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Revue des marques : numéro 78 - avril 2012
 

L'idéal : une source de croissance intarissable pour les marques

Au-cela de sa capacité à innover, la marque a besoin d'un idéal fort incarné par un "artiste de la marque" qui le diffuse dans l'entreprise.

par Benoît Tranzer


Benoit Tranzer
Benoît Tranzer
Directeur Millward Brown
Depuis plusieurs décennies, Millward Brown s'attache au travers de ses études, à comprendre les raisons de succès des marques mondiales. Le classement financier annuel BrandZ TM Top 100 1 en est l'une des illustrations connues et partagées avec tous. Mais au-delà de ces travaux spécifiques, le cabinet d'études mène sur tous les types de marchés, des plus matures aux plus émergents, des investigations approfondies sur le capital des marques. Fort de cette connaissance, il apparait clairement que les marques qui réussissent aujourd'hui ont en commun des caractéristiques qui dépassent largement les dimensions très rationnelles, voire émotionnelles sur lesquelles la majorité des experts s'accordent. Ce qui fait la force unique de ces marques tient de l'ideal qu'elles poursuivent. C'est également le fruit de travaux passionnants qui viennent d'être publiés par Jim Stengel dans son ouvrage Grow. Directeur Marketing Global chez Procter & Gamble de 2001 à 2008, il a revitalisé plusieurs marques emblématiques ou zones géographiques du groupe. Ces dernières années, il a consacré l'essentiel de son énergie à identifier et conceptualiser le secret de la croissance des marques, s'appuyant sur son expérience unique, une équipe d'universitaires et plus particulièrement certains experts de Millward Brown. Son analyse rigoureuse le mène à une conclusion somme toute assez simple, comme toutes les grandes théories : les marques qui ont un ideal sont celles qui ont le plus fort taux de croissance sur les marchés, quel que soit le secteur.
 

"The Stengel 50"

Grow
Pour définir son cadre d'analyse, Jim Stengel part d'une question simple : quelles sont les marques qui ont le plus renforcé l'engagement avec leurs consommateurs et leur valeur financière au cours des dix dernières années ? En partant des 50 000 marques de la base de globale BrandZ (2), il sélectionne celles qui génèrent les plus forts taux d'attachement et d'accroissement des profits relativement aux autres marques de leur catégorie. Il résulte de cette démarche un classement des cinquante marques les plus dynamiques du monde. Si cette liste est très diverse en termes de catégories, d'ancienneté de marques ou encore d'origine géographique, il est notable que la plupart d'entre-elles ont un positionnement prix premium, ce qui est une autre indication de la force de la relation qu'elles ont su bâtir avec leurs consommateurs. L'étude des "communalités" entre ces marques révèle le secret de leur croissance, au delà de leur capacité à innover ou s'approprier l'univers du digital : un idéal fort, inspiré et incarné par un "artiste de la marque", qui va le diffuser au sein de l'entreprise, le communiquer et le concrétiser dans l'expérience des consommateurs. Qu'entendons-nous par idéal ? L'idéal de marque est la raison d'être essentielle d'un business, une vision partagée qui repose sur la volonté d'améliorer la vie des individus, de contribuer positivement à la société. Mais attention, l'idéal de marque n'est pas nécessairement lié à l'altruisme ou la responsabilité sociale de l'entreprise. L'idéal permet de faire le lien entre ce qui motive les entreprises et les consommateurs, en satisfaisant les valeurs fondamentales qu'ils poursuivent. Ainsi, la raison d'être de Pampers n'est pas de vendre le plus grand nombre de couches dans le monde, mais la marque existe pour aider les mères à accompagner leurs bébés dans les différents stades de leur développement, pour qu'ils soient toujours sains et heureux. Google existe pour satisfaire la curiosité immédiate ; IBM veut aider à construire une planète plus intelligente ; Möet & Chandon s'attache à transformer des occasions en célébrations ; l'idéal de Natura, une société brésilienne de cosmétique, se définit autour du bien-être, c'est-à-dire une relation harmonieuse avec soi même, les autres et la nature (…). Au final, Jim Stengel observe que l'idéal de marque consiste à améliorer la vie des gens dans l'un des cinq champs des valeurs humaines fondamentales : susciter la joie, établir la connexion, inspirer l'exploration, évoquer la fierté et impacter la société. Une étude spécifique utilisant des techniques de neurosciences lui a d'ailleurs permis de valider le lien fort entre les marques du Stengel 50 et leurs associations implicites à l'un de ces cinq grands registres d'idéaux (voir tableau 1). Ces derniers ne sont pas exclusifs et peuvent parfois co-exister pour une même marque. Ainsi Mercedes permet de susciter la joie du consommateur, mais aussi de combler son besoin de fierté au travers de ses motorisations puissantes et de son raffinement. De la même manière, Lindt va susciter de la joie et impacter positivement la société en utilisant du cacao issu de l'agriculture biologique. Mais la croissance d'une marque est toujours liée à son association plus privilégiée à l'un de ces champs, ancrée au plus profond de l'inconscient des consommateurs.
 
The Stengel 50
Les Marques "The Stengel 50" affectées dans les 5 grands champs de valeurs humaines fondamentales

La très bonne représentation des marques françaises, source d'inspiration du "Made in France" ?

La présence de six marques françaises dans ce classement (soit plus de 10 % de représentation), n'est pas relevée par l'auteur, mais elle nous a interpellé. Il s'agit d'une très belle performance en soi, qui contredit le pessimisme ambiant sur le dynamisme des marques françaises, confirme l'unicité de notre secteur du luxe, qui semble trouver ses racines dans la satisfaction de besoins émotionnels : la joie et la fierté. Ces succès, tel qu'en témoigne par exemple le renforcement impressionnant du capital de marque de Louis Vuitton en Chine au cours des trois dernières années (voir tableau 2), peuvent par ailleurs éclairer la voie du Made in France.

Louis Vuitton en Chine
Tableau 2

Dans leur ouvrage "La Marque France" 3, les auteurs estiment que la valeur de la "Marque France" liée aux exportations n'atteint que le cinquième de celle de l'Allemagne, premier exportateur mondial. En d'autres termes, non seulement les Allemands exportent deux fois plus que nous, mais la valeur ajoutée intangible liée au "Made in Germany" est davantage incorporée aux biens vendus. D'où l'émergence d'une question centrale d'actualité : comment nos produits peuvent- ils plus fortement bénéficier du "Made in France" ? Selon les auteurs, on ne doit pas chercher à positionner les produits français sur des dimensions de qualité et de fiabilité comme l'Allemagne, car elles sont peu perçues par les étrangers. On a plutôt intérêt à capitaliser sur les saillances actuelles de l'image de la "Marque France", qui s'ancre autour de l'ergonomie, du design, de l'esthétique, du bien-être du corps ou de l'art de vivre. L'analyse de Stengel permet donc de compléter ce raisonnement. Ainsi, si la qualité est l'apanage des marques allemandes, et l'esthétique celle des marques françaises, les marques européennes les plus dynamiques (BMW, Hugo Boss, Hennessy, Hermès, Heineken et l'Occitane) se retrouvent sur la satisfaction d'une valeur humaine fondamentale : l'évocation de la fierté. Est-ce au-delà des autres champs de valeur, celui que nous devons investir et privilégier ? C'est en tout cas un territoire qui semble réussir particulièrement bien aux marques européennes.

Mettre en oeuvre l'idéal de marque au sein de l'organisation

L'idéal de marque est le plus souvent incarné par un "artiste de la marque". Ainsi, selon Bernard Arnault, "les marques stars ne peuvent découler que d'un esprit artistique et créatif". Steve Jobs était bien évidemment l'artiste de la marque Apple alors que Tim Cook en était le gérant (saura-t-il d'ailleurs faire évoluer son rôle ?). C'est l'artiste qui va permettre à la marque de découvrir ou redécouvrir son idéal. Ce fut récemment le cas pour Pizza Hut, qui, lors sa création en 1958, souhaitait tout simplement offrir un lieu permettant aux individus de se réunir et de construire des relations humaines. Au fur et à mesure que les membres et le personnel fondateurs sont sortis de l'organisation, cet idéal est peu à peu tombé dans l'oubli. En 2009, Brian Niccol, directeur marketing, l'a finalement redécouvert en interrogeant les employés sur ce qui les motivaient le plus pour se rendre au travail. La majorité des réponses faisait écho à l'idéal d'origine, resté présent de manière implicite. La marque a ainsi décidé de mettre en avant ses employés au coeur de ses communications pour la faire renaître. Pizza Hut est à nouveau en croissance à deux chiffres depuis près de deux ans.
De manière à devenir une réalité, et donc devenir un moteur durable de la croissance, l'idéal de marque doit ensuite se matérialiser au travers de quatre activités :
Construire la culture et l'organisation autour de l' idéal. L'idéal permet en effet de recruter, de former, d'interagir, d'évaluer et de promouvoir des collaborateurs à l'aune des valeurs qu'ils cherchent à atteindre.
Communiquer l'idéal aux consommateurs et aux employés d'une manière honnête et convaincante. Les communications de la marque doivent clairement exprimer ce à quoi elles aspirent et être cohérentes sur l'ensemble des points de contacts activés.
Délivrer aux consommateurs une expérience proche de l'idéal, ce qui favorise le bouche à oreille et la fidélité des consommateurs.
Evaluer les progrès et les membres de l'organisation à l'aune de cet idéal. Il s'agit de ne pas se concentrer uniquement sur les mesures financières, mais aussi de mesurer les progrès de la marque en terme d'affirmation et de concrétisation de l'idéal auprès de chacun des ses publics (consommateurs, distributeurs, fournisseurs, employés…).

L'idéal de marque leur permettra-t-il de se substituer aux institutions ?

Prolongeons cette réflexion à un niveau supérieur, sur le rôle de la marque dans la société. Pour imaginer l'avenir et le sens des marques dans la société, il peut être intéressant d'observer les grandes marques qui, dès à présent, traversent des nouvelles frontières. Ainsi Starbucks s'est récemment transformé en "pole emploi" aux Etats-Unis. Partant de l'idée simple que ses cafés étaient des lieux d'échanges et de proximité entre les consommateurs, la marque a mis en place "Jobs for USA", une opération qui propose aux clients de donner une somme minimale de cinq dollars directement reversée à un fonds qui soutient des petits entrepreneurs ou à la création de projets locaux. Cet exemple est d'autant plus pertinent que l'analyse de Jim Stengel la place dans l'idéal de "connexion entre les individus". En extrapolant cette expérience, ne pouvons-nous pas imaginer un nouveau monde, un monde où les marques prendraient une partie de l'espace réservé aujourd'hui à des institutions dont on a compris les limites d'efficacité et ainsi régler certains problèmes de notre système de santé, de retraites, d'emploi ? Dans une cinquantaine d'années (peut être moins), l'Etat pourrait ainsi abandonner certains des grands domaines traditionnels de son action, faute de résultats ; ce futur peut évidemment déranger, tant il donne aux marques un pouvoir considérable sur la vie de tous les jours. Pour autant dans des sociétés à la recherche de sens, elles pourraient revitaliser et partager des idéaux permettant une réconciliation entre les domaines politiques, économiques et sociaux.

Notes

(1) BrandZ Top 100 est le classement annuel des marques les plus puissantes au monde publié par Millward Brown pour le compte de WPP.
(2) BrandZ est une étude menée chaque année depuis 1998 par Millward Brown dans 41 pays et 200 catégories de produits. Elle mesure le capital des marques et quantifie la force de la relation entre les marques et les consommateurs.
(3) La Marque France de Vincent Bastien, Pierre-Louis Dubourdeau et Maxime Leclère, publié en 2011 aux Presses des Mines.
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