Le mass marketing traditionnel nous dit : " fidéliser les gros acheteurs est la priorité : c'est plus facile et moins coûteux que d'en recruter de nouveaux ". Nombre de marchés de grande consommation sont devenus des catégories de répertoire : chaque marque y partage les mêmes consommateurs, sans qu'aucune ne dispose d'un noyau dominant de clients fidèles ou exclusifs. Les analyses statistiques plus poussées montrent que c'est la taille de clientèle qui y explique les différences de parts de marché, pas la fidélité à la marque. Pour accroître la part de marché, la priorité est donc de recruter continuellement de nouveaux utilisateurs, comme l'a démontré Ehrenberg en 1990. Quant à la fameuse loi de Pareto (au moins 80 % des ventes viendraient de 20 % des acheteurs), qui était une clé de voûte du principe de fidélisation, les mesures effectuées sur de nombreuses catégories ont montré que les clients les plus fidèles pèsent souvent au maximum 50 à 60 % des ventes d'une marque. La maturité des marchés semblerait donc aller à l'encontre d'un premier principe du mass marketing traditionnel, qui prône un ciblage toujours plus pointu et une focalisation sur la fidélisation.
Le mass marketing traditionnel nous dit : " l'objectif prioritaire d'une marque est de gagner de la part de marché ". Face à une offre pléthorique et à des différences difficilement perceptibles, remporter une bataille frontale face à son concurrent direct devient ardu, coûteux et incertain. Pour les marques déjà solidement implantées sur leur marché, assurer une croissance pérenne implique de développer la catégorie à long terme. C'est cette logique d'élargissement de la demande que Kim et Mauborgne ont décrite dans Blue Ocean Strategy, visant à pénétrer progressivement des cercles plus larges de non-acheteurs. En changeant de perspective, la marque réussit à déplacer son champ concurrentiel sur un nouvel espace non disputé par ses concurrents actuels. Dans l'alimentaire, la bataille se déplace par exemple de la part de marché sur une catégorie donnée à celle de la part d'estomac dans un univers élargi. C'est ainsi qu'en trente ans, le demi de bière et le sandwich jambon-beurre pris au café ont été en partie supplantés par la quiche et le Coca-Cola Light achetés à la boulangerie. Ces approches catégorielles rejoignent d'ailleurs les intérêts des distributeurs, qui préfèrent la croissance totale d'un marché au jeu à somme nulle de la bataille de parts de marché.
Le mass marketing traditionnel nous dit : " sur un marché mature, il faut chercher à étendre sa marque sur d'autres catégories pour retrouver la croissance ". L'expansion des marques au-delà de leur marché d'origine suscite toujours envie, intérêt et curiosité, comme nouveau relai de croissance. Aux diversifications réussies comme Bonne Maman, répondent cependant de nombreuses focalisations réussies sur le coeur de métier, comme Lego. Même si elle est moins " glamour ", la recherche du plein potentiel sur le coeur de métier permet une croissance généralement plus rentable, souvent moins risquée et enfin moins dévoreuse de capital. Fervent partisan de cette approche, le consultant de Bain & Company, Chris Zook, a ainsi montré que les champions de la croissance pérenne et rentable étaient majoritairement concentrés sur une activité, avec souvent une position de leader à la clé. C'est par la bonne exploitation de ses compétences et de son savoir-faire que l'entreprise génère la croissance la plus rentable et la moins risquée, recherchée aujourd'hui par les actionnaires sur les marchés développés. Ensuite, et seulement pour les marques bénéficiant déjà d'une position solide sur leur marché d'origine comme Milka, la diversification passe par une approche réfléchie, pas à pas, vers des catégories adjacentes sélectionnées avec soin. D'ailleurs, plus une marque croît solidement sur son coeur, plus elle est apte à se diversifier efficacement, comme l'illustre Dove, bâtie à partir du savon puis étendue dans l'ensemble de l'hygiène-beauté.
Echafaudé lors de phases de croissance prospère sur les bases de théories microéconomiques néoclassiques datant d'au moins soixante ans, le mass marketing doit aujourd'hui évoluer pour apporter aux marques de grande consommation de nouveaux leviers de croissance sur les marchés matures, grâce à une plus grande agilité. Loin d'être un cri alarmiste ou une lamentation sur la fin du mass marketing traditionnel, c'est donc un appel à l'audace des propriétaires et gestionnaires de marques pour démarrer cette métamorphose !
Ilec, 36, rue Brunel - 75017 PARIS - © Copyright 2010-2024