéressants, ou d'en interdire l'accès aux aliments présentant les plus gros défauts. C'est également le point sur lequel la base scientifique objective est la plus ténue.
Les choix opérés en répondant à ces questions conduisent à des systèmes de profils nutritionnels variés, dont les résultats sont assez divers, et parfois très différents. Si la majorité des systèmes conclut que les fruits et les légumes peuvent être éligibles aux allégations mais qu'un gâteau à la crème ne l'est pas, les conclusions sur de nombreux autres aliments ou catégories d'aliments sont parfois en forte contradiction d'un système à l'autre. Ces divergences ne peuvent pas, dans l'état actuel des connaissances, être levées par le monde académique. Tout en étant souvent en phase avec le concept de profil nutritionnel, il connaît les limites de l'exercice. Gageons aussi que les scientifiques ne souhaitent pas assumer les conséquences d'une mécanique simpliste qui ne peut prendre en compte la complexité de l'alimentation.

Quelle attitude adopter face à l'émergence prévue des profils nutritionnels ? On l'a compris, les caractéristiques nutritionnelles des aliments vont devenir un élément incontournable dans le paysage de l'agro-alimentaire, dès 2009 ou 2010. Si le système retenu, les modalités de sa mise en place et de son contrôle sont pertinents et efficaces, ce que tout le monde espère, à défaut d'espérer limiter les débordements d'opérateurs peu scrupuleux ou mal informés qui outrepassent parfois les bornes d'une communication nutritionnelle responsable vis-à-vis du consommateur.
Par conséquent, on peut attendre des fabricants des efforts significatifs pour optimiser la qualité nutritionnelle de leurs produits et atteindre le seuil d'éligibilité aux allégations. Des investissements plus substantiels en recherche pourraient à moyen terme aboutir à de véritables innovations fondées sur l'intérêt nutritionnel.

Il y a toutefois des limites à ces reformulations. Organoleptiques, tout d'abord : le sel, le sucre et les lipides sont des déterminants positifs très importants de la sensorialité des produits. Leur réduction aux niveaux requis par le système de profil nutritionnel pourrait fortement diminuer l'acceptabilité et donc la consommation. Il y a aussi des difficultés économiques : les produits qualifiables de "solutions nutritionnelles" sont souvent (mais pas toujours) un peu plus chers. D'autres contraintes sont réglementaires : la dénomination de certains produits dépend de leur composition, qui ne peut être modifiée. C'est le cas de fromages tels que l'emmental, et de beaucoup d'autres, qui doivent présenter un taux minimal de matières grasses laitières, par essence largement saturées. Des difficultés techniques devront être surmontées. Ainsi, l'utilisation de matières grasses insaturées en substitution au beurre et à l'huile de palme ou de coco entraîne en biscuiterie d'importants problèmes de texture et de tenue, qui n'ont toujours pas de solutions et qui peuvent nécessiter d'importants travaux de développement, inaccessibles aux PME.
Malgré ces difficultés, et bien que de nombreux industriels n'aient pas attendu les profils pour améliorer la qualité nutritionnelle de leur offre, il reste des marges de man oeuvre qu'il convient d'exploiter au mieux. Toute incitation dans ce sens est bienvenue.
Quoi qu'il en soit, la réflexion et les échanges qu'a suscités l'élaboration de ce système auront permis de rappeler et de bien illustrer la complexité de l'alimentation, qui, malgré toutes les avancées de la nutrition et de la technologie, ne semble pas prête à se laisser enfermer dans des algorithmes.

Institut français pour la nutrition (IFN)

Allégations et profils nutritionnels

L'unique plate-forme d'échange entre scientifiques et acteurs de la chaîne alimentaire

Créé en 1974, l'Institut français pour la nutrition (IFN) est une association loi 1901 à but non lucratif dont l'objectif est de favoriser les échanges entre les milieux scientifiques et les professionnels de la chaîne alimentaire sur les questions intéressant la nutrition et l'alimentation.

Des actions pour encourager la recherche et diffuser une information scientifique objective

Les actions de l'IFN sont principalement d'ordre scientifique : conférences, colloques, publications, groupes de travail sur des sujets d'actualité, soutien à la recherche par la remise de prix. L'IFN dispose d'un centre de documentation et d'un site, www.ifn.asso.fr, qui contient des actualités, des fiches bibliographiques et un espace grand public, "Nos aliments en 200 questions", répondant aux questions des consommateurs.

Un groupe de travail sur les profils nutritionnels

L'IFN a mis en place, en 2006, un groupe de travail et de réflexion sur le thème des profils nutritionnels. Ce groupe réunit, outre des scientifiques des représentants des industries agroalimentaires, de fédérations professionnelles et de l'administration française. Il mène une réflexion à la fois scientifique et pragmatique sur les questions clés de l'élaboration des profils, dans le cadre du règlement européen sur les allégations. Le groupe a testé un portefeuille de 650 produits, représentatifs de l'ensemble du marché, selon cinq systèmes de profils. Chaque système évalue différemment les catégories. La dernière étape qui doit fixer la limite d'éligibilité, sera déterminante.

(*) VAB-nutrition, conseil en innovation nutrition
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