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Revue des marques : numéro 57 - Janvier 2007
 
 

L'ouverture de la publicité télévisée à la grande distribution : Enjeux, restrictions et financement.

Par Jean-Christophe Grall et Eléonore Camilleri - MG Avocats - Meffre & Grall

Jusqu´alors, le secteur de la distribution n´avait pas accès aux espaces publicitaires télévisuels des chaînes hertziennes. Cette « spécificité française », dont l´objectif affiché était le maintien de la diversité de l´offre culturelle et du pluralisme des médias, va quasiment disparaître le 1er janvier 2007.
 
Toutefois, certaines restrictions demeureront, et non des moindres. En effet, le décret du 27 mars 1992, modifié par le décret du 7 octobre 2003, continuera à exclure de la publicité télévisée les « opérations commerciales de promotion » initiées par les distributeurs ; cette limitation est  destinée à contenir le fort impact de l´ouverture sur les autres médias tels que la presse quotidienne régionale et la radio qui vont donc être directement touchés par la diminution des investissements publicitaires à leur égard ; le chiffre de deux cent cinquante millions d´euros au moins est cité !
 
Force est de constater que la notion ambiguë d´« opérations commerciales de promotion » prête déjà à interprétation et rend malaisée la détermination de ce qui est autorisé ou bien interdit. La communication télévisuelle des distributeurs pourrait s´avérer, dès lors, quelque peu périlleuse sur certains points.
 
Ainsi convient-il de bien mesurer les limitations à l´ouverture de la publicité télévisuelle et d´en tirer, notamment, les conséquences concernant les marques de distributeurs (« MDD »).
 
En outre, se pose la délicate question du mode de financement d´une telle publicité.
 

Une publicité autorisée sur l´ensemble des chaînes de télévision câblées, hertziennes et autres...

La distribution constituait l´un des quatre secteurs économiques, avec l´édition littéraire, la presse écrite et le cinéma, jusqu´alors interdits de publicité télévisée en application de la loi relative à la liberté de communication du 30 septembre 1986 dite « Loi Léotard »1 , et de son décret d´application du 27 mars 1992.
 
Après dix ans de lobbying à l´initiative du secteur de la distribution et de fortes pressions des autorités communautaires, le décret du 7 octobre 2003 est venu modifier le décret du 27 mars 1992, afin de lever l´interdiction et ainsi autoriser la publicité pour la distribution à la télévision. L´accès aux espaces publicitaires télévisuels s´est fait progressivement : on sait en effet que cette forme de publicité est autorisée depuis le 1er janvier 2004 sur les chaînes locales, les chaînes du câble et sur le satellite. L´ouverture sera finalement définitive à partir du 1er janvier 2007, date à laquelle la publicité télévisée sera également autorisée sur les chaînes hertziennes nationales.
 
Cependant, cette ouverture n´est que relative dans la mesure où la publicité télévisuelle du secteur de la distribution devra rester circonscrite dans un discours institutionnel dès lors que la communication relative aux « opérations commerciales de promotion » des distributeurs, demeura proscrite à la télévision.
 

Mais avec des restrictions à l´ouverture :

L´article 8 du décret du 27 mars 1992, modifié par le décret du 7 octobre 2003, dispose qu´« Est interdite la publicité concernant […] [la] distribution pour les opérations commerciales de promotion se déroulant entièrement ou principalement sur le territoire national  […] ».
 
Les opérations commerciales de promotion sont définies par le même article, ainsi qu´il suit :
 
« On entend par opération commerciale de promotion toute offre de produits ou de prestations de services faite aux consommateurs ou toute organisation d´événement qui présente un caractère occasionnel ou saisonnier, résultant notamment de la durée de l´offre, des prix et des conditions de vente annoncés, de l´importance du stock mis en vente, de la nature, de l´origine ou des qualités particulières des produits ou services ou des produits ou prestations accessoires offerts » 2.
 
Malheureusement, une telle définition textuelle soulève d´importantes difficultés d´interprétation.
 
Certes, il est possible, au vu de cette définition, de dégager les principes suivants :
  • La communication purement institutionnelle, autrement dit relative à l´image et aux valeurs de l´enseigne du distributeur, est autorisée à la télévision.
  • A l´inverse, la communication relative à des promotions temporaires de produits ou à des opérations temporaires telles que des soldes, sera interdite. Il en ira de même de  publicités portant sur des produits, qui mentionneraient un prix promotionnel, accroche publicitaire constituant pourtant la forme la plus connue et la plus fréquemment utilisée par la grande distribution alimentaire.
Il est en revanche bien moins aisé, à la simple lecture de l´article 8 du décret de 1992 modifié, de déterminer ce qu´il en sera de la publicité relative, par exemple, à une « MDD » ou à un produit dont le prix serait précisé, mais sans mention de durée : devra-t-on considérer qu´une telle opération promotionnelle sera autorisée ou, à l´inverse, prohibée à la télévision ?

Des litiges juridiques étant fortement à craindre, un groupe de travail réunissant les différents acteurs concernés a été constitué par le Bureau de Vérification de la Publicité, en juin 2004, et a permis d´aboutir à un accord, entériné le 16 mars 2006 par le Conseil d´Administration du BVP. Cet accord permet de disposer d´une bonne « grille de lecture » commune pour interpréter les conditions d´accès du secteur de la distribution à la télévision.

Aussi bien, est-il possible aujourd´hui de tenter de synthétiser les différents éléments résultant de l´interprétation des dispositions réglementaires issues de l´article 8 du décret de 1992 modifié, en premier lieu, et de l´accord du BVP, en second lieu, dans le tableau ci-dessous reproduit :
 
Publicité télévisée autorisée
• L'ouverture d'un nouveau magasin ;
• Les annonces de prix lorsqu'elles n'indiquent ni ne suggèrent la durée de validité de l'offre (stabilité du prix dans la durée) ;
• Les messages publicitaires en faveur des avantages permanents offerts par les distributeurs (ex : cumul de points sur une carte de fidélité) ;
• Les marques de distributeurs et les opérations promotionnelles relatives à ces marques et ces produits.
Publicité télévisée interdite
• Ouverture d'un magasin de façon exceptionnelle (en revanche, la communication sur l'ouverture tous les dimanches ne devrait pas être qualifiée de promotionnelle) ;
• Les offres durables, mais non permanentes ;
• Les opérations de promotion par le jeu, telles que les jeux, concours et loteries gratuites ;
• La publicité portant sur des opérations mettant en œuvre l'existence d'un stock limité de produits ;
• L'octroi d'avantages financiers supplémentaires ou de services temporaires (ex : doublement des points de fidélité.)

Le cas particulier des " MDD " et des annonceurs démontrant une diversification d'activité

1) Le cas des " MDD "

Les distributeurs pourront communiquer sur des opérations promotionnelles portant sur leurs produits sous " MDD ". Toutefois, cela ne sera possible qu'à la condition que ni la marque, ni le conditionnement, ni le message publicitaire en lui-même ne comportent d'allusion à l'enseigne du distributeur en cause ou au circuit de distribution !

En outre, il conviendra que tous les commerçants intéressés, sans aucune restriction, puissent s'approvisionner en produits portant la " MDD " concernée. Autrement dit, les distributeurs concurrents du titulaire de la marque en cause devront pouvoir acquérir effectivement lesdits produits, puis les revendre aux consommateurs.

2) La diversification d'activité

Les annonceurs appartenant au secteur de la distribution, mais pouvant démontrer une réelle diversification d'activité, bénéficieront de la possibilité de faire de la publicité à la télévision pour leurs " opérations commerciales de promotion " mais ce, à la condition qu'une telle publicité ne permette pas de les considérer comme des distributeurs !

Ainsi, et par exemple, un annonceur pourra communiquer à la télévision sur des opérations promotionnelles temporaires relatives à une agence de voyage ou à un restaurant qu'il exploite parallèlement à son activité de distribution.

La diversification d'activité s'appréciera au regard d'un faisceau d'indices convergents et supposera que l'entité soit juridiquement et financièrement distincte de celle qui exerce l'activité de distribution et que cette activité soit réellement autonome et distincte de celle de la distribution. En outre, l'implantation distincte des activités, des fonds de commerce exploités, une dénomination différente, des enseignes différentes bien entendu, ainsi que divers critères propres à l'activité en cause seront susceptibles de constituer autant d'indices de nature à démontrer la réalité de la diversification d'activité ou non !


En conclusion, si l'ouverture de la publicité télévisuelle au secteur de la distribution apparaît manifestement comme un véritable bouleversement des usages et pratiques en matière de publicité, il convient de ne pas négliger ses limites structurelles en termes de contenu de la publicité elle-même, et les grandes surfaces alimentaires ou de bricolage ou bien encore de jouets ou de produits électroniques grand public ou informatiques notamment devront prendre garde à ne pas dépasser les limites autorisées.

Du côté des fournisseurs de produits de grande consommation, attention également de ne pas être amenés à financer certains investissements média des distributeurs au titre d'accords de coopération commerciale qui risqueraient d'être peu respectueux des dispositions ressortant de la loi Dutreil du 2 août 2005 ! Les services de la DGCCRF seraient alors peut-être tentés de remettre en cause ce qui pourrait le cas échéant s'avérer être le financement d'une sous régie publicitaire au travers de quelques contrats au contenu folklorique !

1 - Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
2 - Décret n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié par le décret n°2003-960 du 7 octobre 2003.

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