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La revue des Marques - n°57 - janvier 2007
 

Marque & lieu de vente : La relance du dialogue

Comment réenchanter l'univers des marques ? En utilisant les espaces commerciaux comme lieu de vie pour mieux dialoguer avec leurs clients.

PAR ANDREA SEMPRINI *


Marque & lieu de vente : La relance du dialogue

Les marques vivent depuis quelques années dans un curieux paradoxe : elles n'ont jamais été aussi puissantes et aussi décriées. Bien que leur puissance financière et commerciale ait atteint des niveaux inégalés, leur horizon n'est pas tout à fait dégagé. Les consommateurs se montrent de plus en plus exigeants, voire critiques, quand ils ne se tournent vers le hard discount. DE surcroît, on assiste à la montée d'une véritable critique sociale des marques, dont le livre de Naomi Klein, No Logo, a été le catalyseur. A bien des égards, la relation entre les marques et les consommateurs s'est détériorée, elle est devenue plus abstraite, plus lointaine. De plus, la multiplication des prises de parole des marques et la forte pression publicitaire ont engendré une sensation de saturation et ont provoqué une attitude de retrait, de “mise en disponibilité” de la part de nombreux consommateurs.

Du discours à la conversation


Ce diagnostic est aujourd'hui partagé par une grande partie des professionnels des marques, à l'intérieur et  l'extérieur des entreprises. Une des pistes explorées pour réagir à cette situation et pour raviver la confiance et la disponibilité des clients, est celle de la relance d'un dialogue concret entre marques et consommateurs. Trop souvent, en effet, le discours des marques est plutôt un monologue, une prise de parole unidirectionnelle, puissante et envahissante. On entend souvent, depuis quelques temps, le nouveau mot d'ordre conversation de marque qui est censé remplacer le discours de marque, justement pour souligner une attitude  plus symétrique et plus ouverte à l'échange, une volonté d  faire une réelle place au consommateur comme interlocuteur actif plutôt que cible passive. Dans ce contexte, les espaces commerciaux, les magasins  tous les lieux où les marques entrent en contact avec leurs publics acquièrent un nouveau statut et vont jouer un rôle clé dans les stratégies de reconquête de la confiance des consommateurs et dans les tentatives de rétablir le dialogue -d'entamer une conversation - avec eux. Les marque l'ont d'ailleurs bien compris, elles qui ne se sont jamais intéressées tant à la distribution, à une présence maîtrisée dans les réseaux de vente. Alors que le développement de l'e-commerce semblait avoir sonné le glas des lieux de vente physiques, un nombre croissant de marques “descend dans la rue”, installe des pas de porte, investit des sommes considérables dans l'aménagement des espaces, y installe des services et du personnel qualifiés. Cette tendance est générale, elle concerne tout aussi bien les marques de produits que celles de services et s'étend également aux marques nées sur Internet et théoriquement destinées à y rester.

La multiplication des prises de parole des marques et la forte pression publicitaire ont engendré une sensation de saturation et ont provoqué une attitude de retrait, de “mise en disponibilité” de la part de nombreux consommateurs.

L'espace commercial, médiateur de rencontre


Du point de vue du fonctionnement des marques, ce nouvel age d'or du lieu de vente signale une transformation importante dans la stratégie de mise en valeur de la marque au sein d'un espace commercial. On peut synthétiser cette évolution comme le passage d'une conception de l'espace commercial comme manifestation de la marque à celle de l'espace commercial comme médiateur de rencontre. Dans le premier cas, nous sommes dans un schéma communicationnel relativement classique (fig. 1).

Marque & lieu de vente : La relance du dialogue

1- L'espace commercial comme dispositif de communication


A l'instar d'autres manifestations de la marque (le pack, le logo, l'identité visuelle…), l'espace de vente est considéré comme un dispositif de communication, comme un lieu de déploiement des valeurs et de l'univers des marques. La préoccupation est de rendre le magasin immédiatement reconnaissable et distinctif, d'afficher les valeurs de la marque et de les concrétiser dans un décor, dans un environnement physique et une atmosphère, d'en faire une sorte de grosse affiche insérée avec plus ou moins de bonheur dans le décor urbain. En se focalisant sur la communication de marque, cette approche tend parfois à négliger la spécificité de l'espace commercial et des dynamiques qui lui sont propres. Cette stratégie privilégie la prise de parole de la marque par rapport au dialogue.
Le besoin de nourrir la relation entre consommateurs et marque a donc favorisé la diffusion d'une nouvelle approche, qui voit le magasin comme lieu de rencontre et de conversion (fig.2). De simple manifestation de la marque, l'espace commercial devient un lieu d'interfaçage, où deux cultures et deux perspectives différentes, celle de la marque et celle des consommateurs, entrent en contact.  L'espace commercial devient surtout un lieu de conversion, où l'on passe de l'abstrait de la communication.

Marque & lieu de vente : La relance du dialogue

2-L'espace commercial comme moment de conversion


à un environnement concret, des mots aux faits, de la promesse de marque à l'expérience, de la prise de parole unidirectionnelle à un véritable dialogue et à la possibilité d'un échange réel, d'une interaction avec les lieux, avec l'offre, avec le personnel et également avec les autres clients. En tant qu'interface entre marque et consommateur, l'espace commercial devient alors la véritable frontière, le moment de vérité de la stratégie de marque. Ce qui explique l'attention et les investissements que les marques consacrent depuis quelques années aux espaces commerciaux.

Cinq pistes de dialogue


Cette perspective ne remplace pas la précédente, car le lieu de vente reste toujours un espace de déploiement des valeurs de la marque et de son identité visuelle. Mais elle exploite de manière bien plus profonde la véritable spécificité des espaces commerciaux, leur nature de médiateurs, leur capacité à stimuler concrètement les clients et à faciliter l'échange réel. L 'espace commercial actuel cumule donc trois dimensions : une dimension commerciale, qui le caractérise depuis toujours ; une dimension de communication, qui s'est développée à partir des années 1980 et qui a désormais atteint ses limites ; une dimension de dialogue, en plein essor. Ce changement d'approche se traduit alors par la recherche de nouvelles idées, de nouvelles pistes en mesure d'exploiter tout le potentiel des espaces commerciaux pour rapprocher la marque de ses clients, développer le dialogue et relancer une légitimité en perte de vitesse. Voici cinq tendances, cinq pistes poursuivies par les marques, en tenant compte du nouveau contexte socioculturel et des nouvelles attentes des consommateurs.

1. Simplicité. Dans un univers de consommation toujours plus complexe et saturé de propositions, la simplicité devient une valeur, à condition qu'elle ne soit pas simpliste ou minimaliste, mais qu'elle sache proposer l'essentiel, ou mieux encore simplifier en sélectionnant le meilleur à la place du consommateur. L'enseigne parisienne de restauration Cojean est un bel exemple de simplicité déclinée dans l'ensemble des dimensions des restaurants : l'espace, le décor, l'offre, les conditionnements (fig. 3). Une autre manière de simplifier la vie des clients est celle conçue par Imagine this sold, chaîne d'enseignes nord américaines qui a concrétisé le principe d'Ebay en prenant en charge la gestion des enchères pour les clients peu à l'aise avec le monde virtuel (Fig 4).

2. Relation. Les communautés virtuelles sur la toile sont fascinantes mais ne remplacent pas le besoin et le plaisir de rentrer en relation avec d'autres êtres humains en chairs et os. La marque LG a transformé les laveries des centres urbains, des endroits souvent sinistres où l'on passe du temps presque malgré soi en lieux accueillants, des lavo-bar où l'attente de son linge devient un temps riche grâces aux distractions et à la possibilité de rencontrer d'autres personnes (Fig. 5). Ing Direct a ouvert dans les principales capitales européennes des cafés où l'on peut rentrer en contact avec une marque qui, a priori, était destinée à la pure virtualité. Des animations sur la bourse et sur les investissements permettent à la clientèle de s'initier aux arcanes de la finance dans une atmosphère décontractée (Fig. 6).

Le besoin de nourrir la relation entre consommateurs et marque a donc favorisé la diffusion d'une nouvelle approche, qui voit le magasin comme lieu de rencontre et de conversion.
Marque & lieu de vente : La relance du dialogue

3 - Imagine this sold   4 - Cojean Madelaine    5 - LG Wash Bar - Paris    6 - Ing Direct Café - Paris


Marque & lieu de vente : La relance du dialogue Marque & lieu de vente : La relance du dialogue

7 - Camper Food Ball - Barcelone    8 - Dilan’s Candy Bar - New York    9 - Meow Mix Cafè - New York     10 - Galleria Illy New - York    11 - Nissan Gallery - Tokyo    12 - Apple Store - New York    13 - Exki - Paris    14 - Esprit Equo - Rome

3. Surprise. La surprise est une arme puissante dans un environnement de consommation morose et face à des clients blasés, reconnaissants aux marques qui arrivent encore à les surprendre et à les amuser. La marque Camper a ouvert à Barcelone un Camper Food Ball, espace consacré de manière ironique et ludique à la gloire du ballon rond où tous les produits (le décor, les menus) sont… ronds ! (Fig. 7) Toujours dans l'univers alimentaire, on peut signaler le Dilan's Candy Bar, magasin à New York consacré aux bonbons dans toutes leurs formes et saveurs, véritable lieu féerique où la régression est autorisée et même obligatoire (Fig. 8). Dans cette même veine signalons également le Meow Mix Bar, à New York (Fig.9), le seul café au monde pensé pour les chats et leurs maîtres. Au menu : croquettes et pâtés variés (pour les chats), cafés et gourmandises (pour les maîtres) et jeux inter-actifs (pour les deux).

4. Esthétique. La tendance de fond à l'esthétisation de la vie quotidienne s'étend désormais aux espaces commerciaux qui jouent la carte du design ou de l'art pour créer des lieux uniques, à l'identité forte et assumée. L'esthétisation permet d'établir un contact avec une clientèle exigeante qui souhaite trouver dans les espaces commerciaux une atmosphère de bon goût et une stimulation sensorielle agréable. La Illy Gallery à New York (Fig. 10) ou la Nissan Gallery  à Tokio (Fig. 11) s'inscrivent dans cette mouvance. Il faut toutefois souligner que l'esthétisation des espaces commerciaux n'est pas réservée aux lieux prestigieux et aux marques de luxe, comme le prouve le tout nouveau magasin Apple de Manhattan. (Fig. 12)

5. Engagement. Pour un nombre croissant de consommateurs, on peut redonner du sens à la consommation en l'inscrivant dans une logique de responsabilité et d'engagement (éthique, social, environnemental). La marque Exki (Fig. 13), dont la première franchise vient d'ouvrir à Paris, a construit son espace commercial et son projet de marque à partir d'un engagement à la fois sur la qualité des produits et sur la gestion des ressources humaines. Les produits sont tous frais et issus de l'agriculture biologique. Les invendus de la journée sont offerts à des associations caritatives. La politique d'embauche fait une large place aux personnes handicapées. Le magasin Esprit Equo, à Rome (Fig. 14), adopte une démarche qui associe esthétique et engagement, pour proposer un vaste choix de produits (essentiellement alimentaire et décoration) dont il certifie l'origine et l'appartenance au réseau du commerce équitable.
Ces quelques exemples sont bien entendu loin d'épuiser la liste des innovations dans l'univers bouillonnant de la distribution, mais ils illustrent bien les efforts des marques pour utiliser les espaces commerciaux comme“moments de vérité”, situations concrètes où réinventer des modalités de rapprochement et d'échange avec leurs clients.

Notes

* Andrea Semprini est le PDG d'Arkema, Institut d'études en stratégie de marque, et  intervient dans le MBA “Communication et sociétés” du CELSA. Dernier ouvrage paru : La marque, une puissance fragile (Vuibert).


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