Selon les spécialistes, comme pour les fruits et légumes, la bonne dose de placement est de cinq à dix marques par film, mais les grosses machines hollywoodiennes dépassent largement ces chiffres : dans les quatre derniers James Bond, il y a en moyenne 17,5 marques placées par film, 44 dans Minority Report (9), 29 dans Ce que veulent les femmes(10)...
Et que gagnent les titulaires de ces marques ? De la visibilité, soit concrètement des parts de marché et plus de notoriété. Il paraît en effet indispensable que les marques placées bénéficient déjà d'une certaine notoriété, ou elles risqueraient de passer totalement inaperçues. Gageons que l'OHMI(11), friand de dossiers de notoriété ou de preuves d'usage bien ficelées démontrant l'attachement du titulaire à sa marque, qui recevrait un DVD à l'appui d'une telle demande serait comblé.
Pourquoi utiliser les films et ne pas se contenter de la publicité ? Avec un écran de publicité, le spectateur sait à quoi s'attendre : on lui vante les mérites d'un produit pour qu'il l'achète, ce qui va entraîner chez lui un comportement défensif. Pendant un film, il entend se divertir, il ne perçoit pas la publicité comme telle et est donc, d'entrée, moins réfractaire à un message publicitaire direct ou indirect. Direct comme dans D'un rêve à l'autre(12),où Demi Moore s'assoit sur un banc dans Central Park et boit une bouteille d'Orangina au goulot ; indirect comme dans In the Mood for Love(13), où le logo LG apparaît en arrière-plan, en tant que panneau publicitaire installé en haut d'un building tout au long du générique de fin. De plus, un film est bien plus long qu'un spot de pub et favorise une meilleure absorption par le téléspectateur, très concentré sur l'action.
Le risque pour l'annonceur est de tomber dans la publicité clandestine, laquelle est interdite par l'article 9 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 : "la présentation en dehors des écrans publicitaires de biens, services ou marques dans un but publicitaire, c'est-à-dire dans le but, non pas d'informer mais de promouvoir, est interdite".Pendant longtemps, la loi ne définissait pas le placement de produit en France, tout comme aux Etats-Unis, alors qu'il était interdit en Allemagne s'il ne donnait pas lieu à rétribution, et expressément autorisé en Espagne et au Royaume-Uni. De ce fait, les séries américaines pratiquent le placement de produit depuis de nombreuses années.
En France, faute de règlementation précise, sans censurer les oeuvres cinématographiques, le CSA(14) surveillait étroitement les oeuvres audiovisuelles : "Il appartient en particulier aux éditeurs de services de télévision de veiller à ce que les oeuvres qu'ils programment soient exemptes de toute mise en valeur visuelle ou verbale excessive d'un bien, d'un service ou d'une marque, que les produits utilisés s'insèrent naturellement dans le scénario et que leur exposition soit justifiée, sous peine de quoi le placement de produit relèverait de la publicité clandestine et à ce titre serait passible de sanctions. (...) lorsqu'elle trouve sa justification dans les exigences de l'oeuvre, la présence de marques est parfaitement admise et ne nécessite notamment en aucun cas l'usage du floutage." Ainsi, le CSA est intervenu auprès de France 2 en 1998 après que la chaîne eut diffusé un épisode de la série Nestor Burma laissant apparaître "de façon complaisante et répétée" la une du quotidien France Soir, et il a mis en demeure M6 en 2002 après la diffusion d'un épisode de la série américaine Chérie j'ai rétréci les gosses qui se déroulait en grande partie dans un restaurant Mc Donald's(15).
Après plusieurs années d'ignorance du placement de produit, la directive 2007/65/CE du Parlement européen et du Conseil, dite Services de médias audiovisuels (SMA), adoptée le 11 décembre 2007, règlemente la matière. Elle définit dans son article premier le placement de produit comme "toute forme de communication commerciale audiovisuelle consistant à inclure un produit, un service, ou leur marque, ou à y faire référence, en l'insérant dans un programme, moyennant paiement ou autre contrepartie".
Le principe posé par l'article 3 octies 1 est clair : "Le placement de produit est interdit." Mais cette sévérité est aussitôt tempérée par l'article 2 qui prévoit que "par dérogation le placement de produit est admissible dans les oeuvres cinématographiques, films et séries réalisés pour des services de médias audiovisuels, ainsi que pour des programmes sportifs et de divertissement, ou lorsqu'il n'y a pas de paiement mais uniquement la fourniture, à titre gratuit, de certains biens ou services, tels que des accessoires de production et des lots, en vue de leur inclusion dans un programme". La dérogation prévue ne s'applique cependant pas aux programmes pour enfants.
Toujours selon la directive, "les programmes comportant du placement de produit ne doivent pas influencer le contenu du programme de manière à porter atteinte à la responsabilité et à l'indépendance éditoriale du fournisseur de services de médias", ni inciter "directement à l'achat notamment en faisant des références promotionnelles spécifiques à ces produits ou services". Comme dans le monde factice de The Truman show(16) où, plutôt que de le réconforter, la femme de Truman lui dit :"Allons, je vais te faire faire un bol de Mocacao. Mocacao est un excellent cacao du Nicaragua, sans édulcorant de synthèse." Le placement de produit ne doit pas non plus "mettre en avant de manière injustifiée le produit en question". Cette pratique est appelée communément mauvais placement de produit où il est manifeste que le produit n'est présent que pour être montré et ne s'insère absolument pas dans la fiction de manière discrète et naturelle. Enfin, les téléspectateurs doivent être "clairement informés de l'existence d'un placement de produit, ceux-ci étant identifiés de manière appropriée au début et à la fin de la diffusion afin d'éviter toute confusion."
Certains pensent que le projet de suppression des publicités sur le service public pourrait donner lieu à davantage de placement de produit dans les séries et téléfilms, compensant ainsi, au moins partiellement, la perte de financement provenant actuellement de la diffusion de spots publicitaires. Quoi qu'il en soit, les annonceurs ne seront pas vraiment dépourvus, car leur terrain de jeu est déjà plus vaste que la télévision et le septième art. Ils se sont attaqués aux clips (17) et aux jeux(18) vidéo (sur support ou accessibles en ligne), qui certes échappent à la directive précitée mais pas à la LCEN(19), dont l'article 20 dispose que "toute publicité doit pouvoir être clairement identifiée comme telle (...)", ce qui est équivalent. Dernier espace investi : les métavers, c'est-à-dire les mondes virtuels en 3D tels que Second Life. Sans aucun doute, le placement de produit a donc encore un grand avenir devant lui.
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