La technique des liens sponsorisés est manifestement attrayante pour quiconque souhaite améliorer sa visibilité sur le Net et, éventuellement, bénéficier de la notoriété d'un adversaire, voire d'un concurrent. Faute de fondements juridiques, son utilisation a donné lieu à quelques distrayantes passes d'armes entre les deux principaux partis politiques français et leurs militants, avant que ne s'établisse un consensus précaire sur la nécessité de recourir à de tels outils de promotion. Le débat sur l'opportunité de cette “nouvelle” technique de promotion des ventes qu'est le lien sponsorisé n'a en revanche, évidemment, guère eu lieu d'être sur le plan commercial, et le chiffre d'affaires du marché français des liens sponsorisés est évalué à 267,5 millions d'euros pour 2005, et susceptible de s'élever à 822,5 millions d'euros d'ici 2010.
Ainsi le Tribunal de Grande Instance de Nanterre a-t-il dans une décision du 13 octobre 2003, condamné, outre la publication du dispositif sur la page de Google relative aux AdWords, Google, mais aussi les entreprises concernées à verser 70 000 € de dommages et intérêts. Dans cette hypothèse, précisément, le système automatisé de Google proposait de lui-même certains mots-clés correspondant à une marque déposée, tels que, en l'occurrence, “la Bourse des Vols”. Le Tribunal de Grande Instance de Nanterre n'a d'ailleurs pas voulu exonérer la société Google de sa responsabilité en raison de l'automatisation de la proposition des mots-clés - et donc, en somme, de l'absence d'acte positif de proposition de sa part - et a relevé que cette automaticité était un choix économique de la part de Google dont il lui appartenait de supporter les conséquences.
Le même tribunal, dans une décision du 17 janvier 2005 a condamné deux sociétés du groupe Overture, proposant l'achat de mots-clés en vue de l'affichage de liens sponsorisés, et dont le système de génération de mots-clés était incomparablement plus “tendancieux” puisqu'il allait jusqu'à proposer l'achat de mots-clé correspondant à des marques notoires, telles que “Accor”, “Formule 1”, “Novotel”, “Sofitel” pour l'affichage de liens sponsorisés vers des sites de ventes de nuits d'hôtel. Les sociétés du groupe Overture ont été condamnées à verser la somme de 200 000 € à la société Accor. Il convient donc de se montrer particulièrement vigilants dans le choix des mots-clés utilisés. Il ne faut pas l'être moins dans la défense de ses intérêts qui, en la matière, présente quelques spécificités. Ainsi, le Tribunal de Grande Instance de Nice, dans sa décision en date du 7 février 2006, a rejeté l'action introduite par la société TWD Industries qui affirmait que des requêtes portant sur la marque d'un logiciel qu'elle avait développé, du nom de “Remote Anything”, entraînait l'affichage de liens commerciaux en faveur de concurrents directs, de sites dénigrant son produit, etc…
Le Tribunal a en effet constaté, à l'initiative de la société Google, que le constat d'huissier réalisé par la société TWD Industries ne respectait pas les procédures nécessaires en matière de constat sur Internet pour attester de sa validité. Ainsi, les défenderesses faisaient valoir que l'huissier de justice avait omis “de décrire le type d'ordinateur sur lequel l'huissier opérait ses constatations, ainsi que le système d'exploitation et son navigateur, de mentionner l'adresse IP de l'ordinateur, de décrire le mode de connexion au réseau Internet avec les adresses IP correspondantes, de s'assurer que l'ordinateur n'était pas connecté à un serveur proxy et de le désactiver en cas de besoin, de procéder au vidage de la mémoire cache de l'ordinateur, de l'historique des saisies, des cookies et de la corbeille, de vérifier la synchronisation de l'horloge interne, de s'assurer que les pages litigieuses étaient bien les premières visitées après ces opérations”… !
Cette solution n'est évidemment pas nouvelle mais elle mérite d'être soulignée tant pour les entreprises que pour leurs Conseils ou les huissiers susceptibles d'opérer. Trop de constats se limitent encore à la description de la saisie des différents termes (qu'il s'agisse de mots-clés ou de noms de domaine) et à l'impression de copies d'écran. Or, comme le précise le Tribunal de Grande Instance, “le non-respect de ces règles de l'art en matière informatique ne permet pas en effet de s'assurer que les pages visitées n'ont pas été conservées dans la mémoire cache de l'ordinateur ou du serveur proxy, de sorte que l'on soit sûr que l'affichage porté à l'écran soit bien d'actualité”. Il s'agit donc là de la première précaution que doit prendre toute entreprise pour s'assurer de la préservation de ses droits. L'autre précaution est spécifique au système des liens sponsorisés et ressort d'une récente recommandation élaborée par le Forum des Droits sur l'Internet, en date du 26 juillet 2005.
Ce Forum des Droits sur l'Internet recommande ainsi notamment aux victimes titulaires des signes distinctifs en cause d'adresser une demande de suspension de leur utilisation puis, en cas d'insuccès, au prestataire fournisseur de liens commerciaux et de l'accompagner “des documents justifiant qu'il a été porté atteinte à ses droits par l'utilisation de ses signes distinctifs, sans son accord, pour générer l'apparition de l'annonce (…) des documents justifiant de ses droits (…) sur les noms générant l'apparition de l'annonce” et enfin, dans le cas où la demande est adressée au prestataire, d'une déclaration selon laquelle l'annonceur ne s'est vu concéder aucun droit d'utilisation desdits signes distinctifs. Aux prestataires, le Forum recommande notamment la mise en place d'un avertissement spécifique aux annonceurs sur le choix des mots-clés, l'instauration d'une procédure d'alerte et la suspension de l'utilisation des mots-clés litigieux dans les meilleurs délais.
Le Tribunal de Grande Instance de Nice, qui se réfère d'ailleurs à plusieurs reprises à ladite recommandation, a notamment rejeté l'action de la société TWD Industries au motif qu'elle n'avait pas même tenté de prendre contact avec le prestataire, au moyen de la procédure d'alerte mise en place, et que ce dernier a pris les mesures nécessaires dans un délai de 48 heures après la réception de l'assignation. Cette décision représente un apport important en la matière dont il conviendra d'observer l'éventuelle confirmation par les degrés supérieurs de juridiction ; donc à suivre !
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