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Revue des marques : numéro 85 - janvier 2014
 

Nous inventerons encore de nouveaux langages

Si, aujourd’hui, le digital amplifie le phénomène générationnel, la publicité ne doit pas forcément céder aux sirènes du « jeunisme ».

Entretien avec Vincent Leclabart
par Benoît Jullien, (ICAAL) communication


Vincent Leclabart
Vincent Leclabart :
Fondateur de l’agence Australie
et président de l’Association des
agences-conseils en communication (AACC).
« la publicité doit prédisposer à acheter »

Qu’évoque, pour vous, le terme de générations ? Constitue-t-il aujourd’hui, dans le monde publicitaire, un phénomène central, voire montant ?

Vincent Leclabart : Montant ? Non. Central ? Suivant les sujets, oui. Nous devons en tenir compte très souvent et, parfois, il peut même occuper le centre de notre réflexion. Cependant, notre époque aime bien inventer des concepts de ce type : cela a commencé avec les « baby boomers », puis s’est poursuivi avec les générations X, Y… En réalité, les ruptures se produisent approximativement tous les vingt ans, ce qui correspond au renouvellement des générations. Les nouveaux venus sur le marché de la consommation arrivent avec leurs valeurs et leurs façons de voir, accompagnés par l’évolution de la technologie qui influence leur consommation de médias. Or aujourd’hui, il est indéniable qu’Internet, et plus encore le mobile, ont considérablement fait évoluer les habitudes. Un lien naturel s’opère entre génération et technologie : les 15-30 ans se caractérisent en effet, dans leurs valeurs et leur langage, par l’évolution technologique. Les nouvelles générations jouent sans doute un rôle précurseur, mais nous autres, publicitaires, en tenons peut-être un peu trop compte… d’autant que leur consommation effective n’est pas forcément si importante.
 

Pourtant, le phénomène semble s’être amplifié, avec des discours ciblant de plus en plus telle ou telle génération…

V. L. : C’est l’évolution des annonceurs eux-mêmes – peut-être des agences également – qui engendre cette impression. Soucieux de ne pas manquer le coche après avoir mis du temps à accepter l’idée que le digital devenait un canal important, des annonceurs sont en train de mettre les bouchées doubles. Néanmoins, leur appropriation du digital en reste souvent à ses prémices. Hormis quelques « coups », elle demeure limitée au marketing participatif des premières heures. Or, faire choisir un parfum ou une recette par ses « likers » n’est pas le coeur du sujet.
 

Le phénomène générationnel n’aurait-il pas du moins un fort impact sur la forme du discours ?

V. L. : La communication publicitaire de marque subit toujours la tentation de traiter les séniors en les rajeunissant – de peur qu’ils ne se reconnaissent pas – et celle de vouloir « faire jeune » quand elle s’adresse… aux jeunes ! Pourtant, ces derniers ont toujours détesté le langage « faux jeune ». Toute récupération des signes de communication « jeunes » est vouée à l’échec.
 

Il ne faudrait donc pas « faire jeune » ?

V. L. : Si « faire jeune », c’est être digital, bien sûr que oui. S’il s’agit d’utiliser des codes de communication par des coups d’éclat destinés à provoquer du buzz, oui également. S’il faut créer des communautés pour que les consommateurs y adhèrent, oui encore. Mais tout cela reste extrêmement lié à la technologie. En revanche, recourir à certaines expressions de jeunes, ce n’est pas une solution, car celles-ci changent beaucoup trop vite. Cela dit, la génération Facebook tend à considérer la publicité comme un spectacle plus que comme un moyen de conviction : il nous faut répondre à cette attente. Internet a fait naître des marques qui sont devenues les plus puissantes au monde ; simultanément, on y propose à la vente des produits qui seront essentiellement jugés sur leur rapport utilité/prix. Cela explique la distance que les études observent parfois vis-à-vis de la marque.
 

Le baromètre Publicité & Société que réalise TNS pour Australie confirme d’ailleurs cette thèse…

V. L. : Les marques continuent d’être bien perçues, mais leur discours est, en effet, jugé plus sévèrement par les consommateurs. À tort ou à raison, ils ont l’impression qu’on ne leur parle pas comme à des adultes intelligents. Ils jugent les messages archaïques, si bien que les plus de trente ans subissent la publicité sans grand plaisir. Les plus jeunes, eux, demandent un bon spectacle en peu de temps. La « pub » spectacle était déjà revendiquée dans les années 1980 par Jacques Séguéla. Aujourd’hui, ce n’est plus l’accumulation des arguments qui fait vendre.
 

Comment votre agence résout-elle cette équation ?

Des icônes appréciées par les jeunes,
mais dont ces derniers font ce qu’ils veulent.
Des icônes appréciées par les jeunes,
mais dont ces derniers font ce qu’ils veulent.
V. L. : Certains annonceurs éprouvent, à juste titre, le besoin de rajeunir leur clientèle, par exemple la banque qui est un marché marqué par une grande fidélité et dont l’enjeu principal est de recruter ceux qui démarrent dans la vie. Quand nous travaillons sur le Web pour le CIC, nous allons chercher des icônes, comme Cyprien ou Gonzague, appréciées par les jeunes. Mais en laissant à ces derniers la liberté d’en faire ce qu’ils veulent. En cela, le métier a mûri : nous ne mettons pas un faux nez pour faire croire qu’on les comprend, mais essayons, en toute transparence, de leur plaire avec ces références. Car ils ont tous les codes de la publicité en main ; le « deal » est clair.
 

Cette génération s’amuse à jouer avec les codes, mais cela va-t-il durer ?

V. L. : Nous nous posons la question en effet. Internet génère une forme de mithridatisation du spectateur ; interdisant la répétition, les exploits créatifs entraînent leur propre mort, d’autant que les formats sont de plus en plus longs. C’est l’avantage du format court de la télé ; il passe… et on passe à autre chose.
 

Va-t-on alors revenir à une publicité plus classique ou, au contraire, inventer un nouveau langage ?

V. L. : Nous inventerons encore de nouveaux langages, c’est certain : l’imagination humaine est inépuisable. Il y aura du pragmatique, du drôle, du poétique… Mais nous serons obligés de rechercher des formes novatrices.
 

Dans quel but ?

V. L. : La mesure de l’efficacité de ces publicités reste une vraie question. On réalise aujourd’hui qu’un million de personnes peuvent « liker »… et s’arrêter là. « Liker », partager, commenter, n’est pas prédictif des ventes. Le contraire, en revanche, peut être prédictif de « non ventes ». Contrairement à la publicité classique, nous ne disposons pas des outils pour savoir si une publicité sur le Web fait vendre ou non. Je pense qu’il va falloir inventer de nouveaux critères pour en juger.
 

La publicité n’aura-t-elle plus comme premier objectif de vendre ?

V. L. : Il y a beaucoup de querelles scholastiques sur cette question. Certains pensent que la publicité crée de faux besoins. D’autres, au contraire, qu’elle donne les éléments pour se décider dans son choix. Je dirais qu’une publicité ne fait pas vendre, mais qu’elle doit prédisposer à acheter, ce qui est totalement différent.
 

Le digital et le générationnel n’éloignent-ils pas toujours plus le discours publicitaire du produit ?

V. L. : Le risque existe, à court terme du moins. Une marque réussit si sa proposition apporte quelque chose d’utile, si ses valeurs correspondent à celles de l’individu qu’elle cherche à convaincre et si elle exprime une personnalité unique qui donne envie de la suivre ou non. On ne peut s’éloigner trop longtemps de l’utilité, à moins que celle-ci soit parfaitement connue : Coca-Cola n’a pas besoin de rappeler ce qu’elle est. Mais finalement, je crois beaucoup au marketing de l’offre : il s’agit simplement de faire des propositions qui soient acceptées par un certain nombre de consommateurs se déclarant intéressés.
 

À force de personnaliser les messages, ne néglige-t-on pas les coeurs de cible ?

V. L. : Dans beaucoup de cas, la communication de masse est nécessaire pour créer un environnement qui permette à des communications très ciblées de se développer harmonieusement. Il y a, certes, des contre-exemples, comme Free, qui ne s’est mis à la « pub » qu’en se lançant dans la téléphonie. Mais dans la plupart des cas, il reste indispensable d’utiliser une campagne classique avant de développer des arguments spécifiques auprès de publics précis.
 

N’assiste-t-on pas à une accélération dangereuse du renouvellement des campagnes ?

leclerc
Un cadre créatif établi
en 2008 pour les centres E. Leclerc.
V. L. : Ce n’est pas le cas chez nous ! La saga du CIC dure depuis plus de dix ans. Et pour Leclerc, le cadre créatif choisi remonte à 2008, peu de temps après l’ouverture de la publicité télévisée à la distribution. Dans un univers très changeant, nous croyons au contraire que le temps joue en notre faveur, à condition de savoir se renouveler bien sûr. Les réflexions actuelles sur les plateformes de marque permettent de déployer des prises de paroles de natures diverses tout en gardant une grande cohérence.
 

En conclusion, vous semblez garder une certaine prudence quant aux phénomènes générationnels…

V. L. : Je pense qu’il s’agit plus d’une question d’époque que de génération. Les phénomènes sociétaux sont souvent dus à l’évolution économique, aux mutations culturelles ou – encore une fois – au progrès technologique, comme l’indique Internet. Certes, les jeunes montrent souvent le chemin, mais les plus âgés leur emboîtent rapidement le pas. Concernant les marques, je pense qu’il faut distinguer les marques de transmission des marques de statut. Si Nutella a une position aussi forte, c’est parce que ses codes dépassent les générations. En textile, il y a également des marques transgénérationelles comme Etam, connue pour être la marque que les filles découvrent avec leur mère. Ces marques ont une chance incroyable. En revanche, il y a des marques statutaires que les enfants ne prendront pas parce que ce sont celles de leurs parents ou de leur enfance, dont ils ne veulent plus.
 
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