L’âge reste une variable très importante pour certains produits
ou services. Mais si les cohortes d’âges sont simples à utiliser et disposent du soutien de nombreux outils statistiques
précis, elles n’apparaissent plus aussi pertinentes pour le positionnement, le ciblage et la segmentation marketing.
Certes, le recours à l’âge psychologique (cognitif et/ou subjectif) de l’individu ciblé permettait déjà de contourner en partie le problème d’un âge chronologique qui n’était plus toujours significatif ou en tout cas explicatif, mais la mise en oeuvre demeurait complexe. D’où l’intérêt ressuscité pour le marketing générationnel. D’aucuns utilisent parfois l’identité Digital Natives pour désigner la génération des « très jeunes techno-geek hyper-connectés », alors que chronologiquement
et technologiquement parlant ces natifs numériques sont potentiellement nés avec le début de l’ère (post-analogique) du numérique, soit dès la fin des années 1960. Bien difficile dans ces conditions de définir cette génération
du numérique avec une tranche d’âge précise.
Il ne suffit pas d’être convaincu de son intérêt, pour pouvoir utiliser le concept de génération. Le Dictionnaire historique
de la langue française introduit sa définition par un « ensemble d’individus engendrés à la même époque, qui ont à peu près le même âge ». Étymologiquement, cela différencie peu la génération de la classe d’âge, d’où les bornes chronologiques qui sont souvent associées au cadrage d’une génération (voir table d’exemples page 19). Or, ces indications d’âge varient et sont souvent approximatives, car principalement nourries d’observations et de déductions. Il n’existe d’ailleurs pas de typologie officielle des générations.
Si le concept de « génération » est devenu aussi populaire en marketing, c’est parce qu’il a beaucoup évolué. Et ce, quel que soit finalement l’âge chronologique des individus. Les marques sont séduites en ce qu’il transcende désormais la rigueur cartésienne de la classe d’âge chronologique, en désignant la réunion ponctuelle ou pérenne d’individus autour d’idées, de centres d’intérêt, de principes, de styles de vie, de croyances, d’expériences et d’événements vécus, d’attitudes et de comportements proches et/ou partagés. Autant d’éléments qui peuvent être clairement définis, et donc clairement adressés.
En 1988, lorsque Jacques Séguéla et l’agence RSCG proposent le slogan « Génération Mitterrand » au candidat présidentiel à sa réélection, ils ne visent pas une cohorte d’âges particulière,
mais un ensemble d’individus très divers et réunis par les mêmes idéaux. En d’autres termes, on part des idéaux et on communique sur le fait que ce qui les réunit forme une « génération ». L’expression crée naturellement un lien entre les individus concernés. En se débarrassant de la variable âge pour privilégier celle de génération au sens ainsi redéfini, les marques peuvent dès lors éviter de tomber dans le piège d’un ciblage chronologique réducteur, voire ostensiblement sectaire. Elles échappent alors à une communication involontairement typée.
L’exemple de la génération G est très révélateur de la transversalité démographique à laquelle l’idée de génération peut permettre d’accéder. « G » pour générosité (
lire l'article). Il ne s’agit pas ici de verser dans un idéalisme utopique, mais bien de considérer un phénomène sociétal concret. La combinaison des difficultés économiques rencontrées dans les pays développés que l’on pensait à l’abri, des actions charitables médiatisées d’individus très fortunés et l’essor d’initiatives individuelles caritatives en partie rendues possibles par des moyens de communication communautaires numériques simples et accessibles, constituent le terreau de la naissance de cette « génération »… démographiquement transgénérationnelle !
Les cours en ligne de la Khan Academy, les contributions volontaires à Wikipedia (vingt millions d’éditeurs enregistrés), les guides de voyages collaboratifs Tripwolf, le soutien éducatif Starbucks City Year, le partage de vidéos sur Youtube (plus de cent heures de vidéo chargées sur les serveurs chaque minute)… Autant d’illustrations basées sur le partage, le crowdsourcing, la collaboration et la gratuité, qui définissent non pas un profil type, mais la culture de la génération G.
Au surplus, la notion de génération comme rencontre d’individus, parfois très divers et variés, s’accorde parfaitement
avec la tendance communautaire de la société de consommation moderne et l’essor des réseaux sociaux. D’une part, les communautés physiques ou virtuelles offrent des points de repère, d’échange et de partage à des individus consommateurs, parfois désorientés, et en quête de situations, d’opinions et de visions comparables sinon similaires aux leurs. D’autre part, l’offre de réseaux sociaux accessibles sur le Web permet une interconnexion simple, peu coûteuse et pratique à ceux qui se sentent proches d’un point de vue générationnel sur un ou plusieurs critères librement choisis. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’au-delà des figures médiatiques que sont Facebook, Qzone, Vkontakte, Twitter, Orkut, Renren ou CyWorld, il existe de multiples autres réseaux sociaux thématiques, culturels, ethniques ou générationnels qui comptent déjà plusieurs millions de membres, comme Habbo, Friendster, Douban, Classmates, Bebo, Sonico ou WeWorld. Et il n’est pas rare qu’un utilisateur de ces réseaux soit présent simultanément sur plusieurs d’entre eux. Demain, la multiplication des objets connectés et le réseau d’information qu’ils supposent, faciliteront et favoriseront davantage encore l’interconnexion et les échanges entre membres ainsi que les échanges entre ces membres et les marques.