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Revue des marques : numéro 90 - avril 2015
 

Bilan, dis-moi où est la marque

La place des marques dans les états financiers des entreprises varie selon plusieurs facteurs. Analyse à travers le cas du groupe LVMH.

par Élisabeth Walliser*


Élisabeth Walliser
Toutes les entreprises ne présentent pas les informations relatives aux marques de la même façon. Le degré de détail apporté aux marques dans les états financiers dépend bien souvent de l’importance qu’elles représentent au sein de l’entreprise, mais aussi de la manière dont elles ont été obtenues. Précisément, quelles sont les marques qui figurent au bilan ? à quel endroit se trouvent-elles ? existe-t-il des marques détenues par l’entreprise qui n’apparaissent pas dans son bilan ? quel traitement comptable est adopté une fois la marque reconnue ?

Des marques acquises et individualisables au bilan

Si les marques figurent dans les états financiers, il faut les chercher à l’actif. Le plus souvent, des informations clés à leur sujet sont également fournies par les annexes des comptes. L’actif du bilan indique tout ce que l’entreprise possède, par opposition au passif qui indique ce que l’entreprise doit (à ses associés, à ses banquiers, à ses fournisseurs…). On trouve donc des marques en haut du bilan, parmi les actifs non courants (ou immobilisés), constitués par des éléments destinés à rester durablement dans l’entreprise, par opposition aux actifs courants (ou circulants), dans lesquels figurent les stocks par exemple. Les marques figurent généralement dans la rubrique intitulée « Immobilisations incorporelles », à l’actif. Elles s’opposent aux immobilisations corporelles (terrains, immeubles, matériel…) ainsi qu’aux immobilisations financières (titres de participation, titres de placement, prêts…).

LVMH, en tant qu’entreprise accordant une grande importance à ses marques, les fait apparaître explicitement dans son bilan consolidé, dans une rubrique intitulée « Marques et autres immobilisations incorporelles », représentant un montant de 11,5 milliards d’euros, soit 29 % de l’actif non courant du groupe et plus de 20 % du total de son actif. Elle indique par ailleurs qu’il s’agit de marques « individualisables et de notoriété reconnue » (Bilan consolidé 2013 du groupe LVMH, p. 10 - tableau 1).

Bilan consolidé 2013 du groupe LVMH
Tableau 1. La place des marques à l’actif : le cas de LVMH (Source : Bilan consolidé 2013 du groupe LVMH, p. 4).

Les informations détaillées sur la constitution des rubriques composant le bilan se trouvent dans l’annexe aux comptes consolidés. Celle-ci fait partie intégrante des comptes, et permet de détailler des informations qui alourdiraient la présentation du bilan et du compte de résultat. Concernant les marques, on trouve généralement les informations dans la note explicitant les principes comptables utilisés par la société, mais également dans celle détaillant la rubrique du bilan, soit ici, pour LVMH, dans la note qui figure en face de la rubrique « Marques et autres immobilisations incorporelles ». La note détaille la composition des immobilisations incorporelles du groupe. On peut y lire que les marques représentent le plus gros poste du groupe LVMH, près de 75 % des immobilisations incorporelles, aux côtés des enseignes, licences, droits au bail et logiciels (tableau 2).
Le groupe LVMH
Tableau 2. Le détail des marques dans l’annexe : le cas de LVMH (Source : Bilan consolidé 2013 du groupe LVMH, p. 20).

Le cas particulier des marques créées

Inutile de chercher les marques créées par l’entreprise, elles sont les grandes absentes des états financiers. Les marques qui figurent dans les états financiers sont celles qui ont été acquises par le groupe, soit de manière isolée, soit dans le cadre d’un regroupement d’entreprises. Les dépenses relatives à la recherche et au développement des marques sont systématiquement passées en charges. La règlementation comptable, qu’elle soit nationale ou internationale (IFRS), interdit en effet explicitement leur comptabilisation. Il y a là une volonté des organismes de normalisation à ne faire apparaître au bilan que des éléments contrôlables, identifiables et pouvant être évalués avec précision. Dans le cas de LVMH, on ne trouvera donc pas les marques Hennessy par exemple, ni les champagnes Moët & Chandon, Dom Pérignon, Mercier et Ruinart ; est également absente l’enseigne de joaillerie De Beers Diamond Jewellers, celle-ci ayant été développée en joint-venture avec le groupe De Beers. À l’inverse, on y trouve (sans exhaustivité) Veuve Cliquot et Krug pour les spiritueux, Louis Vuitton et Fendi pour la mode, ou encore les parfums Christian Dior et Guerlain.
Allocation du prix payé pour Bulgari
Tableau 3. Allocation du prix payé pour Bulgari par LVMH (Source : Bilan consolidé 2013 du groupe LVMH, p. 18).

La juste valeur d’une marque acquise lors d’un regroupement d’entreprises

En revanche, il est tout à fait possible de faire apparaître ces marques créées si elles sont par la suite rachetées par une autre entité. C’est ce qu’a fait LVMH lors du rachat de Bulgari en 2011. LVMH contrôlant alors majoritairement l’entreprise Bulgari, cette dernière a été consolidée intégralement par le groupe ; autrement dit, LVMH a ajouté les actifs et les passifs de Bulgari à ses propres actifs et passifs. Lors de la première consolidation, il est alors possible de faire apparaître au bilan consolidé de l’acquéreur (LVMH) des éléments ne figurant pas dans les états financiers de la société acquise (Bulgari) pour leur juste valeur (fair value). Précisément la marque Bulgari ne figurait pas dans le bilan de l’entreprise créatrice. Cette juste valeur correspond au prix que l’entreprise estime en fonction des sources de revenus que la marque va générer dans l’avenir. Il s’agit d’une valeur calculée (mark to model) inévitablement subjective. En l’absence de marché actif pour les marques, il n’est en effet pas possible d’avoir de valeur de marché (mark to market) objective pour celles-ci, à moins qu’elles ne soient acquises de manière isolée. Un marché actif est défini comme un marché répondant aux trois conditions suivantes : les éléments négociés sont homogènes ; des acheteurs et des vendeurs peuvent être trouvés à tout moment ; les prix sont à la disposition du public. Or, compte tenu de la spécificité des marques, aucune de ces conditions n’est remplie. En effet, les transactions ne sont ni fréquentes, ni comparables. Par ailleurs, les éléments clés de la négociation ne sont généralement pas communiqués. En achetant la société Bulgari, LVMH a isolé la juste valeur de la « marque Bulgari » pour un prix de 2,1 milliards d’euros. L’écart d’acquisition correspond à ce qu’on appelle plus communément le « goodwill ». Il intègre des éléments qui ne peuvent pas figurer distinctement à l’actif du bilan, mais qui justifient néanmoins le prix payé. Dans le cas de Bulgari, il reflète l’expertise et le savoir-faire de la société dans les métiers de la joaillerie et de l’horlogerie.

Le traitement comptable des marques reconnues

Une fois les marques reconnues dans les états financiers de l’entreprise, certaines sont amorties, d’autres non. Il est d’usage de considérer que les marques dites « entretenues » peuvent avoir une durée d’utilisation indéterminée ; pour cela, elles devront notamment être régulièrement protégées et défendues en cas de contrefaçon. Les marques entretenues ne sont donc pas amorties. Toutes les autres marques sont considérées à durée de vie définie, elles sont donc amorties systématiquement sur leur durée d’utilisation. Dans le cas de LVMH, le classement d’une marque ou d’une enseigne en actifs à durée d’utilisation définie ou indéfinie résulte de l’application des critères suivants (LVMH, Bilan consolidé du groupe 2013 ; p.10) :
  • positionnement global de la marque ou enseigne sur son marché en termes de volume d’activité, de présence internationale, de notoriété ;
  • l perspectives de rentabilité à long terme ;
  • l degré d’exposition aux aléas conjoncturels ;
  • l événement majeur intervenu dans le secteur d’activité et susceptible de peser sur le futur de la marque ou enseigne ;
  • l ancienneté de la marque ou enseigne.
Les marques dont la durée d’utilisation est définie sont alors amorties sur une période comprise entre quinze et quarante ans, en fonction de l’estimation de cette durée.
Si les marques ne sont pas amorties, elles doivent pouvoir être dépréciées. Le test de dépréciation (impairment test) s’effectue en comparant sa valeur recouvrable (ou valeur actuelle, dans la terminologie française) à sa valeur nette comptable, annuellement et à chaque fois qu’il y a une indication que la marque peut s’être dépréciée. Ce test se pratique également sur une marque amortie de manière à juger si elle n’a pas perdu notablement sa valeur.
Verification valeur des marques

La vérification de la valeur des marques

Plusieurs méthodes existent pour déterminer leur valeur, la plupart d’entre elles reposant sur des méthodes d’évaluation financière classiques comme l’actualisation des flux de trésorerie prévisionnels (discounted cash flows) dégagés par les marques ou la méthode des comparables, sur la base d’un multiple de chiffre d’affaires et de résultat retenus lors de transactions récentes sur des marques similaires. LVMH affirme également utiliser d’autres méthodes à titre complémentaire (LVMH, comptes consolidés 2013, p. 10). La méthode des royalties, par exemple, qui permet de donner à la marque une valeur équivalente à la capitalisation des royalties qu’il faudrait verser pour son utilisation si elle n’en était pas propriétaire, ou encore la méthode du différentiel de marge, qui consiste à mesurer la différence de revenus générés par une marque, par référence à un produit sans marque. Cette dernière méthode est assez facilement applicable dans un secteur comme le luxe où les différences de marges entre produits marqués et non marqués sont très nettes.
Les données utilisées pour estimer ces flux proviennent des budgets annuels et des plans pluriannuels établis par la direction des secteurs d’activité concernés. Il est d’usage de projeter les flux sur un horizon de cinq ans. On ajoute alors à la valeur résultant des flux de trésorerie actualisés une valeur terminale correspondant à la capitalisation à l’infini des flux de trésorerie issus, le plus souvent, de la dernière année du plan. Reste alors à déterminer le taux d’actualisation, qui reflète le taux de rendement attendu de l’investisseur dans le secteur d’activité concerné auquel on ajoute une prime de risque.
Dans le cas où la marque ne générerait pas de flux de trésorerie indépendants des entrées de trésorerie d’autres actifs, il est possible de la regrouper avec l’unité génératrice de trésorerie (UGT) à laquelle elle appartient. Une UGT est le plus petit groupe identifiable d’actifs qui génère des entrées de trésorerie indépendantes des entrées de trésorerie générées par d’autres actifs ou groupes d’actifs. On peut alors très bien ne pas déprécier la marque si l’ensemble n’a pas perdu de sa valeur. Les principaux paramètres utilisés par LVMH sont les suivants (tableau 4) :

Évaluation des marques
Tableau 4. Évaluation des marques à durée de vie indéfinie (Source : Bilan consolidé 2013 du groupe LVMH, p. 23).

L’évolution régulière de la valeur des marques dans le temps est primordiale, surtout pour une entreprise comme LVMH dont les perspectives d’avenir sont intiment liées aux marques.
Cette étape va obliger les services financiers et marketing de l’entreprise à travailler en étroite collaboration. Mais qu’elles figurent ou non dans les états financiers de l’entreprise, ce sont l’ensemble des marques qui vont générer de la valeur, et ainsi contribuer à expliquer le résultat produit par l’entreprise 1.

Notes

* Professeur des universités, IAE de Nice, laboratoire GRM, membre associée de la chaire Marques & Valeurs de l’IAE de Paris.
1 - Cet article reprend des éléments du chapitre « La marque dans les comptes de l’entreprise » de l’ouvrage Management transversal de la marque, paru aux Éditions Dunod en septembre 2013
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