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Revue des Marques - numéro 59 - Juillet 2007
 

Les marques parlent-elles le langage 2.0?

Entre mots pour le dire et imaginaire véhiculé, le langage d'une marque doit avant tout être distinctif. C'est encore plus vrai sur le Web où tant de marques tentent de se faire une place de choix.

Propos recueillis par Sabrina LÉGER*, Mathilde FREDJ** ET Bruno SCARAMUZZINO***.



texte alternatif
Bruno Scaramuzzino
La marque, pour communiquer, se doit d'utiliser le langage dans ce qu'il a de plus commun. Dans l'absolu, les combinaisons possibles entre les unités de la langue sont infinies, pouvant ainsi aboutir à des discours aussi larges que spécialisés. La marque s'approprie donc le langage courant, néanmoins, son discours n'est pas dans la simple description. Il se fonde sur les signes distinctifs qu'elle véhicule. Ainsi chaque marque a son propre discours permettant de la différencier d'une autre.

Un discours identifiant

Dans le domaine de la marque, on utilise des initiales, des mots ambivalents, des néologismes, des périphrases pour exprimer un caractère distinctif. D'où l'importance pour une marque de choisir son langage pour être reconnue par une communauté de manière instinctive et rapide. À l'instar du générique de l'émission Culture Pub qui travestissait une série de logos de grandes marques. Les téléspectateurs reconnaissaient immédiatement la marque alors qu'ils présentaient tous les mots “culture” “pub”. Le langage juxtapose diverses unités significatives véhiculant chacune du sens. La marque pense ainsi chacun de ses mots en prenant les unités du langage les plus justes, capables de toucher ses clients dans leurs attentes et leur imaginaire. Le discours d'une marque se doit d'être spécialisé en fonction, d'une part de sa cible mais également du support par lequel le message va être transmis. Ainsi, la communication s'adapte tout comme la langue évolue. On se souvient de la communication hachée du télégramme, communication qui n'a plus court aujourd'hui et qui a sans doute été remplacée par la communication textos sur le réseau de téléphonie mobile. Ces deux communications écrites ont leurs propres codes, leur propre langage. Il en va de même pour les marques qui sont à l'intersection de la communication et du langage, elles se doivent d'être malléables en fonction du support par lesquels leur langage va être véhiculé. La grande question est donc de savoir si oui ou non l'arrivée des nouvelles technologies va influencer le langage des marques.

Pour reprendre Spinoza : “moins l'esprit connaît plus il perçoit”. Il faut donc continuellement installer le consommateur dans un imaginaire au contenu nouveau et décalé.

Langage et imaginaire

Pour toujours communiquer au plus juste de ses intentions, la marque se doit d'être réactive. Elle s'applique aux objets de notre monde réel en déraisonnant et en bousculant l'individu sur le terrain de ses valeurs et de ses affects. La marque joue ainsi sur l'imaginaire pour réenchanter le monde, réactiver un désir perdu par trop de répétitions et de récurrences qui installent notre mode de pensée par des mécanismes réflexes et déductifs. Or, c'est le système inverse qui se produit, la systématisation est une sorte de tue l'amour, le désir est appauvri car pour reprendre Spinoza : “moins l'esprit connaît plus il perçoit”. Il faut donc continuellement installer le consommateur dans un imaginaire au contenu nouveau et décalé. Les nouvelles technologies permettent ainsi de mobiliser rapidement de nouvelles perceptions.
Le langage nourrit l'imaginaire et inversement. Les mots nous permettent de visualiser dans notre esprit, un concept, une idée. Mais les images mentales d'une marque peuvent aussi influencer le discours de cette dernière. En effet, une fois le langage d'une marque établit, l'imaginaire se construit autour,mais il est bien souvent rattrapé par les attentes et l'imaginaire des consommateurs qui sont perpétuellement demandeurs de nouveautés. Alors, le schéma s'inverse et l'imaginaire d'une marque peut faire évoluer le discours de cette dernière. Ce mécanisme est amplifié par le Web qui permet aux consommateurs de donner leur avis et faire réagir la marque avec des blogs, des sites dédiés à l'échange entre penseurs et utilisateurs de la marque. La réaction s'opère aussi bien sur les mots que sur l'image, il n'est pas une marque qui parle à ses consommateurs sans un logo ou une image permettant à l'acheteur de se représenter et de s'identifier au produit par des couleurs, des formes qui ne pouvaient être transmises par le discours. Nos cinq sens sont alors mobilisés pour identifier une marque et nos représentations mentales, conjuguant ainsi intuition, que l'on perçoit, et intention, souhaitée par les concepteurs.

Langage, marque et technologie, un cocktail détonant

La marque s'habitue, s'adapte et se transforme dans son langage comme dans ses outils de communication pour suivre ses consommateurs. Depuis l'avènement du fameux Web 2.0,on assiste à une véritable évolution du langage de marque, dans son acceptation la plus large. Selon une étude réalisée par Mc Kinsey & Company,“67 % des ventes sont influencées par le bouche-à-oreille”. Le Web offre une possibilité de propagation du message qui décuple l'ordinaire bouche-àoreille, d'où l'importance de comprendre les changements qu'une telle viralisation du message implique. Longtemps réservé aux marchands, Internet est devenu un vaste lieu d'échange d'idées et d'opinions. Dans ces environnements riches de savoir, la marque se doit d'être présente et d'agir, mais comment ? La première remarque à faire est que, sur le Web, le message est totalement dépendant de ce que voudront bien en dire, et en redire, les internautes. L'ouverture de l'ère participative a pour première conséquence de donner de l'ampleur à la voix des consommateurs et de faire d'un message de marque didactique un échange entre la marque et son client réel ou potentiel. On assiste à une démocratisation du langage, les internautes contribuent évidemment à l'allègement du langage de la marque, s'en emparant, le diffusant avec leurs mots, ils construisent eux aussi le nouveau langage de la marque. Il s'agit d'un sacré pouvoir, pas imaginable pour les publicitaires des années 1980 qui gardaient le contrôle du message et du langage aussi farouchement que les clés d'un temple. L'autre grand changement intervenu depuis l'explosion des nouvelles technologies est que la marque s'efface au profit de ses produits phares. Produits, aux travers desquels son langage traverse la toile.Cette incarnation, moins formelle que lorsqu'il s'agit de discours de marque, permet certaines libertés nécessaires à une bonne visibilité sur le Web. L'allègement du langage de la marque ne se comptabilise pas en signes supprimés mais bien dans l' “oralisation” du discours, dans la simplification de la syntaxe… Paradoxalement, cet allègement se traduit aussi par des signes en plus, créant des mots nouveaux : dérivés de l'anglais, transfuges du langage des développeurs informatiques, etc. Des signes véritablement “bousculés” donc, un langage destiné au numérique qui fourmille de néologismes, d'onomatopées,d'emprunts à l'anglais… ; le tout mixé en une orthographe approximative qui ferait grincer les dents des érudits lettrés.
Comme toute communauté minoritaire, les “geeks”et autres internautes avertis se targuent d'avoir leurs codes, leur langage, et on remarque que, d'une cible niche à l'autre, sans être incompréhensibles ces derniers changent sensiblement. Pour égarer les néophytes, on use et abuse de mots créés pour et par les internautes investis (blogueurs, rédacteurs, spécialistes du web 2.0), à l'instar de tous les milieux un peu spécialisés qui mesurent le niveau d'expertise de leurs interlocuteurs à la spécialisation de leur langage (pub, sport…). Quand cela marche, on remarque que la marque s'est détachée de son discours habituel grâce à un nouveau langage. Elle s'est créée une nouvelle identité focalisée sur un aspect, un produit, une cible. On retient donc l'importance des notions de simplicité, d'économie de mots, d'appartenance et de tribu.

Incarnation

Par exemple,Mir s'est implanté rapidement sur le Web,mais pas en tant que marque. Mir a choisi d'axer sa communication autour d'un personnage créé spécialement pour le web, Mir Dégraiss'Boy.Un distributeur de produit vaisselle en forme de petit bonhomme aux couleurs flashy, première édition en vert et bleu, présenté comme la star d'un mini-site dédié (www.mir-degraissboy.com) et disponible à la vente. Pour surfer sur la vague de sympathie autour de ce petit commis de vaisselle insolite,la marque et son agence de buzz (Nouveau Jour) ont imaginé un concours pour choisir la couleur de la deuxième édition du Dégraiss'Boy, sorti rose et vert, conformément au vote des internautes. A l'image des couleurs du Mir Dégraiss'Boy qui se démarquent du langage iconographique habituel de la marque, beaucoup moins institutionnel, beaucoup plus flashy, le web permet aux marques de revisiter leur gamme de couleur. Pour être plus impactant, plus séduisant, pour retenir l'oeil d'un internaute saturé de messages publicitaires directs ou indirects, il convient donc de jouer du graphisme,des couleurs, de l'interactivité. L'image de la marque gagne en “jeunesse” et se transforme un peu pour mieux s'adapter à ses cibles et son canal de diffusion. Cette liberté de ton permet notamment de voir émerger des personnages, auparavant figuratifs. On sait que le langage et l'imaginaire d'une marque tiennent évidemment aussi à ses images (logos,personnages…) et c'est sur ce postulat que s'appuie Spontex pour sa communication web autour d'Ernie. Ernie ? Souvenez-vous, c'est le hérisson qui se gratte consciencieusement sur chaque nouvelle venue dans la famille “gratounette” Spontex. Depuis début 2007, Ernie a lui aussi son espace réservé sur le web, où il s'agit de retrouver son éponge préférée au coeur du château hanté de Graisseland. Un parti pris rafraîchissant et très web 2.0 : on s'adresse à un public assez joueur qui apprécie un peu de régressif. Un design qui parle clairement à un public jeune pour un produit à destination des ménagères, exactement le décalage qu'il faut pour que le buzz fonctionne. D'ailleurs, Ernie est maintenant en première ligne pour la nouvelle campagne de publicité dans les médias traditionnels. Pourtant, au départ, la marque s'efface complètement, ce n'est pas Spontex, ni même l'éponge nouvelle génération qui tient la vedette, mais bel et bien Ernie. On est loin de l'univers des professionnels de la lessive, très corporate, très grand groupe.Le recours à Ernie sur le web permet d'insuffler un peu d'humour, un zeste d'humanité et la campagne bénéficie à l'arrivée d'un fort capital de sympathie. Exemple : Ernie avec www.ernie-pub.com.

Il n'est pas étonnant que la marque perde et gagne des signes, ou encore les voit se bousculer. L'évolution du langage de marque reflète bien les tendances de la société. Elle s'attache désormais à un consommateur non plus simplement récepteur mais devenu un véritable “consom'acteur”. Pour mieux saisir ce phénomène d'évolution du langage de marque, il suffit d'analyser l'évolution du web. Après l'ère encarta, du savoir mis à disposition, le web 2.0 nous propulse dans l'ère Wikipédia, une ère où chacun peut contribuer à l'élaboration, et la diffusion du message de la marque. Attention, la marque ne renie pas pour autant son langage premier, simplement, pour être mieux comprise, acceptée, revendiquée, elle développe un langage plus adapté à ce fabuleux révélateur qu'est le réseau Internet.
L'apport des nouvelles technologies place ainsi le consommateur dans une dimension humaine où ces dernières prennent en compte son humeur et sa participation. La création, à partir du langage d'une marque définie, d'un nouvel imaginaire et d'un nouveau langage pour une nouvelle communauté, c'est bien là l'évolution du langage de la marque. Il ne s'agit plus d'un discours didactique où chacun doit piocher ce qui lui parle, mais de s'adresser comme il convient à chaque niche de cible pour parler vrai et récolter les bénéfices d'une juste adaptation aux possibilités des nouvelles technologies.

Après l'ère encarta, du savoir mis à disposition, le Web 2.0 nous propulse dans l'ère Wikipédia, une ère où chacun peut contribuer à l'élaboration, et la diffusion du message de la marque.

Notes

(*)Sémiologue
(**) Consultante web 2.0
(***) PDG de Meanings.
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