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Revue des Marques - numéro 58 - Avril 2007
 

Variations sur la diversité

Si la diversité est l'essence même de la vie, elle est aussi la marque du genre humain, dans ce qu'elle suppose de réflexivité, de construction du lien social et d'établissement des bases culturelles favorisant “le vivre ensemble” tout en exaltant le principe de singularité.

Propos recueillis par Danielle RAPOPORT*.



Variations sur la diversité
Danièle Rapoport
La diversité suppose la notion de reconnaissance de la différence, de soi et de l'autre. Chacun, chaque organisme vivant est unique, mais ne peut affirmer cette unicité qu'à condition qu'elle soit reconnue comme telle. Qu'une “place” soit permise à chaque être vivant, comme d'une capacité d'accueil faite par l'autre. La question de la “place” et de sa reconnaissance est essentielle car elle établit les fondements d'une écologie profonde, d'une “écologie de l'esprit” où l'homme est convié aujourd'hui et urgemment à poser son statut particulier vis-à-vis des autres espèces vivantes, végétales et animales. Et ce choix, cette décision, ne peuvent être le fait que d'une prise de conscience et d'une volonté délibérée, dans le renoncement à la toutepuissance et à une maîtrise totalitaire sur le vivant. L'humain a ceci de particulier qu'il n'exerce sa diversité qu'à l'aune de son versant culturel et de son langage. Maintenir sa propre diversité relève d'une affirmation identitaire couplée à de la confrontation, du “frottement” avec l'Autre, si on exclut les notions de “race” et de particularismes sectaires.

Diversité rime avec partage et choix

Le concept de diversité mène de façon obligée à celui du partage, et d'un rapport à la “mesure”, dans le sens d'une non totalité - contrairement aux thèses développées par l'eugénisme. Cette non totalité réfère elle-même à la non perfection et son corollaire, la perfectibilité. Si rien ni quiconque ne peut “combler” infiniment et totalement, c'est qu'il est nécessaire de faire co-exister, co-habiter, d'associer et de réunir pour “parfaire”. Fi donc des desiderata mégalomaniaques censés répondre “totalement” - et totalitairement – à des besoins souvent créés pour imposer cette toute-puissance. Il fut un temps – j'espère révolu – où des marques en étaient porteuses. Les évolutions majeures d'individualisation des consommateurs les ont détournées vers des postures plus raisonnables.Une nouvelle déclinaison de la diversité apparaît, exaltée par le nouveau paysage de la consommation d'aujourd'hui, celle du choix. Choisir dans l'étendue de l'offre relève d'un véritable “travail”, au sens noble et fort du terme, au sens de ce que j'appelle “acte créateur”, création auto-construite et non pas imposée du dehors, même si elle s'en inspire. La diversité permet donc, par le choix qu'elle suppose, une liberté relative dans la capacité de discrimination, la perception et l'affirmation de ses propres besoins et désirs. Comme un agencement personnel d'éléments divers (marques, produis, enseignes,discours…),une “découpe”dans le réel à un moment donné et qui produise un sens, celui que chacun donnera à la récolte de ses choix. Cette “auto-construction” à partir de soi, à l'aune de critères et d'arbitrages personnels plus qu'en fonction d'une offre aussi diversifiée soit-elle, montre qu'il faut faire bon ménage avec la modestie pour préserver les effets bénéfiques matériels, relationnels, psychologiques et moraux de la diversité.

Altérité/spécificité

L'homme a toujours été sommé de choisir. Dès le début de l'humanité, la diversité alimentaire s'offrait pour l'humain omnivore comme le choix nécessaire d'un aliment “bon” et inoffensif, donc partageable. La fonction du partage, qui fonde le “vivre ensemble”, a permis aussi de vérifier auprès des autres l'innocuité des aliments et de construire une grammaire alimentaire efficiente. Il a donc fallu trier, rejeter, ordonner cette diversité rendue possible par la palette alimentaire plurielle de l'humain, et donc accomplir un travail, un cheminement ensemble, pour savoir,garantir et discriminer le “bon” du nocif. Nous opérons aujourd'hui la même démarche sur la base de critères plus sophistiqués, bien que les crises sanitaires nous renvoient,encore et toujours,à l'angoisse de l'aliment délétère. La diversité et ses alternatives permettent de minorer les aspects négatifs d'une alimentation déséquilibrée ou surabondante, avec les conséquences que l'on sait. Elle sous-tend un précepte nutritionnel immuable : “manger de tout un peu”, qui reflète l'intérêt d'une recherche d'équilibre, l'élargissement de la palette gustative, et plus profondément, la notion évoquée plus haut de “non complétude” de l'aliment en soi, comme nutriment et vecteur culturel. Cela ouvre aussi à la notion d'ethnicité, que j'évoquerai juste pour appuyer l'idée que dans la diversité culturelle proposée – alimentaire, cosmétologique… – ce qui se joue est de l'ordre d'une confirmation identitaire, grâce au jeu et à la confrontation des différences, à condition que celles-ci soient reconnues et choisies. Une situation paradoxale existe donc entre ouverture à l'altérité et raffermissement de ses spécificités. L'identitaire se construisant dans la confrontation à l'Autre. Il est amusant de penser que les “bunkérisés” de l'enracinement national seraient plus fragiles dans leur identitaire que les tenants d'une ouverture culturelle - dans le respect des singularités.

Choisir dans l'étendue de l'offre relève d'un véritable “travail”, au sens noble et fort du terme, au sens de ce que j'appelle “”acte créateur”, création auto-construite et non pas imposée du dehors, même si elle s'en inspire.
Variations sur la diversité

De la diversité des marques

Revenons sur la difficulté de choisir, pendant d'une diversité mal conçue. Elle dépend des capacités à gérer et maîtriser le flux d'informations, d'images,d'objets et bénéfices projetés. On constate que plus le niveau des savoirs est élevé, plus la maîtrise et la distance critique pourront s'établir et rendre les arbitrages plus efficaces. De même, plus on est capable de dépasser les injonctions externes et internalisées, beaucoup plus coercitives, plus les choix seront “libres” et structurants. Il serait néanmoins dommage que cette belle notion de diversité se ternisse par l'obligation de la performance du choix, associée à “la peur de se tromper”dans un acte qui engage fortement la sphère émotionnelle, affective, voire spirituelle des individus.
La diversité des marques proposées et les arbitrages de plus en plus “experts”des consommateurs fonctionnent en symbiose et ont eu un effet pervers, à force d'avoir joué la carte du bas prix d'un côté, l'exigence qualitative de l'autre. Les marques nationales et d'enseignes ont été mises en équivalence, à partir du moment où acheter moins cher pour la “même” valeur ajoutée projetée procédait d'une astuce client avec bénéfice psychologique et auto-valorisation à l'appui. Surtout si ces deux – voire trois, avec les premiers prix – cas de figure présentaient un degré de sécurité minimum requis et des qualités suffisantes pour être choisies comme alternative optimale… La marque nationale y a perdu parfois sa fonction de repère et de prescription, quand elle n'a plus été seule à détenir le référent de la qualité, de la sécurité et du bon goût.
La notion de “diversité” revient aujourd'hui au coeur des enjeux environnementaux, tant il est vrai qu'elle est menacée et avec elle la palette immense du vivant. Mais en même temps et paradoxalement,maintenir cette diversité suppose beaucoup d'énergie et d'efforts et un subtil équilibre entre économie, gestion des ressources, partages et affirmations identitaires. Le problème se posera de maintenir sans détruire, tout en favorisant l'innovation et les changements nécessaires, énergivores et pas toujours durables.

Pour conclure, une pirouette étymologique. “DIVERSITÉ” : Une base “vers” (versus …) qui connote l'action de “tourner”, comme : “tourner sept fois sa langue dans sa bouche” / “tourner sa veste” / “tourner dans tous les sens” / “tourner comme un ours en cage”… Expressions qui illustrent bien l'état d'esprit de nos concitoyens et consommateurs actuels, en mal de réserve devant toutes les tentations qui s'offrent à eux, capables des plus grands écarts, confus devant l'immensité de l'offre, parfois impuissants dans la prison dorée de leur consommation… De cette base “vers”, découlent aussi :

•“traverse”et ses chemins pris sans états d'âme par ces consommateurs labiles, opportunistes, en quête de surprise et de nouveautés, tout en exigeant d'être sécurisé dans leur aventure !

• mais aussi “traversin” pour goûter les incontournables du confort acquis… qu'il faudra peut-être modérer au vu des nouveaux enjeux énergétiques et environnementaux
• et pourquoi pas “ad-verse et ad-versité”… miroir sans concession du ressort archaïque de la consommation qu'est l'envie, triangulation entre soi, l'objet, et l'autre comme pôle attracteur et répulsif à la fois de celui qui possède ce que je ne possède pas et voudrais posséder.

• Et pourquoi pas aussi le “sub-versif” couplé à “per-vers”, signes de la fin d'un jeu consommatoire où chacun croit posséder le pouvoir qu'il s'octroie. Rendons à la “di-versité” et à la source réparatrice de ces dialogues possibles l'espoir de cohésion sans dilution, comme dans “l'uni-versalité”qu'elle suppose, et la construction sans relâche d'une co-existence entre singularités et partages.

Notes

(*) psychosociologue, directrice de DRC - Cabinet d'analyse des modes de vie et de la consommmation drc@rapoportconseil.com; www.rapoportconseil.com
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