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Revue des marques : numéro 81 - janvier 2013
 

La crise ? Même pas peur

Gérer une crise, c'est, pour la marque, faire un choix entre ce qu'elle doit préserver et ce qu'elle peut sacrifier. Avec, toujours en ligne de mire, de ne jamais perdre la confiance des consommateurs. Illustration par quelques cas d'écoles célèbres.

Marc Eskenazi


Marc Eskenazi
Marc Eskenazi
Directeur exécutif
sBurson Marsteller i&e
Vers la fin août 2003, nous sommes appelés par un homme aux abois.
C'est le directeur de l'usine Flodor près de Peronne (Somme), traqué par les autorités et les journalistes pour avoir ordonné le démontage, en catimini, des chaînes de fabrication de l'usine pour les transporter en Italie. Comme il avait besoin que l'usine soit vide, il avait imposé des RTT à tous les salariés.
Intrigué par tant de générosité, le responsable cégétiste a flairé le mauvais coup et donné l'alerte(1). L'affaire embrase la planète médiatique, c'est le sujet de la rentrée. Le mot Flodor est prononcé et écrit sur tous les supports, accolé à l'oxymore "patron voyou".
Quant à ce client, nous n'avons à peine eu le temps de lui expliquer dans quelle situation il se trouvait que les gendarmes l'emmenaient en garde à vue. Six semaines plus tard, il entre à nouveau en contact avec nous pour échanger sur les options qui s'offrent à lui. "En plus, ajoute-t-il enfin, j'ai aussi d'énormes problèmes d'approvisionnement – Comment ça ? – Nous sommes en rupture partout, tous les linéaires sont vides et nous ne pouvons pas livrer ! Je n'ai jamais autant vendu de Flodor" soupire-t-il.
 

L'exposition de la marque

Quelle mouche a donc piqué les consommateurs ?
Sont-ils affolés à l'idée que cette marque pourrait disparaître ? "Alors vite, j'en achète avant qu'il n'y en ait plus". Mais si l'on peut comprendre cet effet "je ne veux pas en manquer même si je n'en ai pas besoin" sur le sucre, l'huile ou l'essence, on imagine mal Flodor posséder les attributs des produits de première nécessité. Non, l'explication renvoie tout simplement à la théorie de base qui assure que plus on expose un consommateur à une marque et plus son geste naturel et inconscient le conduit vers celle-ci. Une sorte de paradoxe à la française, quand l'indignation se traduit par un épuisement des rayons ! Flodor n'est pas le seul exemple qui traduit une décorrélation entre crise et business. Nous continuons d'aller chez Total, même si, en 1999, on aurait préféré qu'ils adoptent une attitude différente lors du naufrage de l'Erika ; la crise de gouvernance chez Renault (janvier 2011) n'a pas fait vendre une Clio de moins ; les croisiéristes se pressent toujours aussi nombreux chez Costa. Les crises augmentent évidemment la notoriété, elles permettent parfois à des marques obscures d'interde s'imposer à une vitesse sans précédent : les montres Festina ne passent-elles pas de l'ombre à la lumière le temps d'un scandale estival lors du Tour de France 1998 ?

Imperméables, les marques ?

Pas toujours. La défiance s'installe très vite en cas de menace pour la santé et la sécurité. Quand le produit est défaillant, la marque trinque et boit la tasse. Les années 1990 ont sensibilisé les Français à l'exigence de qualité. Preuve en est : leur réactivité à déporter leurs achats au gré du 20 h. Cette décennie est émaillée de grandes crises agro-alimentaires et sanitaires inscrites dans la mémoire collective : de la crise Perrier, en 1990, à la crise Coca-Cola en 2000, on traverse le sang contaminé (1991), les aérosols (1991), la vache folle (1996), le poulet à la dioxine (1999). Dans la plupart de ces crises, ce sont des systèmes de contrôle qui sont défaillants et qui laissent passer, entre les mailles, des comportements condamnables. L'affaire du sang contaminé s'explique par l'âpreté de la course aux brevets scientifiques, davantage que par la nécessité économique d'écouler des stocks de produits sanguins. Résultat : écroulement de la maison et construction sur ses ruines de l'Etablissement Français du Sang (EFS). La vache folle s'explique par le comportement de certains fabricants de nourriture pour le bétail (jamais impliqués à notre connaissance) qui remplacent avantageusement l'apport en protéine fourni par le soja par des farines animales, produit de l'équarrissage des carcasses. A y bien réfléchir, on frise le cannibalisme en imposant aux bovins (herbivores) de manger… des poudres d'eux-mêmes. Brrr ! Pas étonnant qu'ils en tombent malades.

Et les marques, comment réagissent-elles ?

Pour parler clair, elles sont face à une alternative : je nie ou je reconnais mon problème. Positionnement binaire qui peut se croiser avec celui de la culpabilité, ce qui donne le tableau singulier suivant : je suis coupable et je le reconnais ; je suis coupable mais je ne le reconnais pas ; je ne suis pas coupable mais je prétends l'être (rare) ; enfin, je ne suis pas coupable et je nie l'être. Il appartient, après, au consultant en communication de crise de mettre son talent de créateur d'histoire au service de la stratégie choisie. Etre ou ne pas être (coupable). En avoir, ou pas (des problèmes). Les deux auxiliaires de la langue française sont ainsi sollicités pour aider la marque à s'en sortir.
Vingt-deux ans de recul démontrent très clairement que l'avantage est dans le déni plutôt que la reconnaissance. Pour nous en convaincre, sollicitons Perrier et Coca-Cola.

Perrier ? C'est fou...

Perrier
Perrier est face, en 1990, à une contamination au benzène, sans qu'il sache dire avec précision, où, quoi, qui, quand, pourquoi ? Aussi, le rappel de toutes les bouteilles à travers le monde (160 millions ndlr) font chuter évidemment les ventes autant que la confiance.
Sauvée par Nestlé, la fameuse eau gazeuse ne retrouvera jamais sa superbe des années 1980. En 1999, Coca-Cola est accusé de commercialiser du Coca-Cola impropre à la consommation puisqu'il provoque, chez ceux qui en boivent, des troubles gastriques sévères (et heureusement passagers). L'entreprise se refuse à admettre l'anomalie et campe sur une position hautaine, avance des raisons farfelues (assez méprisantes pour le corps scientifique et le corps médical, pour le public aussi) tandis que les plaintes se multiplient à travers l'Europe. L'usine de Dunkerque est montrée du doigt, Marylise Lebranchu, ministre de la Consommation, exige des réponses et ne reçoit qu'un no comment.
Elle lance l'arrêté d'interdiction de vente de tous les produits Coca-Cola sur le territoire national. Les linéaires se vident, remplacés par Pepsi et Virgin Cola qui profitent de l'aubaine. Stupeur à Atlanta : nous sommes interdits de vente en France ! Du jamais vu ! Les médias se déchaînent sur cette gestion de crise calamiteuse ; les experts se poussent pour commenter, sur les plateaux, l'enchaînement des erreurs de communication, d'autant plus savoureuses qu'elles émanent de la plus prestigieuse entreprise au monde, des meilleurs spécialistes en marketing et en communication. Quelle bonne blague ! Et pourtant. Voilà deux situations similaires (une marque fameuse, la contamination du produit) traitées de façon opposée. L'une va subir une descente aux enfers, tandis que l'autre est déjà effacée de la mémoire collective (lecteurs : vous souveniez-vous de cet épisode ?).
Au fort coup de houle a succédé une mer plate et un navire qui reprend sa route sans même regarder vers l'arrière. La crise Coca-Cola ? Oubliée. Pourquoi, et comment ? Parce que Coca-Cola, volontairement ou non, s'est souvenue qu'en temps de crise, les marques doivent se poser cette question clé : qu'est-ce qui est le plus important pour moi ? Qu'est-ce que je dois absolument protéger ? Ma réputation ? mon image ? mon chiffre d'affaires ? mon produit ? mes actionnaires ? mes clients ? Gérer une crise, c'est choisir ce que je veux préserver et donc, par voie de conséquence, ce que je peux sacrifier. N'ayant pas conseillé Coca-Cola à l'époque, je m'autorise donc avec une grande liberté la réécriture de cette histoire en posant comme point de départ que Coca-Cola est dirigé par des gens très compétents. Qu'ainsi, le risque qu'ils prennent à ne pas fournir les réponses et les initiatives qu'on exige d'eux – et particulièrement organiser le retrait des rayons – doit les conduire à envisager une possible interdiction de vente. Ils décident alors de prendre ce risque, car l'alternative est de reconnaître un défaut du produit, ce à quoi ils se refusent absolument. Qu'est-ce qui est le plus important pour moi ? mon produit ; qu'est-ce que je peux sacrifier ? tout le reste ! Pourquoi choisir cette stratégie qui paraît bien délétère ? Parce que mon postulat, qui ne souffre aucune exception, est que mon produit n'a pas de problème. Il n'en a jamais eu, et il n'en aura jamais. Mon produit est le résultat d'une formule magique qui l'a rendu parfait. Point final. Pour le reste, allez-y ! Moquez-vous, accablez-moi, dites et faites ce que vous voulez, interdisez-moi de vente si vous l'osez. Je m'en sortirai car ma marque est plus forte que vous : elle supporte un produit parfait par définition.
D'autres exemples sur le déni ? Renault refuse d'admettre que le régulateur de vitesse de la Vel Satis a un problème et accuse d'affabulateur l'automobiliste qui a (aurait ?) frisé la mort (octobre 2004). Apple ne reconnait pas que les batteries de certains Ipod puissent s'enflammer avant d'en rappeler, quand même, plusieurs (novembre 2011). Que des menteurs, ces clients !
 

Engrenage médiatique

Perrier
La pire des situations, pour une marque, est de n'avoir rien fait et d'être accusée. Ce qui est arrivé à Josacine est le terrible exemple d'un infernal engrenage médiatique. Livrée en pâture par un procureur de la République un peu trop hâtif, la marque doit subir durant une semaine (juin 1994) les foudres d'une opinion publique et d'un corps médical désemparés, avant que l'on comprenne que du cyanure a été versé dans le flacon après sa commercialisation et non avant(2). Mais c'est trop tard. La marque est carbonisée et bien des mois et des années plus tard, combien de mamans disent encore au pédiatre : "non docteur, pas de Josacine, on ne sait jamais". Et combien de pédiatres, combien de pharmaciens hélas, acceptent de donner autre chose. Le problème des marques est qu'elles sont tétanisées. Tout les effraie ; tout est risque, danger, piège. Face à un monde complexe, multipolaire, ouvert comme jamais, la menace est partout. Elles, qui aimaient tant s'exposer, parader, se montrer avec fierté, réclament maintenant que l'on baisse la lumière. Elles réduisent leur exposition de peur d'être une cible trop facile pour leurs détracteurs. Il est vrai que bien des histoires ont de quoi rebuter les plus aguerris : Greenpeace épingle Kit-Kat(3) ou Barbie(4), les internautes enragent contre Monoprix lors de l'affaire Kader(5) (juillet 2011). Il n'y a pas de stratégie de crise type. Chaque situation mérite une analyse des enjeux. Enjeu : ce que l'on peut gagner ou que l'on peut perdre. Chaque stratégie est donc porteuse d'une part de risque. La difficulté de la crise est l'urgence à prendre une décision, à choisir sa stratégie. Il faut, pour cela, des organisations aguerries, préparées, courageuses. Ne croyez pas les ouvrages qui vous livrent des recettes toutes faites. Au pied du mur, face à l'adversité, la marque qui s'en sort sera celle qui n'aura peur de rien, et surtout pas d'elle-même.
Sans jamais trahir la confiance des consommateurs.
 
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