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Revue des marques : numéro 85 - janvier 2014
 

La propriété intellectuelle, passage obligé

Chahutée entre les ultralibéraux, qui prônent une liberté absolue des échanges commerciaux, et ceux qui prétendent qu’elle atteint la liberté d’expression, la propriété intellectuelle doit être plus que jamais protégée et valorisée.

par Delphine Sarfati


Delphine Sarfati
Delphine Sarfati
Directrice de l’Unifab
Détenir une marque, un brevet, un dessin, un modèle…, et donc devoir le protéger, est de nos jours, au-delà d’une richesse dont l’économie tout entière d’un pays profite, une responsabilité dont les consommateurs, les leaders d’opinion, voire les politiques n’ont pas toujours conscience. Aujourd’hui plus que jamais, la propriété intellectuelle (PI) doit être défendue pour ce qu’elle apporte à la société, en commençant par la mise à distance des dangers de la contrefaçon qui représenterait, à elle seule, plus de 520 milliards d’euros de l’économie mondiale ! L’impact négatif de la contrefaçon est particulièrement significatif en matière d’innovation, mais aussi d’emplois pour les entreprises. L’Union européenne estime qu’elle fait disparaître 100 000 emplois par an. En France, la contrefaçon coûterait près de 6 milliards d’euros à l’économie et causerait une perte de 30 000 à 40 000 emplois par an. Elle est un véritable hold-up en termes de compétitivité pour les entreprises, puisqu’elle confisque et asphyxie les efforts, les innovations et les marchés des entreprises. En d’autres termes, la contrefaçon, c’est une perte économique sèche pour les entreprises et les États, un réel danger pour les consommateurs et une atteinte au droit du travail et à l’environnement. En période de crise, la compétitivité est essentielle, mais elle passe par l’innovation, qui dépend de la propriété intellectuelle.
Celle-ci demeure l’unique instrument pour fournir aux entreprises innovantes le moyen de protéger leurs investissements créatifs et d’exploiter leurs innovations, souvent motrices de croissance. Une étude (1), publiée en septembre 2013, et réalisée conjointement par l’Office européen des brevets (OEB) et l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI) a mesuré l’importance des droits de PI dans l’économie de l’Union européenne. Près de 35 % des emplois dans cette zone sont liés à des activités protégées par des brevets et autres droits de propriété intellectuelle. Ils fournissent, en outre, 26 % d’emplois directs (56 millions) et 9 % d’emplois indirects sur le nombre total d’emplois que compte l’Europe. Selon ses principaux résultats, l’activité économique de l’UE, dont la valeur atteint environ 4 700 milliards d’euros annuels, est générée à hauteur de 39 % environ par des secteurs à forte intensité de droits de PI. Ce rapport montre bien que, pour rester compétitive dans l’économie mondiale, l’Europe doit continuer à encourager la mise au point et l’utilisation de nouvelles technologies et d’innovations. Alors, comment mieux lutter contre la contrefaçon pour protéger l’innovation ?
 

Informer et former

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Il est important de sensibiliser tous les acteurs, car, si les mesures prises par les pouvoirs publics sont autant d’instruments pour limiter le phénomène, il reste illusoire d’imaginer y mettre fin si politiques, économistes, législateurs et consommateurs ne prennent pas conscience des menaces que fait peser la contrefaçon sur chacun d’entre nous. Un sondage de l’Unifab (2), mené l’année dernière avec l’IFOP, révèle que 29 % des Français se sont déjà procurés de faux produits, soit un score en chute de six points par rapport à 2005. Parallèlement, il est important de souligner que près de quatre consommateurs sur dix ont déjà été trompés, pensant acquérir un bien authentique.
Les Français savent aujourd’hui que le faux touche tous les domaines et neuf personnes sur dix ont conscience que l’achat de contrefaçons fait encourir un risque. Ils identifient également Internet comme le deuxième canal d’achat de contrefaçons, ex-æquo avec la vente à la sauvette, derrière les foires et les marchés. La sensibilisation du grand public est donc un point fondamental de la lutte contre la contrefaçon.
Il faut également renforcer l’information auprès des entreprises pour que celles-ci soient bien au fait des outils concrets et disponibles pour se protéger et lutter contre la contrefaçon : l’enregistrement de leurs droits, la sécurisation de leurs relations économiques avec leurs employés, clients ou fournisseurs – pouvant les aider notamment à se prémunir de l’espionnage industriel –, la mise en place de veilles et de surveillance de la contrefaçon, le partenariat public/privé… Il faut sans cesse rappeler aux législateurs et décideurs politiques, sans oublier les magistrats, tous les dangers de la contrefaçon et toute l’importance de lutter contre, pour que ceux-ci la considèrent comme un enjeu majeur. Enfin il serait bon d’inclure dans la formation initiale et continue, plus d’étude des droits de la propriété intellectuelle. Cette notion devrait être abordée dès l’école primaire, pour la développer ensuite, car la première question posée par les visiteurs du musée de la Contrefaçon à Paris est : « Pourquoi y a-t-il autant de contrefaçon ? ». Parce que c’est très lucratif et très peu risqué : un contrefacteur gagne plus d’argent qu’avec le trafic de drogue, et c’est infiniment moins puni. Les peines doivent devenir véritablement dissuasives ! Pour ce faire, le législateur doit lui-même être inventif et courageux.
 

Arrêt Nokia/Philips : une ineptie

En ce moment, un dossier occupe tout particulièrement l’Unifab, qui concerne la révision du règlement sur la marque communautaire. Un des enjeux clés de ce texte est le rétablissement de la capacité pour les douanes européennes de contrôler les marchandises en transit sur le sol européen. Depuis décembre 2011, et l’arrêt Nokia/Philips rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, les douanes en Europe n’arrêtent plus les marchandises de contrefaçon en transit. Alors, même qu’ils auraient la possibilité de retirer du circuit ces contrefaçons, interdites, et potentiellement dangereuses ! C’est pour tous, entreprises comme consommateurs, une catastrophe et une ineptie. Un tel choix a pour conséquence de faire de l’Europe une terre complaisante de transit de produits, attractive pour les réseaux criminels. La révision de ce règlement est l’occasion pour l’Europe de montrer sa volonté de défendre les entreprises implantées sur son sol et d’indiquer son choix de protéger les consommateurs, sur son territoire comme en dehors. Ce choix sociétal est une évidence, mais pas pour tous… Promouvoir la propriété intellectuelle est une des clés pour relancer l’économie, car la création, individuelle ou collective, et l’innovation sont l’avenir de notre société. Ne passons pas à côté.
 

Notes

(1) « Secteurs à forte intensité de droits de propriété intellectuelle : contribution aux résultats économiques et à l’emploi dans l’UE »
(2) Cf Revue des marques n° 81
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privée du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause est illicite. Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle
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