Xavier Terlet : Non, l'innovation est plus que jamais vitale pour les marques.
Elle conditionne leur survie, d'autant que le rythme des référencements s'est accéléré. Un nouveau produit n'a plus que trois à quatre mois pour faire ses preuves. Aujourd'hui, environ la moitié de l'offre en rayons n'existait pas il y a cinq ans, ce qui signifie que 50 % du chiffre d'affaires qui sera réalisé dans cinq ans est encore à imaginer. Ce n'était pas le cas il y dix ou vingt ans et ce phénomène fait bien de l'innovation une question cruciale à court terme. D'autant que les consommateurs ont des exigences accrues : ils sont informés plus vite et se lassent plus vite ; ils sont plus facilement tentés et sont prêts à changer de produits plus facilement.
Pour ne prendre qu'un exemple, qui aurait pu imaginer il y a cinq ans qu'il allait falloir se passer de l'huile de palme dans de nombreuses productions ?
Xavier Terlet : Nous chiffrons le taux d'échec sur la base d'une méthode simple : 1 000 produits pris au hasard sur trois ans. Ce taux est en légère progression, à près de 60 %, contre 50 % précédemment. Cependant, il convient de préciser que parmi ces échecs, il y a certes de véritables déceptions, mais également nombre de produits dont les ambitions n'étaient pas forcément de dépasser les deux ans d'existence. Aujourd'hui, l'innovation fonctionne davantage à la japonaise : en lançant un produit, on connaît déjà le suivant. L'inconvénient est que cela limite un peu la capacité d'innovation en raccourcissant le temps de retour sur investissement.
Et favorise les développements les plus simples en termes de production industrielle. D'où le succès des aromatisations diverses par exemple, qui ne nécessitent pas d'investissement lourd.
Xavier Terlet : Une fois pour toutes, le consommateur n'attend pas des ruptures. Ce qu'il demande, ce sont des bénéfices adaptés à ses nouveaux besoins, des promesses nouvelles que, lui, juge importantes et qui justifieront une différence de prix. Il est important d'observer que nous sommes passés du rapport qualité-prix, qui favorisait le milieu de gamme, au rapport bénéfice-prix. Ce dernier pousse le consommateur à arbitrer différemment dans ses choix : sur certains produits, il ne veut pas s'investir particulièrement – c'est le fameux « il faudrait être fou pour dépenser plus » – tandis que sur d'autres, il est prêt à se faire plaisir. Cet arbitrage bénéficie à l'offre d'entrée de gamme en même temps qu'à une offre à valeur ajoutée importante, répondant à ces besoins nouveaux.
Xavier Terlet : Oui, je le répète sans cesse, il est possible d'innover en discount. Dans ce domaine, les réponses sont souvent inadaptées. Aujourd'hui, tout le monde consomme ce type de produits, quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle. Or ces produits sont encore trop souvent des « produits pour pauvres ». Il y a pourtant de nombreuses manières d'innover en la matière : par un design astucieux, en jouant sur les formats (les petites faims par exemple) ou sur le « à faire soi-même »…
Xavier Terlet : La praticité reste à inventer dans de nombreux cas, comme le montrent des systèmes d'ouverture facile qui ne le sont pas. Et le plaisir reprend ses droits. Après les crises alimentaires des années 1990, démarrant avec l'ESB, nous avions connu des années de retour à la tradition : on se rassurait sur le passé jusqu'à la caricature. Depuis le début des années 2000, la recherche aidant, la modernité n'est plus perçue comme antinomique de la qualité. Mais, après les ayatollahs de la tradition, de nouveaux ayatollahs ont fait irruption, en blouse blanche cette fois, voulant faire croire qu'on pourrait se soigner avec des produits alimentaires.
Aujourd'hui, nous le savons : tous les produits où la santé prime le plaisir sont des échecs. Certes, cette composante peut intervenir, mais elle doit rester un bénéfice secondaire.
Xavier Terlet : Oui, beaucoup d'innovations n'utilisent pas assez les ressources technologiques. Il est vrai que le bref retour sur investissement que nous avons déjà évoqué encourage les entreprises à faire avec ce qu'elles ont. Elles se montrent toutefois trop timorées alors que de nouvelles voies sont ouvertes par la cuisine moléculaire, par exemple, et plus généralement dans notre connaissance du vivant. Pourtant, l'observation des autres marchés – le fameux benchmark – devrait les encourager à aller un peu au-delà de leurs procédés classiques.
Xavier Terlet : Il y a vingt ans, l'innovation était dominée par quatre pays : les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et la France. Aujourd'hui, nous pouvons y ajouter de nombreux autres pays comme la Turquie, le Mexique, le Canada, voire même les Émirats Arabes Unis. Ces derniers, qui veulent devenir leader sur le marché mondial des dattes, ont développé des innovations tout à fait intéressantes. Toutefois, la France conserve une longueur d'avance sur la gastronomie, ainsi que sa richesse en matière de variété. Son talent réside notamment dans un tissu de PME qui recèlent une créativité extraordinaire. Leur faiblesse dans l'innovation provient souvent de leur capacité insuffisante à mettre en marché leurs produits de manière efficace. Le marketing n'est pas réservé aux seuls grands groupes. Même si ces derniers se montrent parfois également trop timides, ils restent capables de réelles fulgurances en matière d'innovation.
Celles-ci ne sont pas toujours couronnées de succès, mais quand elles réussissent, elles le doivent également au fait que ces groupes ont su se projeter un peu plus sur le moyen terme.
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