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Revue des marques : numéro 84 - octobre 2013
 

Royco ou la revitalisation d'une marque vieillissante

 Tout commence, toujours, par une innovation, un nouveau message déviant, marginal, modeste, souvent invisible aux contemporains "
Edgar Morin, " Éloge de la métamorphose ", article paru dans Le Monde du 9 janvier 2010

Fabrice Renaudeau*


Royco ca sent bon le poulet
Comment relancer une marque de taille moyenne, en déclin depuis six ans, sur une catégorie vieillissante avec des moyens limités ?
Voilà le défi de la marque Royco en 2010. Trois ans plus tard, la dynamique a été inversée et Royco entame sa troisième saison de croissance en élargissant sa clientèle. L'éloge de la métamorphose dressé par Edgar Morin reflète la démarche qui a guidé la réinvention du modèle marketing de Royco.
Cette approche a combiné à la fois la remise en cause radicale d'un modèle mass marketing classique (cf. p 24), et en même temps l'invention d'une nouvelle offre et d'une nouvelle activation de marque. Tout cela à partir d'éléments latents du coeur de la marque, qui étaient jusqu'alors sous-exploités.
Cette expérience n'a pas la prétention d'être érigée en modèle, mais elle peut nourrir le débat sur la nécessaire évolution du marketing de grande consommation.
 

Le problème

Royco potage de roi
Lancé dans les années 1960, le potage instantané Royco est une marque typique des Trente Glorieuses : elle s'est construite autour d'une promesse fonctionnelle de praticité – la rapidité de préparation communiquée par son slogan historique " Royco Minute Soupe " –, avec une approche qui, à l'époque, représentait la modernité, au sein d'un marché de la soupe préparée en plein développement.
Propriété d'Unilever, la marque a été rachetée par le groupe Campbell's au début des années 2000. Jusqu'en 2010, la stratégie de Royco reflète un marketing traditionnel : un positionnement de " petite soupe pratique du soir ", une présence publicitaire pendant chaque hiver en télévision, et trois ou quatre nouvelles recettes lancées annuellement. Cette marque niche (moins de 30 millions d'euros de ventes en HM et SM) est devenue le leader incontesté du potage instantané, avec une part de marché de 75 %, mais moins de 20 % de pénétration nationale. Cependant, elle n'a cessé de décliner entre 2005 et 2010 : en six ans, les volumes de Royco ont reculé de 35 % et la clientèle de la marque s'est réduite de 28 %, en se concentrant sur des utilisateurs de plus en plus âgés et de plus en plus fidèles. Il y a trois ans, la dégradation des résultats financiers de Royco commence à mettre en question la survie même de la marque en France. Faute d'attirer de nouveaux consommateurs plus jeunes, la franchise Royco meurt peu à peu… avec sa clientèle. Les études consommateurs mettent alors en évidence que les freins pour recruter de nouveaux utilisateurs à la marque (et au potage instantané au global) sont de trois ordres : • La faible émergence mentale et physique de la marque : " je ne pense jamais à Royco ", " je ne tombe jamais sur cette marque ".
• La pertinence limitée pour les consommateurs d'aujourd'hui : " je n'ai pas besoin de Royco ; c'est vieillot et qu'est-ce que j'en ferais ? ".
• La barrière du goût : " je ne crois pas qu'un produit comme ça puisse être bon ".
 

La réponse

En six mois, l'équipe Royco a dû bâtir le plan de la dernière chance, pour inverser la spirale négative dans laquelle la marque était tombée. Le défi était de revitaliser durablement la marque en rajeunissant la clientèle grâce à une nouvelle proposition et une nouvelle activation. La gravité de la situation et l'ampleur de la tâche avaient au moins le mérite de montrer la direction : sans une transformation radicale du modèle, la marque était appelée à disparaître du marché hexagonal. La reconstruction de Royco s'est ainsi opérée en répondant à quatre questions-clés et en alliant stratégie et opérationnel, innovation et activation, positionnement et déploiement :
1. Quel rôle la marque peut-elle jouer dans la vie des consommateurs de demain ?
2. Quelle expérience du produit construire pour répondre aux nouvelles attentes ciblées ?
3. Comment se reconnecter au consommateur pour recruter de manière " impactante " et pérenne ?
4. Quelle approche d'investissement et de relancement déployer pour la marque ?

Repositionner la marque sur un usage différent, pour lui donner une nouvelle légitimité
Jusqu'alors consommée majoritairement par les plus de cinquante ans, la marque est utilisée comme une " petite soupe du soir " par un noyau d'habitués ; cependant, elle n'offre aucun avantage spécifique par rapport aux autres soupes, déshydratées ou liquides, sur cet usage. Une compréhension fine des besoins des consommateurs et une série d'explorations avec des non-utilisateurs remet au centre de la proposition la fonction originelle de Royco, c'est-à-dire la praticité, comme une réponse au besoin croissant de " snacking ". Sans être ouvertement exploitée jusqu'à présent, cette plateforme est crédible et permet de redonner une réelle valeur ajoutée à la marque par rapport aux clients potentiels plus jeunes. La nouvelle mission de Royco est ainsi " d'offrir une option soupe pour les pauses à la maison ou au bureau des femmes actives ".

Royco delice legumes
Exploiter les atouts de la technologie instantanée, pour offrir une nouvelle expérience du produit
Pour conquérir de nouveaux utilisateurs plus jeunes, l'expérience du produit doit également évoluer en cohérence avec la nouvelle mission de marque. Là aussi, la réponse reflète la combinaison de facteurs externes de demande et d'éléments internes, liés à la technologie de la soupe instantanée. Une simple observation des produits de " snacking " montre l'importance d'une expérience multi-sensorielle : saveurs inattendues, mélanges de textures ou encore intensité du goût sont l'apanage de nombreux encas. Transposé à l'univers de la soupe, cet enseignement donne naissance à une nouvelle gamme Royco " extra craquante ", alliant une base de légumes à des croûtons. Cette combinaison, innovante sur la catégorie, s'inscrit dans l'univers rassurant de la soupe (la base de légumes), tout en y ajoutant une touche plus " snacking " (la texture croustillante des croûtons).
 
Royco leaflet contenant un échantillon
Repenser l'activation de la marque, en allant vers le consommateur pour générer l'essai
En 2011, l'alternative est, soit de partir à la quête d'une nouvelle campagne publicitaire " révolutionnaire ", soit de changer totalement de perspective sur l'activation de la marque. Ce sont les réactions positives aux nouveaux produits
de la gamme Extra Craquante qui montrent la voie à suivre. Les réactions des consommateurs – " finalement, c'est bien meilleur que ce que je croyais " – nous amènent à trois changements radicaux dans l'activation de la marque :
• Inverser la relation en allant vers le consommateur (et non pas en lui demandant de venir à Royco).
• Allouer 80 % de nos ressources vers le recrutement de nouveaux clients (alors que les fidèles assurent toujours 80 % des volumes).
• Faire goûter et convaincre par l'expérience du produit (plutôt que de chercher à bâtir une attitude positive en amont).
C'est ainsi que, depuis 2011, l'essentiel de l'activité de la marque se déroule dans la rue, au travers de deux vagues annuelles de marketing opérationnel, permettant d'échantillonner gratuitement environ 2 millions de femmes urbaines actives, à la sortie des stations de métro et des gares. Ce simple leaflet distribué avec les journaux gratuits comprenant un sachet et un coupon d'essai est devenu l'arme de la reconquête de Royco. Et pour compléter le dispositif, des activités digitales sur les réseaux sociaux autour du thème de la pause, l'exploitation d'une communauté de prescripteurs (le " Word Of Mouth ") ou encore l'arrivée de Royco dans les distributeurs automatiques sur les lieux de travail.
 
Royco ma minute craquante
Construire la reconquête pas à pas, en privilégiant une approche régionale
Reste à orchestrer la mise en oeuvre de ce plan de street marketing. Les contraintes opérationnelles (la distribution massive et efficace d'échantillons n'est réalisable que dans des zones à fort trafic) et les enjeux financiers (la masse critique de la marque ne justifie pas un tel niveau d'investissement) éliminent l'option d'un " big bang national ". C'est donc par une approche progressive de métropoles que la reconquête s'opère. En se concentrant sur Paris en 2011, puis sur Paris et Lille en 2012, la marque cherche à créer un effet " caisse de résonnance " pour concentrer les moyens en un temps limité sur une zone géographique définie, afin de maximiser la visibilité et la probabilité pour un consommateur d'entrer en contact avec elle.
 

Les résultats

Royco echantillon dans la rue
Dès la première saison, le nouveau positionnement et la nouvelle activation de Royco portent leurs fruits et cette dynamique s'est poursuivie, comme l'illustrent les performances entre 2011 et 2013 :
• Les ventes valeurs de Royco en HM et SM augmentent de plus de 10 %, alors que dans le même temps, le marché total des soupes préparées ne croît que de 2 %.
• Royco gagne presque cinq points de part de marché sur le segment instantané, qui, lui-même, est reparti à la hausse avec 3 % en valeur.
• La consommation de Royco se développe grâce à un élargissement de la clientèle, augmente de 9 % sur deux ans, notamment chez les moins de 45 ans.

Cette dynamique reflète également un assainissement du capital de marque depuis 2010 :
• La notoriété spontanée de Royco a augmenté, malgré l'arrêt de toute communication publicitaire.
• Le pourcentage de consommateurs prêts à considérer la marque (c'est-à-dire ceux qui intègrent Royco dans leur répertoire) a lui aussi crû sur la période.
L'expérience Royco montre qu'il existe de nombreuses pistes pour faire évoluer le modèle classique de mass marketing et ainsi renforcer son impact, même pour les marques de taille moyenne et à ressources limitées, sur des marchés matures. La revitalisation de Royco a été rendue possible par la mise en oeuvre de quatre principes :
• Penser développement de catégorie et nouveaux usages pour conquérir de nouveaux clients (plutôt que part de marché, usages existants et fidélisation).
• Repartir du produit au coeur de la marque pour délivrer une différence réelle et perceptible (plutôt que la construction de valeur ajoutée émotionnelle ou le lancement d'extensions sur de nouvelles catégories).
• Aller à la rencontre du consommateur pour lui remettre la marque en mains (plutôt que de multiplier les incantations publicitaires ou la focalisation sur l'attitude envers la marque).
• Choisir ses batailles en se concentrant par zone et par période (plutôt que de créer un big bang national).
Ces quatre directions se sont avérées efficaces pour Royco, mais n'ont pas prétention à devenir des modèles universels ; chaque marque a ses propres défis et certaines pistes évoquées ici sont peut être contre-productives dans d'autres situations. À chacun, donc, de trouver sa propre voie pour redonner au mass marketing originel sa puissance, sa pertinence, son efficacité et finalement son agilité. Sans renier en bloc ses apports, mais avec audace et lucidité, pour en mener à bien la métamorphose !
 

Notes

* Directeur marketing, Campbell France
(1)
(2)
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