Revue des Marques - numéro 54 - Avril 2006
Persil, un centenaire sans tache de vieillesse
Persil où la marque aux trois formules et trois positionnements différents. Coup de projecteur sur Persil français qui fête son centenaire.
Propos recueillis par Jean WATIN-AUGOUARD.
Dépôt au greffe du tribunal
de commerce de Marseille : le 22 février 1906
Les historiens datent le début du XXe siècle en 1914, année qui sonne le glas de l'hégémonie politique et économique de l'Europe. Mais, selon les critères retenus, la césure est variable pour décrypter les révolutions annonciatrices de changement d'ère. Il en est ainsi de l'hygiène qui transforme les mœurs en Europe occidentale à la fin du XIXe siècle. L'apparition de nouveaux produits, conjuguée à la naissance de la lessiveuse en fer galvanisé, bouleverse des habitudes ancestrales. Avant le milieu du XIXe siècle siècle, la grande lessive avait lieu deux fois par an. Le linge de famille, exposé au voisinage, au lavoir commun, était, selon son abondance, signe ou non de prospérité. Les lavandières lavaient le linge avec du savon de Marseille, le rinçaient, le savonnaient une nouvelle fois et le plaçaient dans une grande cuvée en bois, recouverte d'un torchon sur lequel était placée une couche de cendre et quelques feuilles de laurier, avant de verser l'eau bouillante. Avec la lessive en poudre, fini la corvée ! Dorénavant, on peut “laver son linge sale en famille” avec des lessives à base de silicate, de carbonate et de soude caustique, commercialisées sous marque telles que le Salsonate, le Sodex, la Buandérine ou Phénix qui “lavent le linge toutes seules”.
Collector pour le centenaire de la marque 1932
C'est sous l'égide de la société anglaise Lever que Persil va conquérir l'Hexagone dès 1932 avec pour slogan “Préparer, Tremper, Bouillir, Rincer… Persil lave tout, tout seul”.
Persil, la blancheur qui se voit
Avec pour logo un bouquet de Persil, le savon Le Persil est créé le 22 février 1906 par Jules Ronchetti, à Marseille, capitale de la savonnerie depuis Colbert. En 1917, il fonde la “Société Marseillaise de la marque Persil” mais, faute de capitaux suffisants pour distribuer ses détergents, il cède sa société à Lever. C'est sous l'égide de la société anglaise que Persil va conquérir l'Hexagone dès 1932 avec pour slogan “Préparer, Tremper, Bouillir, Rincer… Persil lave tout, tout seul”. A base de poudre de savon, de cristaux de soude et de perborate, Persil permet, à 60°, d'éliminer toutes les taches et les bactéries. Avec ses instituts dans les grandes villes dont celui rue de La Boétie à Paris, ses stands mobiles et ses caravanes, dont celle du Tour de France, qui sillonnent la France, Persil va devenir incontournable en jouant la carte de la pédagogie. Louis Merlin, publicitaire et journaliste, invente le parrainage des émissions sur Radio Luxembourg en 1934. Il monte la première grande émission itinérante, “Le Kiosque à musique Persil”, un concours musical entre les meilleures harmonies régionales françaises. La réclame annonce, bien avant Moulinex, la libération de la femme : “Plus d'esclavage de lessive grâce à Persil qui blanchit et désinfecte grâce à son oxygène, automatiquement, sans surveillance, rapidement, sans frotter, sans peiner”. Bien inscrit sur le packaging, la mention “produit français”. Allemande sous l'occupation nazie, Persil redevient anglaise à la fin de la guerre. Les années cinquante inaugurent une blancheur spécifique, la “blancheur Persil” car “Persil lave plus blanc”. Mais les consommateurs attendent davantage d'une lessive, d'autant qu'arrivent sur le marché des marques concurrentes, comme Omo (également produit par Lever), à base de détergents de synthèse.
Collector 2006
Aussi Persil promet de donner aux couleurs “l'éclat Persil” (1952) et aux chemises “la douceur Persil” (1956). En 1956, pour remédier à la crise du logement et à l'absence d'équipements publics, l'abbé Pierre lance un cri d'alarme : “Au secours ! Aidez-nous immédiatement à les loger.” Placé sous le patronage du président de la République et financé par la lessive Persil, un film sera réalisé à l'occasion d'une campagne de sensibilisation sur le problème des sans-logis. L'abbé Pierre invite les Français à financer la construction d'une maison dite “des jours meilleurs”. Révolution technologique oblige, Persil lance une version “spécial machine” en 1959, un Persil Machine en 1968, Persil aux acti-enzymes en 1969, Persil anticalcaire en 1970 “la lessive qui lave l'eau avant de laver le linge” et le fameux Persil antiredéposition en 1973. On se souvient du sketch de Coluche brocardant les les- sives dont Persil, la lessive qui “retient la saleté avec ses petits bras musclés”. Dans Astérix le gladiateur, on peut lire à la page 38 une référence à la marque : “Super-persique lave encore plus pourpre !”. Pour s'adapter aux nouvelles conditions de lavage plus respectueuses de l'environnement et au besoin de diversification des ménagères, Persil lance successivement “Persil liquide” en 1988, “Persil Micro” en 1990, “Persil Micro Liquide” en 1992 et Persil tablettes en 1999. Historiquement positionnée sur la “blancheur qui se voit” avec la célèbre comparaison (gris/blanc) fondée sur la technique du “cross over” ou chassé-croisé, la marque ajoute, en 1995, à la promesse de la propreté celle de la pureté grâce à l'action de l'oxygène actif.
Parcours cahotique de Persil (Henkel)
Il existe une autre marque Persil, lancée le 6 juin 1907 par la société allemande Henkel grâce aux recherches de la société Degussa A.G.. Celle-ci tire ses origines d'une affinerie d'or et d'argent, créée en 1838 à Francfort et dirigée par Friedrich Ernst Roessler. Ce dernier construit en 1863 un laboratoire de génie chimique et le cède en 1866 à ses fils Hector et Heinrich, tous deux chimistes expérimentés. La société Degussa est créée le 28 janvier 1873. C'est en 1904 qu'un laboratoire est uniquement consacré aux applications d'agents chimiques de blanchiment, parmi lesquels les peroxydes d'hydrogène. En 1906, à l'usine de Rheinfelden près de Bâle, construite en 1898, débute la production de perborate de sodium, fabriqué à partir de l'eau oxygénée et du borax (le minéral).
Le perborate est le premier blanchissant à avoir été utilisé dans les lessives industrielles. Un contrat de livraison à long terme lie la société avec Henkel qui fabrique à Dusseldorf depuis 1876 une poudre à laver universelle vendue à la marque Henkel's Bleich-Soda. Le premier détergent “autoactif” en poudre, est commercialisé en 1907 sous le nom de marque “Persil” pour PERborat (sel désinfectant) et SILikat de sodium, association de deux ingrédients indispensables pour libérer l'oxygène actif. Efficace à partir de 60°, le perborate libère de l'eau oxygénée et du métaborate de sodium. En milieu basique l'eau oxygénée donne l'oxygène actif. C'est grâce à lui que le linge est nettoyé et blanchi sans frotter.
1909 est l'année de l'internationalisation de la marque, à l'origine de certains déboires : un contrat de licence de dix ans est conclu, en France, avec la Société d'Electro-Chimie et, en Angleterre, avec la Crosfield Company. Mais Henkel commet l'erreur de céder à la société anglaise l'enregistrement de la marque Persil. Car l'accord devait prendre fin en 1918, année où l'Allemagne, vaincue par les Alliés, est accusée d'avoir déclenché la Première Guerre mondiale. Le moment est donc mal choisi pour Henkel de revendiquer ses droits sur la marque Persil. Crosfield, toujours propriétaire, est racheté par la société Lever en 1919 qui possède depuis 1917 la marque “Le Persil”. Entre temps, Jules Ronchetti menace, à la veille du déclenchement de la guerre, la Société d'Electro-Chimie d'éventuelles poursuites judiciaires et lance, contre cette même société, des campagnes de dénigrement l'accusant de “collaboration” avec une entreprise allemande. Sur le stricte plan juridique, le gagnant n'était pas celui qui avait, le premier, déposé la marque commerciale mais celui qui en premier l'avait commercialisée.
Malgré son bon droit, la Société d'Electro-Chimie signa avec Ronchetti, en septembre 1916, un contrat par lequel elle s'engageait à cesser la production de détergents sans pour autant lui céder la marque Persil déposée au Tribunal de commerce de Paris par Henkel le 26 octobre 1907. Pour autant, la société allemande ne peut, contexte de guerre oblige, s'opposer à la création, en 1917 par Jules Ronchetti, de la “Société Marseillaise de la marque Persil”. Faute de capitaux suffisants pour distribuer des détergents sous la marque “Persil” en France, il cède en 1917 sa société à Lever ainsi que le droit d'utilisation des marques Persil et Le Persil uniquement en France et dans ses colonies. En décembre 1927, un “Yalta” de la lessive est conclu entre Lever et Henkel. Au premier, l'Angleterre et la France, au second le reste du monde. Le Persil anglais, marque premium, est l'équivalent de Skip en France, marque “technologique, experte.
La constance, gage de pérennité
Sur un marché, aujourd'hui, en régression (– 5 % en valeur et – 2,2 % en volume en 2005), Persil affiche une progression de 1,3 % en valeur et a la plus forte hausse en termes de taux de pénétration (plus un point à 13,1 % de pénétration), soit 280 000 acheteurs en plus. Les raisons du succès ? Nicolas Simon, responsable des marques Persil et Omo, en distingue trois : “une identité forte fondée sur l'efficacité naturelle du savon de Marseille. Une grande constance dans le respect des quatre piliers de la marque : un ton très proche, ni hégémonique, ni dominant, la promesse de blancheur, la qualité des produits et le discours publicitaire comparatif. Enfin, l'adaptation aux attentes des consommatrices et à l'évolution du modèle familial.” Positionné en entrée de gamme, Persil propose trois variétés cœur de gamme : Persil fraîcheur bouquet de Provence enrichi au véritable Savon de Marseille, Persil fraîcheur amande douce et, depuis mars 2006, Persil fraîcheur Alpes du sud. Absente du petit écran depuis le partenariat avec l'émission Les feux de l'amour en 2000, Persil revient pour son centenaire en parrainant l'émission Plus belle la vie sur France 3. Avis aux collectionneurs : durant la période du blanc des Galeries Lafayette, une boîte collector est offerte pour 100 euros d'achat. Persil ? Une marque centenaire sans tache de… vieillesse !
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