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Revue des Marques - numéro 53 - Janvier 2006
 


Un régime de faveur pour le luxe

Dans le monde du luxe, plus que dans tout autre, la préservation de l'image de marque garantit la pérénnité de l'entreprise. Le luxe bénéficie-t-il pour autant d'un signe de faveur en matière de droit ?

Propos recueillis par Jean-Christophe GRALL et Emmanuelle LAUR POUÊDRAS*.



Un régime de  faveur pour  le  luxe

Le luxe évoque tout à la fois le prestige, la notoriété, la beauté, la rareté, le superflu et donc le nécessaire aujourd'hui, et dès lors une image de marque qui permet de distinguer les produits d'une entreprise de ceux des autres et qu'il convient de préserver.

Pour une entreprise évoluant dans le monde du luxe, la défense de sa ou de ses marques est encore plus essentielle que pour toute autre, dans la mesure où la marque est le vecteur de communication de l'image de la société et de ses produits, image qui est la garantie de sa pérennité. Aux produits de luxe sont associés une grande qualité, une réputation, un savoir faire, une histoire, une distribution sélective, un prix distinctif et une communication haut de gamme qui repose notamment sur la présentation du produit traduisant les codes de celui-ci et de la marque dont il est le support. S'il existe ainsi des spécificités propres au monde du luxe, pour autant le droit appréhende-t-il différemment les marques de luxe et leur permet-il de lutter contre le risque de banalisation des produits de luxe ?

Marque de luxe, marque notoire

Plus ou moins, serait-on tenté de répondre ! Le droit des marques accorde ainsi un traitement particulier aux marques de luxe en tant que “marques notoires”. Si une marque notoire ou de haute renommée n'est pas nécessairement une marque de luxe, en revanche une marque de luxe est très fréquemment une marque notoire ; nul ne songerait à contester la notoriété des marques “Chanel” ou “Louis Vuitton”, par exemple. Une marque est considérée comme notoire lorsqu'elle est connue d'une large majorité du public, par voie de conséquence, au-delà même de sa clientèle habituelle, la notoriété ne se mesurant pas au nombre de personnes disposant des moyens de se procurer les produits qu'elle couvre. Si “l'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu'il a désignés” 1, ce qui est la définition du principe de spécialité, l'article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) étend ce droit de propriété bien au-delà des seuls produits ou services revendiqués en cas de marques notoires puisqu'il prévoit : “l'emploi d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur s'il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière”.
Ainsi, la société Cartier, titulaire de la marque “Must”, a agi sur le fondement de cet article à l'encontre de deux sociétés commercialisant des chewing-gums dans des boites revêtues de la mention “Must”, pour atteinte à sa marque notoire. Le Tribunal de grande instance, sur demande reconventionnelle, avait prononcé la déchéance partielle de la marque “Must” de la société Cartier pour les produits de confiserie et avait estimé qu'il n'y avait pas atteinte à la marque notoire. La Cour d'appel2 a infirmé le jugement en totalité, en estimant tout d'abord qu'il y avait bien atteinte à la marque notoire de la société Cartier conduisant à interdire aux intimées l'usage de la dénomination “Must” pour affirmer ensuite que, dès lors, ces sociétés étaient privées de “tout intérêt à exercer une action reconventionnelle en déchéance”. On perçoit clairement ici tout l'intérêt de voir reconnaître la notoriété de sa marque.

Récemment, à nouveau dans une affaire relative à la marque “Must” de la société Cartier, la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser sa lecture de l'article L.713-5 du CPI.3 La société Cartier a en effet recherché la responsabilité de la société Oxipas du fait du dépôt et de l'usage par cette dernière de la marque “Pedimust”, pour des produits et services différents, sur le fondement de l'article L.713-5 du CPI. La Cour d'appel avait rejeté la demande de la société Cartier au motif que “l'article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle qui instaure une exception au principe de la spécialité, doit être interprété restrictivement, et qu'il ne permet de faire sanctionner que l'emploi par un tiers d'un signe identique à la marque jouissant d'une renommée, mais non l'utilisation d'un signe voisin par sa forme ou les évocations qu'il suscite”.

La Cour de cassation censure la Cour d'appel, procédant ainsi à un important revirement de jurisprudence, dans la mesure où, auparavant, sa jurisprudence limitait la mise en œuvre de l'article L.713-5 du CPI aux cas de reproduction à l'identique de la marque notoire et non aux hypothèses d'utilisation d'un signe voisin. Ce principe a été dégagé par la Cour de cassation par référence à une directive communautaire4, qui vise “l'usage par un tiers d'une marque ou d'un signe postérieur, identique ou similaire à la marque renommée enregistrée”. Reste à savoir maintenant si la Cour d'appel de renvoi estimera qu'en l'espèce l'emploi du signe “Pedimust” “est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou (…) constitue une exploitation injustifiée de cette dernière”… En effet, si l'article L.713-5, tel que lu désormais par la Cour de cassation, confère un monopole formidable au titulaire d'une marque notoire – ce qui lui permet de lutter contre les tentatives de parasitisme de sa marque – encore faut-il que le titu- laire de la marque renommée démontre les atteintes portées à sa marque ou à tout le moins les risques d'atteintes. Souli- gnons toutefois que l'article L.713-5 du CPI ne peut pas être invoqué à l'appui d'une opposition formée à l'encontre d'un dépôt de marque. C'est ce que la Cour d'appel a estimé au détriment de la société Hugo Boss Trade Mark Management.5 L'INPI n'a pas à “tenir compte du préjudice éventuel porté à la renommée de la marque antérieure”, il appartiendra donc au titulaire de la marque de renommée d'être particulièrement vigilant quant aux marques nouvelles admises à l'enregistrement et d'agir, le cas échéant, a posteriori.

Pour une entreprise évoluant dans le monde du luxe, la défense de sa ou de ses marques est encore plus essentielle que pour toute autre, dans la mesure où la marque est le vecteur de communication de l'image de la société et de ses produits, image qui est la garantie de sa pérennité.

L'usage sérieux

Le droit des marques accorde par ailleurs et ce, très nettement un traitement particulier aux marques de luxe s'agissant de la question de l'usage sérieux d'une marque, en termes de seuils d'exploitation, permettant d'échapper à une action en déchéance. L'article L.714-5 du CPI prévoit que “encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services visés dans l'enregistrement, pendant une période ininterrompue de 5 ans”.

L'usage sérieux permettant d'échapper à la déchéance de la marque, c'est-à-dire à la perte du droit sur la marque, est-il synonyme d'exploitation large des produits ou services ? Si tel était le cas, un grand nombre de marques de luxe apposées sur des produits diffusés dans des quantités restreintes encourraient la déchéance. C'est pourquoi la jurisprudence prend en compte les spécificités des marques de luxe pour évaluer leur exploitation. Ainsi, dans une affaire bien connue ayant opposé la société exploitant le palace parisien de renommée mondiale “Ritz” au groupe textile Courtauds, qui avait déposé une marque communautaire pour des sous vêtements féminins, la société Courtauds avait contesté l'usage sérieux de la marque “Ritz” pour des vêtements en raison de son caractère restreint, seuls quelques articles textiles étant vendus et encore aux seuls clients de l'hôtel.
L'Office d'harmonisation du marché intérieur (en charge des marques communautaires) a cependant estimé : “le seuil à partir duquel un usage peut être qualifié de sérieux est directement lié à la nature du produit ou du service. On ne peut exiger pour une marque protégeant des produits de luxe, qui font l'objet d'une commercialisation réduite, la même intensité d'usage que pour une marque de consommation servant à distinguer des produits ou services de consommation courante.” 6 ! En revanche, et s'agissant toujours de la question de l'usage sérieux d'une marque, en termes cette fois de modes d'exploitation, il n'est pas certain que le droit réserve un traitement de faveur aux marques de luxe.
Les sociétés mondialement connues Louis Vuitton Malletier et Céline ont constaté que la société Etam commercialisait des foulards reproduisant les caractéristiques de certaines de leurs marques figuratives composées de motifs ornementaux.7 Pour s'opposer à l'action en contrefaçon diligentée à son encontre, la société Etam avait invoqué la déchéance des droits de la société Louis Vuitton Malletier sur deux des marques figuratives composées chacune d'un type de motif floral, dès lors que ces éléments figuratifs composant la toile monogramme de la société Louis Vuitton Malletier n'ont jamais été exploités isolément par cette dernière. La Cour d'appel a rejeté ce moyen en estimant que “l'utilisation des motifs floraux dans une configuration distincte de celle objet de l'une des marques constitue une exploitation sérieuse des marques contestées”. Si dans cette affaire, la notoriété des marques en cause a été évoquée, c'était à l'occasion de l'étude du risque de confusion et non lors de l'étude de l'usage sérieux ! On ne peut donc affirmer que le fait que les marques contrefaites aient été des marques de luxe ait joué un rôle dans la reconnaissance de l'existence d'un usage sérieux. Néanmoins, il apporte un éclairage intéressant sur les modes d'exploitation admis pour échapper à une action en déchéance.

“On ne peut exiger pour une marque protégeant des produits de luxe, qui font l'objet d'une commercialisation réduite, la même intensité d'usage que pour une marque de consommation servant à distinguer des produits ou services de consommation courante.”6 !

Marque déceptive

Le luxe retrouve une spécificité s'agissant de la notion de déceptivité d'une marque composée d'un patronyme célèbre associé au monde du luxe. Ainsi, dans le cadre plus général d'un litige opposant Inès de la Fressange à la société Inès de la Fressange (dite IF2) qu'elle avait contribué à créer et à laquelle elle avait cédé plusieurs marques comprenant le nom “Inès” ou “Inès de la Fressange”, avant d'en être ensuite licenciée, Inès de la Fressange avait soutenu que les marques cédées par elle encouraient la déchéance pour être devenue déceptives dès lors que le public pouvait croire qu'elle exploitait elle-même les marques en cause, alors qu'il n'en était rien.8 L'action en déchéance était fondée sur l'article L.714-6 b du CPI qui prévoit : “encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d'une marque devenue de son fait : (…) b) propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service”. Il semblerait que ce soit la première fois que cette disposition ait été invoquée !
La Cour a considéré que “la marque constituée d'un nom patronymique, d'un prénom ou de la combinaison des deux ayant acquis une notoriété telle qu'ils deviennent un signe évocateur et indicateur pour le consommateur, ce dernier lie d'évidence dans son esprit le produit marqué à la personne dont l'identité est déclinée à titre de marque”. Elle a donc clairement souligné le fait que la marque en cause est particulière du fait de la notoriété du patronyme qui la compose. Avec cette affaire, on en revient également à la fonction première de “la marque qui doit être et demeurer un instrument loyal d'information du consommateur”, de sorte “qu'il convient de prononcer la déchéance d'une marque qui, en raison d'une modification dans les conditions d'exploitation de celle-ci du fait de son propriétaire, est devenue déceptive”

Les différents exemples visés ci-avant incitent à penser, avec des nuances certes, que le droit se penche ainsi avec une certaine bienveillance sur les marques de luxe, ce dont on ne peut que se féliciter au vu des investissements extrêmement importants qui sont réalisés par les différents groupes de luxe aujourd'hui pour toujours davantage asseoir la renommée des produits de luxe.

“La marque constituée d'un nom patronymique, d'un prénom ou de la combinaison des deux ayant acquis une notoriété telle qu'ils deviennent un signe évocateur et indicateur pour le consommateur, ce dernier lie d'évidence dans son esprit le produit marqué à la personne dont l'identité est déclinée à titre de marque”.

Le luxe retrouve une spécificité s'agissant de la notion de déceptivité d'une marque composée d'un patronyme célèbre associé au monde du luxe.

Notes

(*) MG Avocats Meffre & Grall
(1) Article L.713-1 du Code de la propriété intellectuelle
(2) Cour d'appel de Paris, 29 septembre 2004, Cartier / Elite Confectionery Ltd et Yarden France 92
(3) Cour de cassation, 12 juillet 2005, SA Cartier / SARL Oxipas
(4) Directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (article 5§2)
(5) Cour d'appel de Paris, 8 juin 2005, Hugo Boss Trade Mark Management / INPI, Messieurs Marc Grémillon, Didier Morville
(6) 1ère chambre des recours de l'OHMI, 3 décembre 2002, The Ritz Hotel / Courtauds Textiles
(7) Cour d'appel de Paris, 23 mars 2005, Etam SA / Céline SA et Louis Vuitton Malletier SA
(8) Cour d'appel de Paris, 15 décembre 2004, Inès de la Fressange SA / Inès Seignard de la Fressange et al.
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