Pourquoi l'obésité n'est-elle devenue une question de santé publique que depuis peu de temps ?
Jean-Michel Borys : Nos travaux ont débuté en 1992, mais à l'époque l'obésité de l'enfant n'était pas un souci. En dix ans, le nombre d'enfants obèses a doublé, ce qui a justifié la prise de conscience. 20 % des enfants français de deux à douze ans sont obèses ou en surpoids, ils sont 34 % dans les pays méditerranéens. A l'âge de 18 ans, un enfant obèse a 13 ans d'espérance de vie en moins. L'accélération de la mondialisation des comportements a conduit à ce phénomène qui n'affecte pas seulement les pays riches puisque l'obésité touche également l'Inde et la Chine, par exemple, avec, pour tous les pays, une augmentation des dépenses de santé. L'obésité devient donc un problème de santé publique. On observe, pour la première fois une diminution de l'espérance de vie aux Etats-Unis et une stagnation en France. Depuis 2005, l'OMS a mis en place un véritable plan de guerre pour les dix prochaines années consacré aux “maladies de civilisation”.
Est-ce une pathologie de société ?
J.M. B. : Oui, car notre mode de vie actuel n'est pas adapté à nos gènes. Cela s'observe d'autant plus chez l'enfant qui a adopté, plus vite que les adultes, la mondialisation. Les chiffres de l'obésité en France le prouvent. Les adultes sont plus gros dans le Nord et l'Est et ne le sont pas en Bretagne. En revanche, quelque soit l'endroit, le taux d'obésité est pratiquement le même pour l'enfant. Cette cartographie de l'obésité s'observe également dans les autres pays. Aucune mesure médicale ne peut éradiquer le phénomène. Tous les acteurs sont impliqués, aussi bien du côté de l'offre - agriculteur, transformateur, distributeur -, que de la demande : revenir à des repas structurés et contrôler les tentations.
La corrélation entre la pauvreté et l'obésité peut sembler paradoxale
J.M.B. : Les aliments très denses en calories sont moins chers que les fruits et légumes ! Il y a dix ans, 12 % des enfants des classes défavorisées avaient des problèmes de surpoids, ils sont 30 % aujourd'hui. En revanche, le pourcentage des enfants obèses dans les classes favorisées n'a pas changé : 5 %.
Comment est né le programme Epode ?
J.M.B. : Epode est le fruit d'une longue gestation qui s'est inspiré d'une expérience menée depuis 1992 à Fleurbaix et Laventie, deux villes du Nord Pas de Calais. L'objectif est double : donner une information alimentaire aux enfants et modifier, grâce aux enfants, les habitudes de vie de la famille. A l'époque, on ne parlait pas encore d'obésité mais de maladies cardiovasculaires et de cholestérol ! Lancé en juin 2004, dans dix villes, sous l'égide de Fleurbaix-Laventie, Epode (Ensemble, Prévenons l'Obésité Des Enfants) a pour objectif d'enrayer la progression de l'obésité infantile par un plan d'intervention sur cinq ans avec, toujours pour cible, la famille. C'est à l'échelon local que des actions transversales - plus de mille à ce jour -, sont menées pour mobiliser l'ensemble de la collectivité : école, médecin, entreprise, médias, associations, commerce, producteur… Tous les acteurs locaux envoient à la cible, la famille, le même message santé - un thème tous les trois mois -, au même moment. Cette dynamique sociale est une façon de recréer le tissu de la société civile. Notre objectif est d'avoir une centaine de villes nouvelles d'ici deux ans et d'exporter le concept dans d'autres pays.
Quel rôle est dévolu aux entreprises qui vous accompagnent ?
J.M.B. : Pour financer le projet Fleurbaix et Laventie, nous avons reçu le soutien du Cedus, Lesieur, Nestlé, les laboratoires Fournier et Roche. Ces cinq pionniers sont, aujourd'hui, toujours partenaires. Au-delà du rôle financier, sans lequel et sans soutien public, nous n'aurions pu mener à bien le projet, ces entreprises exposent leur développement au cours de réunions périodiques qui associent également des scientifiques. Ces dialogues ont permis une prise de conscience mutuelle des contraintes de chaque catégorie d'acteurs. Les industriels ont pu ainsi modifier leur communication et leurs produits en les adaptant aux enjeux de la lutte contre l'obésité. Dans le cadre du programme Epode, trois partenaires privés nous accompagnent : Nestlé Nutrition, Assureurs Prévention Santé et Fondation Carrefour. Le coût représente deux euros par an et par habitant : un euro est pris en charge par la ville et le deuxième euro, par les investisseurs privés. Sans leur appui, Epode n'existerait pas. Ces partenaires ont signé la charte de partenariat et s'engagent à ne pas intervenir dans le contenu du programme et à ne pas l'utiliser pour faire de la publicité de leurs marques et produits. Leur soutien peut, en revanche, être médiatisé à travers une communication institutionnelle portant uniquement sur la démarche.
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