Retrouvez la vie des marques sur www.ilec.asso.fr
Accueil » Revue des Marques » Sommaire » La revue des Marques numéro 77
Top
Revue des marques : numéro 77 - janvier 2012
 

Marque de vin et AOC : concurrentes ou partenaires ?

La notion de marque demeure, pour certains, incongrue dans l'univers viti-vinicole. En se penchant sur les relations entre la marque de vin et l'AOC, l'on ne peut être que frappé par le contraste existant entre ces deux notions juridiques fort distinctes et leur cohabitation commerciale séculaire.

Philippe Rodhain


Philippe Rodhain
Philippe Rodhain
Il n'est ni fictif, ni provoquant de dire que certaines de nos appellations d'origine contrôlée (AOC) telles que Bordeaux, Bourgogne, Champagne, Côtes du Rhône, Saint-Emilion... sont les marques de vin les mieux connues des Français ! Si la notion de marque est relativement bien appréhendée dans les autres secteurs de l'agroalimentaire, c'est loin d'être le cas dans le domaine viti-vinicole. D'aucuns vont même jusqu'à penser que la notoriété de certaines AOC serait telle qu'elle occulterait, chez le consommateur, tous les autres identifiants commerciaux, au premier rang desquels figurent les marques de vin.
Le clivage entre marque et AOC réside dans la dichotomie classique opposant la liberté individuelle d'entreprendre à la gestion collective d'un patrimoine commun. Cette confusion des genres n'a pourtant rien de surprenant, tant les marques de vin et les AOC coexistent dans le commerce et bien souvent interagissent, les unes servant à identifier l'origine commerciale des vins qui en sont revêtus, les autres s'employant à garantir les vertus de l'appellation revendiquée. En se penchant sur les relations entre la marque de vin et l'AOC, l'on ne peut être que frappé par le contraste existant entre ces deux notions juridiques fort distinctes et leur cohabitation commerciale séculaire. L'antonymie juridique entre marque de vin et AOC débouche-t-elle sur un trouble de voisinage provoqué par la concurrence de ces signes distinctifs ou, au contraire, contribue-t-elle à créer une véritable synergie entre eux ?

Marque et AOC : signes distinctifs à visées distinctes Bien qu'intégrées aujourd'hui

Bien qu'intégrées aujourd'hui dans la catégorie des signes distinctifs du titre II du livre VII du Code de la propriété intellectuelle (CPI), la marque et l'AOC présentent des finalités et caractéristiques distinctes. La marque est un "signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale" (1). En liaison avec l'offre de produits viticoles, la marque a pour fonction de garantir l'origine commerciale du vin qu'elle désigne et de le distinguer de ceux proposés par les concurrents. Toutefois, en incorporant une AOC, la fonction de la marque, devenue viticole, tend à garantir l'origine d'une production agricole.
Quelle soit de nature commerciale ou viticole, la marque de vin constitue un instrument de concurrence à usage privatif. L'appellation d'origine s'entend, quant à elle, de "la dénomination d'un pays, d'une région ou d'une localité servant à désigner un produit qui en est originaire, et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains" (2). Elle est un signe d'identification de la qualité et de l'origine d'un produit. C'est un instrument de valorisation à usage collectif. Les finalités des marques et des AOC s'opposent donc, en ce qu'elles visent des intérêts respectivement privés et publics. Elles ne peuvent être juridiquement assimilées, tant elles présentent des caractéristiques propres qu'une simple comparaison met en évidence.

Tout d'abord, la marque confère à son titulaire l'exclusivité de son usage pour désigner sa production de biens ou de services et donc la possibilité d'empêcher ses concurrents de l'usurper. C'est un droit de propriété privatif. L'AOC est, en revanche, un droit de propriété à usage collectif qui peut être exercé par n'importe quel producteur pour autant que les prescriptions spécifiques à son emploi soient respectées.
Ensuite, la marque peut s'appliquer, en principe, à des produits dont les caractéristiques peuvent changer (nature, composition, lieu de production). Elle ne comporte pas de garanties juridiques de qualité. En outre, elle peut être cédée ou donnée en licence (3). A l'inverse, l'AOC est liée à un terroir et à un cahier des charges. Elle présente un caractère incessible et inaliénable. Lien indéfectible entre le droit et la terre, l'AOC ne peut être "délocalisée".

Enfin, une fois reconnue, "l'appellation d'origine ne peut jamais être considérée comme présentant un caractère générique et tomber dans le domaine public" (4), elle est perpétuelle et imprescriptible. Le non-usage de l'appellation d'origine ne fait pas perdre ce droit. La tolérance d'actes d'usurpation n'entraîne aucune restriction ni renonciation au droit des producteurs (5) et l'action en usurpation ne semble elle-même souffrir d'aucune prescription. En d'autres termes, les appellations d'origine sont "immuables". Au contraire, la marque est un droit d'occupation qui redevient librement appropriable à expiration (6). La perte du droit sur la marque peut également résulter d'un défaut d'exploitation (7) ou d'un usage déceptif ou générique (8). En outre, l'action en contrefaçon est irrecevable lorsque des actes d'usurpation ont été tolérés pendant cinq ans (9). Autrement dit, les marques sont "périssables". En bénéficiant d'une protection d'ordre public (10), les AOC occupent donc le sommet de la hiérarchie des signes distinctifs, de sorte qu'elles sont incompatibles avec les marques (11). A cet égard, la jurisprudence viticole foisonne d'illustrations de la prééminence de l'appellation d'origine sur la marque (12).

Marque et AOC : signes distinctifs à visées complémentaires

Il est fréquent que les producteurs, qui bénéficient d'une AOC, commercialisent leur vin sous leur propre marque. Dès lors, l'AOC participe à l'identification du produit et interagit avec la marque qui la complète, l'une rattachant le produit au producteur, l'autre garantissant son origine et ses caractères. Toutefois, pour être valablement enregistrée, une telle marque devra impérativement désigner un vin remplissant les conditions d'utilisation de l'appellation et inclure des éléments arbitraires lui conférant une physionomie propre la distinguant des autres vins provenant de la même appellation (13). Dans le cas contraire, la marque serait susceptible d'être taxée de nullité pour défaut de distinctivité, le signe ayant, dans cette hypothèse, un caractère descriptif du vin de l'AOC concernée (14).
La marque viticole est d'ailleurs une illustration de l'interdépendance de certaines marques de vin avec les AOC. En effet, une marque doit nécessairement désigner un vin bénéficiant d'une AOC, dès lors qu'elle incorpore un des vocables réglementés tels que "clos, château, domaine, moulin, tour, mont, côte, cru, monopole, ainsi que toute autre expression susceptible de faire croire à une appellation d'origine" (15). Par conséquent, la marque viticole est inexorablement liée à l'AOC, puisqu'elle ne peut servir à désigner d'autres vins, sans devenir l'instrument d'une tromperie. Outre son rôle visant à distinguer les vins d'une exploitation de ceux d'une autre, la marque viticole est également porteuse d'un gage de qualité. Elle vient, en quelque sorte, compléter la garantie conférée par l'AOC revendiquée.

On peut en conclure que sur le plan juridique la marque de vin et l'AOC ne sauraient se confondre tant leur statut est différent, alors que sur le plan commercial on n'hésite pas à les assimiler. Culturellement, cela s'explique par le fait que le consommateur français reste très largement attaché à la notion de terroir et de région de production. Cet attachement influe sur sa capacité à opérer une distinction entre marque de vin et AOC et l'amène à les appréhender ensemble. Commercialement, l'alliance marque/AOC s'avère fructueuse, dans la mesure où elle constitue une sorte de "co-marquage" mêlant avantageusement le "capital terroir" et le "capital marque".
Promotionnellement, le vin reste, dans l'univers des boissons, le produit où l'on investit le moins pour sa publicité. Aussi, toute communication collective en faveur de vins d'appellation est profitable aux titulaires de marques ayant droit à cette appellation. L'AOC sert indirectement à la promotion de la marque et réciproquement la marque à promouvoir l'AOC.
Dans un contexte international fortement concurrentiel, la référence géographique demeure attractive pour les vins français. Le tandem marque/AOC se révèle doublement bénéfique. D'une part, l'AOC permet à la marque de vin de se démarquer des vins de cépage étrangers. D'autre part, la marque permet encore une meilleure protection des signes distinctifs à l'international. Bien que juridiquement concurrentes, la marque de vin et l'AOC sont des partenaires commerciaux qui tirent profit de leurs forces et de leur positionnement mutuels.

Notes

(1) CPI, art. L.711-1
(2) Art. L.115-1 du Code de la consommation auquel renvoie le CPI, art. L.721-1
(3) CPI, art. L.714-1
(4) Art. L.641-2 du Code rural
(5) CA Paris, 15 déc. 1993 : PIBD 1994, n°560, III, p. 92
(6) CA Aix-en-Provence, 2e Ch., 19 mars 2009, n°07/16434
(7) CPI, art. L.714-5
(8) CPI, art. L.714-6
(9) Cass. com., 8 mars 2005, aff. Château de Pressac, PIBD 2005, n°808 III 309
(10) Cass. com, 09 nov. 1981, JCP 82 éd. G, II, n°19797
(11) CPI, art. L.711-4-d
(12) CA Paris, 22 nov. 1978, aff. Beaujolais Vignerons : Ann. 1979, p. 186 ; Cass. crim., 25 nov.
1970, aff. Vieux Cahors : JCP G 1973, II, 17630 ; Cass. com., 3 mai 1983, aff. Ritzlinger, Bull. civ.
1983, IV, n° 130 ; Cass. com., 1er déc. 1987, aff. Romanée-Conti : JCP G 1988, II, 21081
(13) Cass. com. 8 mai 1973, PIBD, 1974.III.44
(14) CA Paris, 28 nov. 1985, D. 1987, som. Com. 56
(15) Art. L.644-2 du Code rural
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privée du copiste et non destinées à une utilisation collective, et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause est illicite. Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle
Bot