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Revue des marques : numéro 62 - Avril 2008
 

Cherche nom de marque... disponible

L'informatique, Internet et l'ingénierie linguistique ont profondément modifié le processus de création des noms et bouleversé le rapport traditionnel à la créativité.

Propos recueillis par Philippe HERMAND* et Jean-Marie LE RAY**.



Cherche nom de marque… disponible

Cherche nom de marque… disponible
Un nom de marque est d'abord un nom. Un nom que l'on va créer à partir d'un ensemble fini de mots, c'est la production. D'où l'on va extraire un éventail de noms pour finalement n'en retenir qu'un seul : le nom de marque, c'est la décision.Cette double étape, production-décision, est aujourd'hui soutenue par l'informatique, Internet et l'ingénierie linguistique, qui ont profondément modifié le processus de création des noms et bouleversé le rapport traditionnel à la créativité.

D'hier...

Hier, le créatif proposait tout au plus quelques dizaines de noms à l'issue du processus de création. Aujourd'hui, les propositions partent de plusieurs centaines, parfois de milliers de noms, avant que le choix se restreigne autour de la short list des dénominations candidates.
Hier, le créatif commençait généralement par dresser l'inventaire des termes existants pour le type d'objet, de service ou de produit à nommer, par tracer les contours de son univers sémantique, puiser dans les racines étymologiques, emprunter au vocabulaire d'autres langues, modeler les mots par le jeu des substitutions, syllabiques, phonétiques, etc., tronquer, inventer, respecter ou contourner les règles, syntaxiques, stylistiques, etc., créer des liens imaginaires avec la cible que la marque était censée identifier, jongler à volonté avec des noms arbitraires, vides de sens mais vierges de toutes les découvertes, libres d'interpréter n'importe quelle histoire, et passer du sémantisme à l'asémantisme en s'autorisant tous les mélanges, tous les dosages, dans un cocktail dont les proportions variaient en fonction des impératifs de création de la marque. Le tout dans un processus dont la maîtrise d'ouvrage était seulement confiée à son cerveau et ses compétences intellectuelles. Avec toutes les limites que cela suppose.

... à aujourd'hui

Aujourd'hui, face à la très forte croissance des besoins en création de noms de marques, où la nécessité quasi quotidienne de trouver une infinité de nouveaux noms se heurte à la quantité toujours plus restreinte de noms juridiquement disponibles, les processus de création modernes exigent que la maîtrise d'ouvrage fasse appel à d'autres maîtres d'oeuvre pour assurer la conception, le suivi et la coordination des tâches. Et que l'on passe de la phase artisanale à la production industrialisée de noms en séries, en suivant une approche scientifique dans le cadre de laquelle le créateur s'appuie sur l'ingénierie linguistique, et sait exploiter l'outil informatique et les ressources inépuisables mises à disposition sur Internet. C'est la phase de créativité algorithmique. Pourtant, aujourd'hui comme hier, la création d'un nom reste le fruit d'une double démarche : produire en plus ou moins grande quantité un choix de dénominations candidates, puis décider.

Production des noms

La production des noms est la formalisation et la systématisation du processus. Une fois les contraintes du cahier des charges, les directions créatives et les axes de recherche déterminés, le créateur puise sa matière première dans d'immenses bases de données, au tamis desquelles il va filtrer les noms tout au long du processus de développement créatif. Les traitements informatiques et statistiques ultrarapides permettent d'analyser des centaines de milliers de termes en quelques secondes.
Internet regorge de ressources : des noms de fleuves aux dieux mayas, du lexique bambara aux locutions anglaises,etc., ce sont des milliers de référentiels que l'on peut créer à la volée pour les besoins d'un projet. Les toponymes, par exemple, fournissent des dénominations d'une richesse inégalée, et inégalable par les créations d'un cerveau prisonnier de son système phonologique (Ushuaïa, Anayani ou Timbuktu).Quant aux outils d'ingénierie linguistique, ils permettent de sculpter, de ciseler la production brute : on pourra à loisir donner une coloration italienne à une racine donnée, voire lui adjoindre la finale la plus convenue, la plus probable dans l'univers des nouvelles technologies, et ainsi de suite.
C'est la puissance des algorithmes, la productivité associée à l'originalité, la créativité démultipliée. Pourtant ce processus n'est qu'un facilitateur, ou si l'on préfère un outil de CAO (création assistée par ordinateur). Pour lequel il n'y a pas de bons noms a priori. Même s'il y a de mauvais noms. Chose que l'homme est seul à savoir, pas la machine. Choix que l'homme est seul à faire, de par sa créativité décisionnelle. En amont,en décidant des axes de recherche ; en aval, en choisissant plusieurs noms candidats. Seul l'homme est capable d'extraire de ce gisement la quintessence.

Aujourd'hui comme hier, la création d'un nom reste le fruit d'une double démarche : produire en plus ou moins grande quantité un choix de dénominations candidates.

Les cinq sens du créateur

La production industrielle est un préalable, elle n'exclut pas le traditionnel savoir-faire de l'artisan, elle lui est complémentaire. Mais c'est juste un outil. Car autant la créativité algorithmique peut être déléguée à une machine, autant la créativité décisionnelle, qui doit intégrer des paramètres tels que la culture du dirigeant, la culture d'entreprise, l'air du temps ou le sens de la langue, reste l'apanage du consultant ou du décisionnaire final. Dont toute la sensibilité s'exerce à travers ses cinq sens : l'odorat, le toucher, l'ouïe, la vue, le goût.

Nul ne s'étonnera d'entendre prononcer un nom, de le voir écrit en caractères d'imprimerie, la chose se conçoit, elle est conforme aux règles établies, elle est "dans les règles". La forme devient le support graphique et sonore du nom, dont l'euphonie est l'actualisation particulièrement heureuse. Tandis qu'un nom n'a pas d'odeur, c'est bien connu. Il est imperceptible aux cils olfactifs. Pas plus qu'il n'a de goût. Sans parler du toucher ! Donc associer les "qualités organoleptiques" d'un nom à son goût, à son odeur,à sa consistance, c'est jouer "hors des règles", c'est casser la conformité, voire le conformisme, dans une création de rupture. C'est ainsi qu'on associera un oeuf à une banque (Egg Bank), une huître à une carte de transport (Oyster Card,Transport for London). Goût, odeur, toucher... Parfois, il en va de la venue au monde d'un nom comme de la naissance d'un parfum : seul le "nez" qui crée le "jus" a la subtilité indispensable pour marier les essences sans les étouffer,pour donner au nom une "note de tête" à travers ses traits dominants, pour le caractériser en choisissant un modèle de dénomination non conforme aux us et coutumes de son univers habituel. Et lorsque la créativité brise les règles, lorsque l'usage d'un modèle décalé viole nos attentes en matière de communication, la mémorisation est garantie !
Le propre du créateur est de savoir jusqu'où il peut aller trop loin, dans un aller-retour constant entre les pôles intensionnels- extensionnels. De décider quand il peut franchir les limites, et quand il doit s'y tenir. Car les noms de marques sont aussi et surtout des créations sous contrainte. Une contrainte a posteriori, qui plus est. Une aberration ! Une contrainte de disponibilité, notamment lorsqu'à la marque on souhaite impérativement associer un nom de domaine.Et une contrainte juridique, notamment lorsque le nom doit passer une double barrière, comme dans le cas de la pharmacie, par exemple : être disponible dans tel ou tel pays en classe 5 (environ 80 000 noms de marques actuellement enregistrés dans cette classe uniquement pour la France), et satisfaire aux conditions très strictes de l'Agence européenne du médicament (Emea).

Plutôt que de procéder à des vérifications a posteriori, il est plus efficace et logique d'intégrer le paramètre juridique au coeur du processus créatif, pour filtrer automatiquement les noms en temps réel, c'est-à-dire au moment même de leur création, autant dans les bases de marques déposées que dans les référentiels de noms de domaines actualisés quotidiennement. Dans un cas comme dans l'autre, cela permet de maximiser la présomption de disponibilité des noms proposés. Même si le dernier mot, le final cut, revient à l'ultime décideur, à qui il incombe d'arrêter le choix en bout de chaîne.

Le sixième sens du décideur

Le processus décisionnel est un continuum du début (amont) à la fin (aval) de la création. Celle-ci intègre trois composantes : le sens, la forme et le juridique. La production de sens revient à l'homme. La production formelle s'appuie sur la stupéfiante créativité algorithmique des logiciels. La raison en est simple : une machine à traitement formel n'a aucun tabou, elle produit des formes de toute nature, très rapidement et en très grande quantité. Enfin, la vérification juridique est un passage obligé, dont l'issue échappe à toute démarche créative, puisque la première vertu d'un nom, c'est d'être disponible. Un magazine à grand tirage fournit un bon exemple des rouages de la prise de décision : quelle photo publier à la une pour couvrir l'actualité au plus près ? Une photo de reportage, c'est être là où il faut quand il faut – décisionnel amont – ; prendre mille photos – production formelle – ; choisir la meilleure – décisionnel aval. Une seule photo : le choc de l'image. Un seul choix : le poids du nom.
Oui, mais seul le décideur pondère grâce à sa culture, à son expertise, à sa sensibilité. Acquises par son expérience davantage que dans les livres. Il y a des règles, elles sont assimilées, mais aucune n'est figée a priori. La créativité décisionnelle peut jouer dans les règles : localisation d'une forme particulièrement brillante au sein d'un modèle conforme. Ou se jouer des règles : rupture paradigmatique par le choix en amont d'un modèle de dénomination non conforme aux us et coutumes de l'univers considéré.

C'est la primauté de l'homme sur la machine. Jamais une machine n'aura conscience de respirer une fragrance. Seul le créateur sentira l'odeur des mots. Seul le décideur appellera son parfum N° 5. Ou plutôt,dans ce cas, la décideuse : céateur de parfum à la cour des tsars de Russie, Ernest Beaux présenta à Coco Chanel deux séries d'échantillons numérotés de 1 à 5 et de 20 à 24. Elle choisit l'échantillon n° 5. À la question "Quel nom allez-vous lui donner ?", elle répondit : "Je lance ma collection le 5 mai, cinquième mois de l'année, laissonslui le numéro qu'il porte et ce numéro 5 lui portera chance."(1) Quelques gouttes de rupture, pour un parfum mémorable...

Aujourd'hui, le nombre de marques (et donc de noms) en concurrence se compte par dizaines, voire centaines de milliers, à tel point que certains types de marques (et donc de noms) sont désormais épuisés.

Du bon usage du naming

Dans le naming de marque, la créativité repose sur trois réalités distinctes. La première est la créativité décisionnelle,ou la faculté de déterminer, en amont, les modèles de dénomination les plus adaptés, et, en aval, les actualisations de ces modèles les plus en adéquation avec la situation. La deuxième est la créativité formelle, ou l'aptitude à produire des actualisations de modèles de dénominations. Elle joue sur un double registre : mettre le sens en forme, ou faire sens avec des formes. Deux démarches symétriques, et à l'occasion complémentaires. Il y a enfin la créativité sous contrainte, ou la capacité, d'une part, de coller au cahier des charges, voire de conseiller le donneur d'ordre dont les idées ne sont pas parfaitement arrêtées ; d'autre part, d'arriver en fin de processus en ne présentant que des noms ayant une très forte présomption de disponibilité. La créativité décisionnelle encadre la créativité formelle.Quant à la contrainte, en l'occurrence, cela s'appelle le droit des marques et l'impossibilité pour une société d'exploiter un nom déjà enregistré, ou suffisamment proche d'un nom existant pour que cette similitude phonétique ou sémantique crée une confusion dans l'esprit du public.

Hier, les créateurs pouvaient trouver encore assez facilement des noms ayant de grandes chances de franchir la barrière des vérifications. Aujourd'hui, la globalisation de l'économie, l'internationalisation des marchés et le raccourcissement du cycle de vie des produits font que dans certains secteurs (télécommunications, nouvelles technologies, médias, cosmétiques, industrie pharmaceutique, finance...) le nombre de marques (et donc de noms) en concurrence se compte par dizaines, voire par centaines de milliers, à tel point que certains types de marques (et donc de noms) sont épuisés.

La créativité sous contrainte signifie, a posteriori, adapter en permanence la production aux imprévus et créer des alternatives aux goulets d'étranglement qu'imposent les vérifications, intégrées à la phase productive. Il s'agit de vérifier si l'objet de la création est soumis à des dépôts identiques ou similaires à l'INPI ou dans d'autres registres de propriété intellectuelle nationaux et internationaux. Jusqu'à extraire de tout ce minerai raffiné une sélection minimale de noms ayant une présomption de disponibilité maximale. In fine, la vérification juridique approfondie sanctionne l'ensemble du processus et rend son verdict définitif sur le nom choisi. Une nouvelle marque est créée !

Notes

(*) Co-fondateur de Quensis
(**) Jean-Marie Le Ray, rédacteur et créateur de noms chez Quensis (Société spécialisée dans la création de noms de marques,www.quensis.com)
(1) http://www.toutenparfum.com/historique/chanel/chanel.php
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