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Revue des marques : numéro 85 - janvier 2014
 

Le naming, un savoir à part entière

De Félix Potin à Apple, nos marques ont évolué. Les enjeux d’hier ne sont plus les mêmes aujourd’hui. Finis les noms patronymiques, descriptifs ou voués à un éphémère succès, cap sur l’expression de l’expérience.

par Morgane Lebrun


Morgane Lebrun
Morgane Lebrun
Consultante en création de marques,
enekia

« Le monde de la réalité a ses limites, le monde de l’imagination est sans frontières. » Jean-Jacques Rousseau



Les générations se suivent et ne se ressemblent pas, les marques non plus. Pour un Félix Potin ou un Lafarge fondés il y a maintenant bon nombre d’années, combien, aujourd’hui, de Veolia, Opodo, Apple ? Les problématiques de création de marque ont connu une évolution qui a suivi celle du développement du commerce.



Savoir instaurer la confiance

Petit saut dans la machine à remonter le temps : Arthus-Bertrand, Potel & Chabot, Coignet, Menier… ces noms célèbres sont inscrits dans l’histoire de la première génération des marques françaises. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les réflexions marketing passent après la recherche de la qualité intrinsèque du produit ou du service, et pour choisir une identité de marque, on opte pour la simplicité. Prenons l’exemple de monsieur Potin. Lorsqu’il crée sa première épicerie en 1844, il s’appuie sur une approche novatrice du métier : les prix sont fixes et affichés, la vente se fait au comptant. Puis il se dote d’une usine en propre, bien utile pour transformer lui-même certains produits et se passer ainsi des grossistes revendant sucre, chocolat, café, liqueurs, conserves de légumes, etc. La marque de distributeur est née. Ensuite, c’est la livraison à domicile, l’immeuble monumental de la rue de Rennes à Paris… Mais toujours avec cette image de confiance, incarnée par la personnalité d’un homme en chair et en os. C’est la bonne presse de l’enseigne qui fait son succès, la qualité des produits et du service offert qui sont appréciés, le nom n’en est alors que le reflet.
 

La précision au détriment de la fantaisie

À cette époque où les industriels sont dans une dynamique mono-industrie/mono-secteur, l’aspect naming du processus de création de marque ne s’embarrasse pas (encore) de considérations marketing : on reprend le plus souvent le patronyme du fondateur, voire ses origines. Baccarat est ainsi le nom d’une ville de Lorraine spécialisée dans le cristal, de la même façon que la très ancienne manufacture de porcelaine de Meissen rend hommage à la ville de Saxe d’où était extrait le kaolin nécessaire à sa fabrication. L’univers très spécifique des parfums est encore plus révélateur de cette tendance : La Fougère Royale, Trèfle Incarnat, L’Eau de Cologne Primiale, Violette de Parme, Cuir de Russie… le nom décrit une fragrance plus qu’il n’invite à un imaginaire. Il faut aller à l’essentiel.
 

Se projeter vers l’avenir

generale-des-eaux
Ce que l’on pourrait appeler la deuxième génération de noms de marques est caractérisée par des défis commerciaux inédits : croissance horizontale, nouveaux marchés à conquérir et débuts de la mondialisation… Petit à petit, la question du « bon nom » s’invite dans la discussion. Il faut savoir représenter au mieux une activité commerciale qui se diversifie : des groupes comme la Compagnie Générale des Eaux ou, plus récemment, Pinault-Printemps-La Redoute ont vu leur nom ne plus correspondre à leur formidable appétit de croissance. Leur nom historique n’a plus suffit à décrire l’étendue de leurs activités, et les évocations plus abstraites véhiculées par Vivendi et Kering permettent de créer une marge de manoeuvre suffisante, en cas de nouvelles orientations commerciales.
 

Prendre en compte l’espace et le temps

kodak
Le challenge consiste aussi, pour ceux qui ont su dépasser les frontières nationales, à penser à une éventuelle clientèle internationale : les Japonais ne prononcent pas la lettre R, les Français ont toutes les peines du monde à articuler un « th » anglais correct… pas facile de plaire à tout le monde. Qui penserait, aujourd’hui, à raconter une blague graveleuse sur Nike ? Pourtant, lorsque la marque de sport a commencé à chausser les pieds français, l’ambiguïté de prononciation aurait pu constituer un frein. Un visionnaire avait déjà réfléchi au problème : George Eastman. Lorsque cet industriel américain commercialise les premiers appareils photo à pellicule, il cherche d’emblée un nom qui pourrait se prononcer à l’identique dans toutes les langues.
Il commence par choisir deux voyelles, qu’il encadre de consonnes simples, sans particularismes locaux tels que digrammes ou lettres muettes : Kodak est né. Si Félix Potin avait voulu ouvrir des succursales en Espagne, la dernière lettre de son prénom aurait-elle donné du fil à retordre aux Madrilènes ? La maison-mère aurait-elle dû choisir de se renommer tout simplement « Potin » ? Mais attention : le futur est parfois très proche, et que penser aujourd’hui de noms construits autour du chiffre 2000 ? Souvenez-vous : Optic 2000, Sport 2000, Assurances 2000, Radiocom 2000... Nul doute que dans les années 1980, viser le nouveau millénaire était un gage de futurisme qui fleurait bon les nouvelles technologies, l’ambition et l’innovation ! Dans le même ordre d’idées, Europ Assistance opère désormais bien au-delà des frontières que son nom laissait supposer, et c’est Mondial Assistance qui lui vole la vedette – du point de vue strict du naming s’entend. C’est aussi le temps de l’émergence des modes dans la création de noms de marques : les double voyelles ont ainsi connu leur heure de gloire, elles aussi, offrant une allure et des sonorités décontractées à Yahoo, Kelkoo, Google, Wanadoo, tout en leur conférant cette petite touche « start-up de l’Internet » qui fonctionnait si bien au début des années 2000.
Mais si l’on continue à assister, même parmi les nouvelles naissances de marques, à la persistance de quelques tendances naming (en témoigne le récent attrait pour le suffixe « lib » : Vélib’, Autolib’, Paylib…), il faut reconnaitre que les dernières générations de noms de marques ont un degré d’exigence plus poussé. Il ne suffit plus de citer simplement une origine, de décrire un processus ou de clamer un avantage concurrentiel : dorénavant, les marques se doivent de faire rêver. Les moindres aspects du nom sont passés au crible : en plus de réfléchir en amont à de possibles diversifications, à de nouveaux territoires de chalandise, à un « stretching » futur de la marque, on examine les évocations, connotations, implications d’un nom.
 

Le cas Nolim

Lorsque les équipes de l’enseigne Carrefour décident de se lancer sur le créneau des liseuses électroniques, le terrain est déjà occupé par plusieurs acteurs : Amazon, Barnes & Noble, Fnac… La typologie des noms en présence se partage entre deux courants : d’un côté ceux qui s’inscrivent dans l’univers du livre (FnacBook, Archos eReader, Pocket Book, Cybook), de l’autre ceux qui tentent déjà de s’en éloigner (Kindle, Kobo, Nook). Afin de créer une vraie différence, enekia a imaginé le nom Nolim, entérinant ainsi la volonté de Carrefour de s’approprier un territoire de communication plus « aspirationnel » : construit à partir d’une apocope (troncation des derniers phonèmes d’un nom) de l’expression anglaise « no limit », ce nom court instaure un sentiment de proximité et de complicité, comme un surnom pour un compagnon quotidien. Quel que soit le support, le besoin ou le moment, l’ambition de Nolim est d’être là pour proposer une solution, repousser les frontières de la curiosité et inciter au plaisir de lire. Sans oublier que le choix d’un nom aux racines transparentes se révèle un véritable plus, dans le cas d’un export potentiel de la marque à l’étranger.
Un imaginaire fort et une réflexion qui voit loin, voilà ce que les marques doivent prendre en compte, aujourd’hui, dans leur processus de création. Les nouvelles-nées ne peuvent plus se contenter, dans des environnements concurrentiels saturés, d’une approche au premier degré. Le temps n’est plus des noms patronymiques, descriptifs, voués à un éphémère succès : les générations de marques à venir sont attendues au tournant et doivent proposer ni plus ni moins qu’une véritable expérience. Une reconnaissance, une adhésion à une tribu de fidèles, plus séduits par des valeurs que par de simples déclinaisons de caractéristiques produit. C’est le temps des Browniz (une création enekia pour une marque de casques, accessoires et audio commercialisés par DEA Factory), La vie est belle (parfum Lancôme), Sosh (téléphonie mobile)…
 

Avec des si…

appel
Si Félix Potin lançait aujourd’hui son commerce, lui conseillerait-on de conserver dans sa dénomination un mot synonyme de ragots et mauvaises langues pour les Français ? Peut-être aurait-il alors opté pour une stratégie naming poussée, privilégiant un positionnement différenciant plutôt qu’un nom évident comme Les Quatre Saisons ou La Corne d’Abondance. Après la constitution d’une plateforme de marque détaillée, il aurait peut-être imaginé un profil épuré, design, des épiceries « concept stores » où les pommes seraient présentées rangées en artistiques pyramides de couleurs… Et si Félix Potin s’était appelé… Apple ?
 
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