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Revue des Marques - numéro 53 - Janvier 2006
 

Chronique d'une mutation annoncée

Matériellement inutile, physiologiquement superflu, le luxe n'a jamais été aussi psychologiquement vital.

Propos recueillis par Jean-Baptiste DANET, Président d'Interbrand France.



Chronique d'une mutation annoncée
Si la crise des années 1990 a été le déclencheur de nouveaux comportements, les années 2000 marquent l'avènement d'un luxe non seulement fantasmé mais largement consommé. Les marques s'exposent au-delà des flashs pour rejoindre la foule, les boutiques font place aux temples pour accueillir un nombre d'adeptes croissant, et pourtant le luxe ne perd ni son aura, ni son exclusivité, maintenant judicieusement les frontières entre le "top hype" et le "must have".
Le luxe a un pouvoir, celui de nous renvoyer une image idéalisée de soi dès lors qu'on est en sa présence ou qu'on le possède. Jusqu'à la moitié du 20e siècle, cet immense pouvoir de séduction s'adressait à un immense pouvoir d'achat, incarné par une population privilégiée, détentrice d'une culture et d'un statut social qui lui donnaient les moyens de le reconnaître, de le détecter et d'en jouir. À l'époque, il y avait clairement ceux qui accédaient aux marques de luxe et ceux qui culturellement en ignoraient même l'existence. En cinquante ans, les marques de luxe ont donc elles aussi fait leur petite révolution.

Des "Happy Few" aux "Happy Mass "

Le passage d'un luxe confiné et confidentiel entretenu par “la consommation courante de gens exceptionnels” à un luxe ouvert et accessible alimenté par “la consommation exceptionnelle du plus grand nombre” ne s'est pas fait sans étapes.
En se frottant à la bourgeoisie, les marques de luxe sont petit à petit descendues dans la rue. Alimentées par les dépenses des uns et le fantasme des autres, elles sont devenues non plus un moyen d'afficher d'où l'on vient (bottin mondain) mais une façon de dire qui on est (who's who). Les années 1980 vont forcer le trait. La montée de l'individualisme, le culte de la réussite et l'explosion de la classe moyenne amènent les marques de luxe, accessoires à la clé, à se diversifier. Et déployant leur aura sur tout ce qui a trait à l'apparence, elles satisfont plus que jamais le culte ambiant de la personnalité. Ainsi, la Marque remplace la Griffe - ou plutôt - on est passé au stade marketing du Luxe. Néanmoins, si les années show-biz ont vu les grandes maisons prendre conscience du potentiel de leur marque sur une paire de lunettes ou un rouge à lèvre, ces dernières veillent soigneusement à ce que ces produits "créateurs de valeur" soient couramment vendus hors murs. La politique commerciale permet ainsi aux marques de luxe de se réfugier derrière un paravent culturellement conservateur. Conçue telle un écrin, pensée comme un lieu de rencontre à l'abri des regards, la boutique reste encore l'apanage de l'élite. L'inaccessible snobe encore l'accessible, mais le mouvement est bien lancé.

La marque de luxe a désormais son temple, et chacun est invité à s'y recueillir.

Un marketing de l'offre

La crise des années 1990 fera le reste. Davantage exposées dans les médias mais jamais banalisées, les marques de luxe s'imposent comme un échappatoire pour sortir de la grisaille ; d'autant plus que les peurs alimentaires, environnementales, le terrorisme renvoient à des besoins de protection et à la volonté de vivre pleinement le moment présent. Désormais personne ne veut plus rien se refuser et tout le monde aspire au luxe : valeur sûre, plaisir immédiat, il n'a jamais été autant plébiscité par un "Happy Mass" en quête de "self-respect" et d'émotion forte. Résultat : les marques de luxe ont créé un marketing de l'offre des plus remarquables. Innovation régulière, élasticité des gammes de prix, buzz marketing, publicité à valeur spectacle et passage d'un commerce sélectif et confidentiel à un commerce ultra vivant, monumental, pleinement libéré de son carcan culturel et généreusement ouvert sur l'extérieur. On ne singe plus l'arrière-boutique feutrée ou les salons du couturier. La marque de luxe a désormais son temple, et chacun est invité à s'y recueillir. Et c'est sur l'axe Paris/New-York/Tokyo que s'érigent les plus beaux monuments. Dans un contexte où les codes du luxe tendent à être récupérés par le mass market et où la sur-exposition conduit parfois à la banalisation (imaginées par de grands architectes) les boutiques phares confortent l'imaginaire de la marque et veillent à préserver son caractère exceptionnel. Ainsi, tel Hermès ou Louis Vuitton à Tokyo, Chanel ou Dior à New York, les boutiques de luxe deviennent l'attraction des capitales."

Chaque édifice est désormais l'œuvre complète d'un designer dédiée à la marque. De fait, tel un mécène défendeur d'une créativité libérée, la marque de luxe rompt avec la logique de réseau traditionnelle qui voudrait la démultiplication d'une norme architecturale à travers le monde, et ce, dans la nécessité nouvelle et essentielle de protéger et préserver l'opium du luxe, autrement dit, son ex-clu-si-vi-té. Et ce n'est pas tout. En vue de maîtriser sa popularité, la marque de luxe arbitre très judicieusement son offre entre l'exceptionnel, l'exclusif, autrement dit le "top hype", et l'accessible et très courtisé "must have". Chez Louis Vuitton Champs-Elysées, le nouveau berceau monumental de la marque, les éditions ultra-limitées (escarpins, parure de haute joaillerie en pièce unique, etc.) côtoient les pièces les plus vendues au monde. L'inaccessible côtoie l'accessible. Preuve que la marque de luxe sait défier la norme, et même si ancrage il y a (qualité, exclusivité, savoir-faire), conserver envers et contre tout son libre arbitre. C'est elle qui fait la tendance. C'est elle qui provoque le désir. Les temples qu'elle érige n'ont de cesse d'entretenir son culte, de recevoir ses disciples et de convertir les autres. Mais ne nous trompons pas, loin de générer l'oubli et de causer l'engourdissement moral et intellectuel des masses, le luxe serait plutôt, à l'heure où nos systèmes de valeurs s'effritent, une expérience en temps réel qui porte en elle le souvenir de notre histoire, de notre savoir faire et de nos croyances. Un repère en somme.

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