Dans une société où le temps libre est une valeur âprement défendue (1), où l'estime et la valorisation de soi sont deux maîtres mots, les loisirs créatifs devaient naturellement trouver place. Loisirs offerts à l'oisif, fantaisie faisant le créatif. Parmi les plus vieilles activités artistiques du monde, exception faite de la peinture et de la musique, la broderie “art d'ajouter à la surface d'un support préexistant, le plus souvent un tissu, tout ce qui ce qui se pique, des ornements à plats ou en relief” (2) est un des plus anciens métiers d'art. Il n'est qu'à regarder la tapisserie de Bayeux qui a su traverser dix siècles pour nous livrer son histoire. Cependant de traditionnelle, d'utilitaire, la broderie évolue aujourd'hui vers le loisir.
Pendant de longs siècles, les femmes brodaient et tapissaient vêtement et tissu d'intérieur. Cardant, filant, pelotant, bien avant qu'un fabricant n'industrialise ces techniques. C'est en 1746, en Alsace, que trois hommes, Jean-Henri Dollfus, artiste, Jean-Jacques Schmalzer, négociant et Samuel Koelchlin, financier, commencent à écrire l'histoire de DMC étroitement liée à celle de l'évolution de la broderie. Du mariage de Daniel Dollfus, neveu de J-H Dollfus, et de Anne-Marie Mieg naît en 1800 la maison Dollfus-Mieg et Compagnie. Développée par les quatre fils du couple, l'entreprise connaît d'abord le succès par ses tissages renommés internationalement. La filature exploite trois cents métiers mécaniques en 1829 et 1500 métiers à bras, plus un atelier d'impression et de blanchiment.
En 1841, la découverte du mercerisage (3) permet de donner au fil une solidité sans pareille et un rendu soyeux, le “fil d'Alsace” est ainsi lancé sous la marque DMC. Fil à coudre, fil à broder ou à crocheter, dès ce temps, coudre ou broder n'est plus seulement un travail fastidieux et nécessaire, mais déjà une activité où le choix des couleurs, des types de fil permettent un plaisir. La grande révolution a lieu en 1899 lorsque six brins de coton brillant sont moulinés ensemble tout en restant séparables. Le 117, Mouliné spécial de DMC entame son tour du monde : c'est le fil à broder, en particulier pour le point de croix, le plus utilisé du monde. On a calculé que sa fabrication annuelle représentait cent fois le tour de la terre. Existant en cinq cents coloris, choisis dans cent-vingt pays par plus de trois cents millions de brodeuses, imaginons un instant la beauté et les couleurs éclatantes d'une terre surbrodée…
Cependant en France, comme dans les pays industrialisés, la couture et la broderie sont devenues des travaux plus rares après la Seconde guerre mondiale. Elles ne furent bientôt plus enseignées à l'école, puis elles ne furent plus transmises dans les familles de grand-mère à fille puis petite-fille.
Le travail des femmes, le prêt-à-porter, la place omniprésente de la mode très changeante, les reléguèrent au fond des tiroirs d'où pourtant elles ressortirent… juste pour le plaisir. En effet, l'accroissement du temps libre et l'idée qu'un artiste, si mauvais soit-il (“mais, c'est moi qui l'ait fait !”), sommeille en tous, ont ouvert la voie à l'industrie du loisir. Depuis sa fusion avec Thiriez-Cartier-Bresson (4) en mai 1961, autre fabricant français de fils, le groupe, fort en hommes et en capitaux, a entrepris une politique de diversification nationale et internationale. DMC a su profiter de l'embellie due aux loisirs, intégrant à partir de 1975 la branche loisirs créatifs tout en continuant dans les secteurs où il est leader notamment le fil. Mais le fil n'est rien sans “le carré magique” où il côtoie supports, accessoires et publications (5).
Le concept Loisirs & Création, crée en 1995, avec une première boutique ouverte à Lille, est la première chaîne française spécialisée dans l'univers des loisirs créatifs manuels. Son concept est simple : l'ensemble des activités propres à ce domaine est regroupé sur une seule et même surface, les techniques proposées sont faciles et peu onéreuses. 20 000 produits sont référencés, convenant aux débutants comme aux experts, sous forme de kit d'activité (offrant support, outils, couleurs), de kit de perfectionnement, de livre ; proposés en petit conditionnement, faciles à utiliser, structurés par tranches d'âge et offrant donc plusieurs niveaux de difficulté. Différents univers sont représentés tels les Beaux-Arts, les Arts Décoratifs, les activités pour enfants, la carterie, la réalisation de bijoux et les Arts du fil.
Parmi toutes les activités relevant du loisir créatif, la broderie a le vent en poupe. Bien que stagnante depuis deux ans, durant les vingt dernières années, la branche Loisirs Créatifs a doublé son chiffre d'affaires grâce au point de croix ! Considérée “comme la seule activité créative qui permet de faire quelque chose sans avoir besoin d'y penser” (6), broder marie aspect technique (point avant, point arrière, point de tige, point de croix) et défis, plaisir d'un résultat esthétique et détente qui permet de se vider la tête. La mode de la broderie a relancé DMC qui réunit tradition et modernité, remettant en filiation tout un pan classique de la culture féminine et tout à la fois l'ouvre à d'autres modes plus actuelles, notamment celle de self créativité. Ainsi en va-t-il des déclinaisons par des stylistes d'univers artistiques comme la ligne “Optikethnic” permettant de broder étole, écharpe et sac assortis ou encore celle de Yasubo Abé qui propose des tapisseries de fleurs sauvages d'une rare grâce issues des jardins à la japonaise. DMC lance aussi des collections propres par exemple “Linea” (collection printemps-été 2005) déclinée en “Graphic Pop” façon Andy Warhol, “Summer Time” sur fond de bayadère et dont les supports se diversifient (paréo, cabas, trousse de maquillage). La première campagne de publicité lancée en 2000 disait “les plus belles histoires sont celles que l'on brode”, mille ans après la tapisserie de Bayeux, 259 ans après la première pierre posée de la société DMC, les fils sont encore solidement noués et les couleurs ne passent pas.
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